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La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette. La scène de l'aveu au prince de Clèves.

Publié le 12/09/2006

Extrait du document

lafayette

Eléments d’introduction : - Rappeler qui est Mme de Lafayette (femme noble du XVIIème ayant reçu une éducation littéraire soignée, c’est une mondaine raffinée. Elle appartient au courant précieux, sans être hautaine ni pédante (comme les précieuses que Molière critique dans Les précieuses ridicules). [Revoyez les éléments de cours sur la préciosité : ils vous seront peut-être utiles pour l’entretien]. - Situez l’extrait dans l’œuvre (cf. notes de cours). - Problématique envisagée en classe: il s’agit de montrer que ce passage se nourrit de la tradition classique (influence de la tragédie sur l’écriture du passage) et de la pensée précieuse tout en s’inscrivant dans une forme de modernité : les personnages sont ici abordés selon leur caractère, et non selon les actions qu’ils accomplissent dans le but de nourrir une réflexion sur la vertu et la « fides «. - Plan proposé : I- une scène inspirée de la scène d’aveu dans la tragédie ; II- un miroir nuancé des valeurs précieuses de la fin du XVIIème siècle. I- a) Un aveu pathétique. Les deux personnages sont touchants, et leur détresse émouvante tant leur désespoir semble insurmontable. Les paroles, mais aussi les attitudes des deux protagonistes (= personnages principaux) suggèrent une intense émotion qui gagne le lecteur. • Les attitudes : La princesse prononce son aveu en « se jetant à ses genoux «ligne 10 : attitude traditionnelle/ lieu commun (= topos) de la suppliante [on peut alors faire référence à l’histoire de Sophonisbe, reine punique ayant vécu à la fin du IIIème siècle av. JC, dont la supplique au roi Masinissa est restée célèbre et fait l’objet d’une réécriture par Melle de Scudéry, précieuse raffinée de l’époque ; mais aussi à la supplique de la pénitente chrétienne, puisque tout dans l’organisation de son discours y renvoie : aveu (lignes 12 « il est vrai que… « à 19 ; demande le pardon « je vous demande mille pardons «ligne 19 ; demande de l’aide « conduisez-moi «ligne 23, montre qu’il lui a été pénible d’avouer «  une chose que je n’ai pas la force de vous avouer «lignes 1-2/ le silence : « Mme de Clèves ne répondit point «l. 7 et « son silence « ligne 7/ « quelque dangereux que soit le parti que je prends «l. 17 ; Mme de Clèves est convaincue de la vertu de cette confession, car celle-ci demande du courage : « l’aveu que je vous ai fait n’a pas été par faiblesse «l. 62, et qu’elle montre tout le respect qu’elle a pour son époux : « il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on n’en a jamais eu «l. 21-22 –noter ici l’hyperbole utilisée par la princesse afin de souligner son honnêteté et sa fidélité envers son mari. Enfin, elle réclame l’assurance qu’elle sera toujours protégée, à défaut d’être aimée « aimez-moi encore, si vous pouvez «l. 24] Le prince quant à lui est « hors de lui-même «, l. 26, est demeuré « la tête appuyée sur ses mains « l. 25-26. il « pensa mourir de douleur « ligne 29. Cette posture est celle du désespoir. Le détail qui est ajouté en fin de phrase : « il n’avait pas songé à faire relever sa femme «lignes 26-27 montre que sa détresse est infinie : la souffrance que lui inflige le discours de sa femme lui fait oublier sa dignité et son rang : jamais un homme de sa qualité n’aurait laissé transparaître un tel trouble –même à son épouse, cela était presque indécent pour l’époque puisqu’il trahit sa passion amoureuse pour elle (ce qu’il lui avoue d’ailleurs lignes 35-36)-, et ensuite jamais il n’aurait toléré que sa femme demeure agenouillée : le prince est galant homme, il ne peut accepter une attitude aussi humiliante, pour ne pas dire obscène. Il y a donc là une description euphémisante qui traduit le trouble/ le désordre amoureux dans lequel se trouve plongé le prince et contre lequel il va devoir lutter. Le pathétique tient au fait que lecteur peut mesurer la souffrance du personnage : il connaît cette passion du prince pour son épouse, et peut donc mesurer la blessure terrible qu’il vient de recevoir ainsi que son impact (le prince mourra d’amour peu de temps après cet aveu). • Les paroles : Elles traduisent détresse et souffrance : - Mme de Clèves : « je ne craindrais pas d’en laisser paraître «ligne 15 ; « je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge «ligne 13 ; « ayez pitié de moi«l. 23 ; - Le prince : « ayez pitié de moi «l. 29 ; « une affliction aussi violente « ligne 31 [noter l’hyperbole] ; « je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais existé «l.36 [même procédé] ; « me console «l. 47 ; « vous me rendez malheureux «l. 50.