La Poésie A-T-Elle Pour Unique But D'Exprimer Des Sentiments Personnels ?

« Faire de l’or avec de la boue «, telle est la définition que Baudelaire assignait à la poésie, à la sienne particulièrement. La poésie est un genre particulier qui ne peut être réservé aux textes écrits en vers. En effet, tous les textes versifiés ne sont pas de la poésie, et des textes en prose peuvent être poétiques. La poésie peut donc se définir par un travail sur les mots et les sonorités qui ont pour but de rendre le texte musical, et à une recherche d’images et de procédés linguistiques, tout cela pour provoquer une ou des émotions chez le lecteur. La poésie a bien sûr une fonction d’expression des sentiments les plus profonds, les plus intimes des auteurs, ce qu’aucun autre genre de textes, tel le roman ou le théâtre, ne peut faire. Cependant, ne peut-on pas lui assigner d’autres fonctions que l’étude des sentiments ?

Nous allons donc étudier dans une première partie, la fonction de l’expression des sentiments dans la poésie, puis dans une deuxième partie nous allons nous intéresser à la question suivante : ces fonctions sont-elles liées ?

Tout d’abord, la poésie est un genre qui fait beaucoup de démonstrations de sentiments et autres expressions d’émotions personnelles. Paul Valéry décrit la poésie comme étant le « développement d’une exclamation «, ce qui explique clairement le but de la poésie, d’un côté, le mot « développement « fait référence au travail, à la réflexion sur un thème donné et le terme « exclamation « fait lui songer à une émotion spontanée. La poésie est donc la retranscription des émotions personnelles qui traversent le poète, qui doit les traduire en texte pour les évoquer et essayer de les faire partager aux lecteurs.

Ensuite, la poésie a pour fonction de servir d’interprétation aux émotions humaines. En effet, les poètes, en faisant part de leurs sentiments, face à la mort par exemple comme Paul Eluard, qui est pour lui « source de larmes «, mettent des mots sur les sentiments. Le lecteur, lui, peut se reconnaître dans les mots du poète, dans les impressions qui se dégagent du poème, et ainsi s’approprier ces mots et ces émotions. Le poète parvient ainsi, à l’aide de nombreuses images et grâce à sa maîtrise du langage, à mettre des mots sur les sentiments, à « fixer des vertiges « comme pour Rimbaud. Par exemple, lorsque Ronsard compare sa bien-aimée à une rose, le lecteur comprend la beauté de Marie et l’aspect éphémère de sa vie.

Enfin, la poésie