+ « vous craignez d’en avoir pour un autre «l. 38 qui montre la détresse de Mme de Clèves. Elles traduisent le trouble du prince de Clèves, donc son désespoir : - l’accumulation de questions lignes 39- 41 révèlent la jalousie qui menace de submerger le prince. Celui-ci, malgré son rang, n’en est pas moins homme. - Amertume de la phrase « vous me rendez malheureux par la plus grande marque de fidélité que jamais une femme ait donné à son mari «lignes 50-52 : la tristesse du prince provient du fait qu’il ne peut en vouloir à sa femme : celle-ci lutte de toutes ses forces contre une passion qu’elle n’a pas souhaité, contre un sentiment qui la domine et qu’elle n’a pas recherché. Par honnêteté, elle l’avoue à son époux, qui éprouve, lui, un amour sincère à son égard : mais comment lui tenir rigueur de cet aveu, alors qu’elle n’en est pas responsable ? Les deux protagonistes apparaissent dc tous les deux comme les jouets de leur passion, et en ceci cette scène a une dimension tragique. I- b) Le tragique. La scène elle-même renvoie à une scène conventionnelle des tragédies classiques (cf. notes de cours sur les scènes d’aveu au théâtre). Rappel : tragique= terreur, pitié et présence du Fatum. La pitié tient à la dimension pathétique de cette scène, ainsi qu’à la force d’identification aux personnages qu’elle suggère : le lecteur se met aisément à la place de l’un ou de l’autre. Les émotions sont alors d’autant plus fortes. La terreur tient au fait que l’on ne sait pas comment va réagir M. de Clèves : il est passionnément amoureux, le lecteur le sait. Or, la tradition de la tragédie classique, alors en plein essor avec Racine notamment, et Corneille avant lui, ont habitué le public à des réactions différentes selon les héros, mais souvent violentes lorsque ceux-ci cèdent à leur passion (cf. notes de cours sur Phèdre, qui provoque, par dépit amoureux, la mort d’Hippolyte avant de se suicider, Roxane qui, dans Bajazet provoque la mort de son amant et de celle qu’il aime, ou encore la folie meurtrière d’Hermione dans Andromaque). Seule Bérénice chez Racine parvient à faire triompher sa raison et échappe ainsi au suicide ; chez Corneille, les héros parviennent la plupart du temps à dominer leurs passions, mais de quel type de personnage se rapproche le prince de Clèves ? On comprend qu’il s’agit d’un héros plus cornélien que racinien : il se domine malgré sa peine et en assure son épouse « je n’en abuserai pas « lignes49-50 ; « ne craignez point , madame «lignes 55-56. Néanmoins, il laisse apparaître toutes les fureurs de l’amour : Accumulation de questions lignes 39-41 ; lignes 42-43 qui renvoient à Phèdre découvrant qu’Hippolyte en aime une autre ; topos de la passion qui s’insinue par le regard « vous m’avez donné de la passion dès que je vous ai vue «l. 36 [cf. Phèdre, I, 3 « je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue/ un trouble s’éleva dans mon âme éperdue « ; la jalousie, citée à plusieurs reprises ; la volonté de savoir qui est son rival exprimée par le mode impératif : « apprenez-moi «ligne 52, « je vous conjure de m’apprendre ce que j’ai envie de savoir «lignes 59-60] Par ailleurs, la détresse dans laquelle chaque personnage se trouve est en elle-même terrifiante. Le lecteur compatit à leur désarroi, s’identifie à eux : il s’opère donc une sorte de catharsis (=purification des émotions) romanesque ici et non théâtrale. La fatalité ensuite est présente : par la passion que chacun éprouve, et qui n’est le fruit d’aucune volonté. Le prince tombe amoureux au premier regard chez le joailler (cf. plus haut topos du rôle du regard ds la passion amoureuse), de même la princesse de Clèves est victime d’un coup de foudre au bal et tombe amoureuse du duc de Nemours. L’aveu lui-même semble devoir être prononcé par nécessité : ce n’est pas sa faute à elle : « Ne me contraignez point (…) à vous avouer une chose que je n’ai pas la force de vous avouer «. l.1-2. Malgré tout, chaque personnage, s’il est en prise avec cette fatalité, lutte contre elle et parvient à ne pas être totalement son jouet : La princesse, pour conserver sa dignité et celle de son époux, choisit un isolement dont elle souffre mais qui l’empêchera de céder à son désir ; le prince ne sort pas de lui-même et, malgré sa jalousie et sa peine, demeure un homme galant. Néanmoins, nous avons là deux victimes du Fatum tragique : le prince mourra d’amour pour sa femme, et celle-ci renoncera au monde après son veuvage, rongée par la culpabilité. Enfin, on peut voir dans cette scène une part d’ironie tragique, puisque le duc de Nemours, caché derrière un buisson, entend tout : il sait qu’il est le destinataire de cet aveu que Mme de Clèves n’avait jamais consenti à lui faire. Ainsi, la fatalité a voulu que malgré toute la vertu de la princesse de Clèves, sa confession soit finalement plus dévastatrice que salvatrice. Il s’agit donc à présent de mesurer quelle est la part de la préciosité dans ce passage, mais aussi et surtout la dimension morale de cette scène. II- Une scène qui est le miroir des valeurs précieuses du XVIIème siècle, mais aussi d’une certaine morale. II- a) Un style distingué et épuré. Alors que l’enjeu de la scène est crucial pour chacun des deux protagonistes, et que tous les deux se trouvent confrontés à des sentiments extrêmement violents, rien, ni dans les attitudes, ni dans leurs propos, ne traduit ce trouble profond. Il s’agit bien là de la marque de l’esprit précieux : - le prince est « hors de lui-même «l. 26, il « pensa mourir de douleur «l. 29 ; pourtant, il demeure galant homme puisqu’après l’aveu de son épouse, il « l’embrass[a] en la relevant «l.29 et, toujours par galanterie, il lui demande de l’excuser d’une attitude aussi grossière et indigne d’un homme de sa qualité : « Ayez pitié de moi vous-même (…) et pardonnez (…) si je ne réponds pas comme je dois à un procédé comme le vôtre. «lignes 29 à 32. Tout reste dans la retenue et la dignité, et ce des deux côtés. - Les seuls excès du texte sont dans les tournures hyperboliques, chères aux précieuses : « mille pardons « l.19, « il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on en a jamais eu «l. 21-23 qui fait écho aux propos tenus un peu plus tôt « je vais vous faire un aveu que l’on n’a jamais fait à un mari «l.10-11, ce qui insiste sur le caractère sans précédent de cet aveu (c’est cette absence de précédent qui donne sa dimension hyperbolique au passage) ; nous pouvons relever également : « le visage couvert de larmes, et d’une beauté si admirable «l. 28 qui insiste sur la beauté de Mme de Clèves, mais aussi sur sa souffrance au moment de l’aveu ainsi que sur la passion qui habite le Prince ; souffrance intense également chez celui-ci : « une affliction aussi violente «l. 31, les superlatifs lignes 33sq : « plus digne (…) que tout ce qu’il y a de femmes au monde « (notez que l’élément de comparaison est démesuré puisqu’il s’agit de toutes les femmes du monde) ;  « le plus malheureux homme qui ait existé «l. 35 ; « la plus grande marque de fidélité que jamais femme… «l. 51-52. - Ces tournures permettent de mettre en avant l’attitude galante du Prince, mais dévoile également la grande estime qu’il éprouve pour sa femme, au-delà de son amour : cela fait de lui un homme idéal selon la carte du Tendre de Melle de Scudéry (voir module). - Noter également les nombreuses périphrases : vous retiendrez surtout : l. 19/20 : « sentiments qui vous déplaisent « pour désigner à la fois la passion qu’elle a pour Nemours, mais également le désir que lui inspire cet homme ; l. 3-6 : « songez seulement que la prudence ne veut pas qu’une femme de mon âge (…) demeure exposée au milieu de la cour «, pour évoquer l’adultère qu’elle risque de commettre ; on peut donc voir dans cette phrase une litote. l. 12 : « j’ai des raisons pour m’éloigner de la cour «, pour dire qu’elle est amoureuse d’un autre et qu’elle doit le fuir afin de ne pas commettre de faute ; là aussi cette phrase repose sur une litote ; l. 50 autre litote « je ne vous en aimerai pas moins «, façon élégante pour le Prince d’avouer que sa passion pour son épouse n’est pas entamée et qu’elle est peut-être même attisée (cf. le trouble que révèlent l’accumulation de formes interrogatives lignes 39 à 41. - allusion à la carte du Tendre ligne 41 : « quel chemin a-t-il trouvé pour aller jusqu’à votre cœur ? « - les allusions à la mort, surtout chez le Prince, appartiennent aux caractéristiques de l’écriture précieuse. - On notera enfin la métaphore guerrière qui fait de l’amour un combat dangereux : « demeure exposée «l. 4, «  les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge «l. 13, «  nulle marque de faiblesse «l. 14, « craindrais «l.15, « quelque dangereux que soit le parti que je prends «l. 17-18. Si la tradition précieuse apparaît à travers ce style si caractérisé, elle se manifeste aussi à travers le thème de l’amour et de la passion, qui sont ici la clé de voûte du passage. II-b) Un lieu commun : la passion amoureuse. Les deux personnages vivent chacun une passion intense, mais hélas sans réciprocité en ce qui concerne le Prince. Cet aveu, au-delà de la scène traditionnelle qu’il peut représenter, permet de confronter une perception de la passion amoureuse très caractéristique de cette fin du XVIIème siècle. En effet, il s’agit de ne pas se laisser submerger par elle, la Raison doit être toute puissante. Ainsi, le Prince s’est-il bien gardé d’avouer sa flamme à son épouse (« Vous m’avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue «ligne 36 ; de même, Mme de Clèves n’a jamais dit à Nemours qu’elle l’aimait (c’est en étant caché dans les buissons qu’il l’apprend…). On notera par ailleurs la métaphore du feu qui sert à désigner l’amour dans le discours du prince : « votre rigueur et votre possession n’ont pu l’éteindre «l. 46-47. De même, l’attitude des deux personnages, très cornélienne (voir éléments d’histoire littéraire donnés en classe), laisse voir que la Raison doit toujours primer. Cette thématique permet enfin à la narratrice de nous proposer une réflexion sur la vertu et la fidélité qui, si elles trouvent des échos dans le mouvement précieux, sont avant tout des préoccupations chères aux moralistes du XVIIème comme La Rochefoucauld et que fréquentait Mme de Lafayette. II-c) Fides et Virtus : deux valeurs en question. La vertu (virtus en latin) et la fidélité (fides ) sont deux valeurs morales que le XVIIème reconnaît et valorise, et qui sont tout droit héritées de la tradition antique, romaine en particulier. - la fides est une valeur morale fondamentale dans l’antiquité romaine, puisqu’elle touche à la fois la cellule familiale et le citoyen. C’est un mot que l’on retrouve dans le nom ‘fidélité’, mais dont le sens premier est ‘confiance’, puis ‘droiture, loyauté’. C’est bien dans cet esprit là que Mme de Clèves prononce son aveu. Elle le dit elle-même « Pour faire ce que je fais, il faut plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on n’en a jamais eu «l. 22. C’est aussi dans ce sens que le perçoit le pauvre M. de Clèves « vous me paraissez plus digne d’estime et d’admiration que tout ce qu’il y a jamais eu de femmes au monde «l. 32-33. Ce qui motive l’aveu, c’est donc, a priori, cette volonté de ne pas trahir la fides engagée lors des vœux du mariage, et ainsi de rester « digne « de son rang : « pour conserver digne d’être à vous « l. 19. Pourtant, cette droiture est contestable : s’il faut beaucoup de courage (ou d’inconscience) pour formuler cet aveu, n’y a-t-il pas là aussi une grande marque de faiblesse de la part de l’héroïne qui ne parvient pas, seule, à faire face à la passion qui l’assaille ? Sous couvert de conduite ‘vertueuse’, cet aveu ne dissimule-t-il pas au contraire un amour propre bien ancré et que l’on ne veut mettre à mal ? • la vertu est aujourd’hui synonyme de ‘courage’, mais à l’époque où Mme de Lafayette écrit, il faut y voir le sens d’énergie ou de force morale (cf définition du Petit Robert : « Force avec laquelle l’homme tend au bien ; force morale appliquée à suivre la règle, la loi morale définie par la religion et la société «. La Rochefoucauld, dans une de ses Maximes écrit en outre que « l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. «). Enfin, si la vertu est autant rattachée à l’idée de force et de courage, c’est qu’elle est, étymologiquement, liée à la personne masculine (cf. notes de cours en étymologie, la vertu est au départ une qualité de l’homme –et non de la femme- [racine vir dans virtus qui signifie ‘homme’]). Ainsi, dans cette optique, on peut voir dans Mme de Clèves une incarnation féminine de la vertu (valeur morale fortement prônée dans le monde précieux) : elle évoque elle-même la « force « et le « courage « qu’il lui a fallu pour « avouer cette vérité « plutôt que d’  « entreprendre de la cacher «l. 61-63. Néanmoins, on peut se poser légitimement la question de savoir pourquoi cette femme avoue l’innommable à son époux, dernière personne à laquelle elle aurait dû se confier. Elle se justifie : « si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour, ou si j’avais encore Mme de Chartres [= sa mère] pour m’aider à me conduire « ; si le Prince donc accédait à sa volonté, et ce sans se montrer impérieux dans ses « ordres «, Mme de Clèves n’aurait pas eu à prononcer cet aveu : autant dire que tout est la faute du Prince, et que la princesse se décharge, d’une certaine façon, d’une culpabilité qu’elle refuse. En outre, cet aveu, dont on souvent critiqué l’invraisemblance, a pourtant une valeur symbolique en ce temps où les moralistes écrivaient beaucoup (et vous savez que Mme de Lafayette est l’amie très proche de l’un d’eux : le duc de La Rochefoucauld). La vertu est en effet une valeur que l’on défend, mais dont on pointe les limites : pourquoi un individu est-il vertueux ? Est-ce par nature ? Ou par intérêt (conscient ou inconscient) ? En cette fin de siècle marquée par le Jansénisme et un certain pessimisme, le discours prétend que l’homme n’est vertueux que par intérêt. Et dans une certaine mesure, Mme de Clèves illustre cela : - elle présente cet aveu comme une fatalité, ce n’est donc pas de sa faute si son époux souffre ; - cet aveu révèle son incapacité à faire face, seule et en son âme et conscience, à la passion qui l’assaille et qui la met en danger. Non devant Dieu, mais face à ses pairs : quel jugement auront d’elle les gens de la cour, les courtisans, ceux-là même qui font et défont les réputations ? Ainsi, expliquer son refus de paraître à la cour à son époux relève peut-être plus de l’amour-propre que de la vertu : la princesse ne veut pas être la cible des quolibets, qui seraient pour elle pires que le péché d’adultère, puisque celui-ci, dans une pensée janséniste, serait de toute façon inéluctable (thèse de la prédestination et de la Grâce divine qui permet d’atteindre le Paradis). C’est en tout cas ce que laissent entendre les maximes de La Rochefoucauld à propos de la vertu. - Cet aveu ne se limiterait donc pas à une écriture conventionnelle d’un lieu commun (=topos) de la littérature, mais susciterait au contraire une réflexion morale très caractéristique de son temps. Pour conclure : -Rappeler que ce passage se nourrit des grands thèmes littéraires de son temps (la passion amoureuse, la vertu) chers, entre autres, au mouvement précieux. - Rappeler, du point de vue du genre, que l’écriture romanesque puise ici son inspiration dans la grande tragédie classique (Racine et Corneille), avec une tendance à assimiler les deux personnages aux héros Cornélien, même si ce qui leur arrive rappelle les situations inextricables que vivent les héros de racine (cf Phèdre, Roxane ou Hermione). - Rappeler enfin que si cette scène paraît très conventionnelle et proche des cercles précieux, il s’agit au fond d’une réflexion proche de celle des moralistes (cf les extraits des Maximes de La Rochefoucauld distribués en annexe), tout aussi pessimiste à la fois sur la nature humaine et sa condition. Il s’agit donc là du premier roman d’analyse de la littérature française, dans lequel l’action ne se suffit pas à elle-même, mais sert de prétexte à une réflexion plus philosophique, voire métaphysique (= recherche rationnelle qui a pour objet la connaissance de chose abstraites comme le Divin, le principe de l’univers et des premiers éléments de la connaissance). C’est ce qui fait la force et l’originalité de cette œuvre qui, sur le mode plaisant et en s’inscrivant dans une tradition littéraire bien établie, parvient à dépasser les lois du genre pour inciter le lecteur à se livrer à un questionnement d’ordre moral.

 

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« - l'accumulation de questions lignes 39- 41 révèlent la jalousie qui menace de submerger le prince.

Celui-ci, malgré son rang, n'enest pas moins homme.- Amertume de la phrase « vous me rendez malheureux par la plus grande marque de fidélité que jamais une femme ait donné àson mari »lignes 50-52 : la tristesse du prince provient du fait qu'il ne peut en vouloir à sa femme : celle-ci lutte de toutes sesforces contre une passion qu'elle n'a pas souhaité, contre un sentiment qui la domine et qu'elle n'a pas recherché.

Par honnêteté,elle l'avoue à son époux, qui éprouve, lui, un amour sincère à son égard : mais comment lui tenir rigueur de cet aveu, alors qu'ellen'en est pas responsable ?Les deux protagonistes apparaissent dc tous les deux comme les jouets de leur passion, et en ceci cette scène a une dimensiontragique. I- b) Le tragique. La scène elle-même renvoie à une scène conventionnelle des tragédies classiques (cf.

notes de cours sur les scènes d'aveu authéâtre). Rappel : tragique= terreur, pitié et présence du Fatum. La pitié tient à la dimension pathétique de cette scène, ainsi qu'à la force d'identification aux personnages qu'elle suggère : lelecteur se met aisément à la place de l'un ou de l'autre.

Les émotions sont alors d'autant plus fortes. La terreur tient au fait que l'on ne sait pas comment va réagir M.

de Clèves : il est passionnément amoureux, le lecteur le sait.

Or,la tradition de la tragédie classique, alors en plein essor avec Racine notamment, et Corneille avant lui, ont habitué le public à desréactions différentes selon les héros, mais souvent violentes lorsque ceux-ci cèdent à leur passion (cf.

notes de cours sur Phèdre,qui provoque, par dépit amoureux, la mort d'Hippolyte avant de se suicider, Roxane qui, dans Bajazet provoque la mort de sonamant et de celle qu'il aime, ou encore la folie meurtrière d'Hermione dans Andromaque).

Seule Bérénice chez Racine parvient àfaire triompher sa raison et échappe ainsi au suicide ; chez Corneille, les héros parviennent la plupart du temps à dominer leurspassions, mais de quel type de personnage se rapproche le prince de Clèves ?On comprend qu'il s'agit d'un héros plus cornélien que racinien : il se domine malgré sa peine et en assure son épouse « je n'enabuserai pas » lignes49-50 ; « ne craignez point , madame »lignes 55-56.

Néanmoins, il laisse apparaître toutes les fureurs del'amour :Accumulation de questions lignes 39-41 ; lignes 42-43 qui renvoient à Phèdre découvrant qu'Hippolyte en aime une autre ; toposde la passion qui s'insinue par le regard « vous m'avez donné de la passion dès que je vous ai vue »l.

36 [cf.

Phèdre, I, 3 « je levis, je rougis, je pâlis à sa vue/ un trouble s'éleva dans mon âme éperdue » ; la jalousie, citée à plusieurs reprises ; la volonté desavoir qui est son rival exprimée par le mode impératif : « apprenez-moi »ligne 52, « je vous conjure de m'apprendre ce que j'aienvie de savoir »lignes 59-60]Par ailleurs, la détresse dans laquelle chaque personnage se trouve est en elle-même terrifiante.

Le lecteur compatit à leurdésarroi, s'identifie à eux : il s'opère donc une sorte de catharsis (=purification des émotions) romanesque ici et non théâtrale. La fatalité ensuite est présente : par la passion que chacun éprouve, et qui n'est le fruit d'aucune volonté.

Le prince tombeamoureux au premier regard chez le joailler (cf.

plus haut topos du rôle du regard ds la passion amoureuse), de même laprincesse de Clèves est victime d'un coup de foudre au bal et tombe amoureuse du duc de Nemours.L'aveu lui-même semble devoir être prononcé par nécessité : ce n'est pas sa faute à elle : « Ne me contraignez point (…) à vousavouer une chose que je n'ai pas la force de vous avouer ».

l.1-2.Malgré tout, chaque personnage, s'il est en prise avec cette fatalité, lutte contre elle et parvient à ne pas être totalement son jouet :La princesse, pour conserver sa dignité et celle de son époux, choisit un isolement dont elle souffre mais qui l'empêchera de céderà son désir ; le prince ne sort pas de lui-même et, malgré sa jalousie et sa peine, demeure un homme galant.Néanmoins, nous avons là deux victimes du Fatum tragique : le prince mourra d'amour pour sa femme, et celle-ci renoncera aumonde après son veuvage, rongée par la culpabilité. Enfin, on peut voir dans cette scène une part d'ironie tragique, puisque le duc de Nemours, caché derrière un buisson, entendtout : il sait qu'il est le destinataire de cet aveu que Mme de Clèves n'avait jamais consenti à lui faire.

Ainsi, la fatalité a voulu quemalgré toute la vertu de la princesse de Clèves, sa confession soit finalement plus dévastatrice que salvatrice. Il s'agit donc à présent de mesurer quelle est la part de la préciosité dans ce passage, mais aussi et surtout la dimension morale decette scène.. »

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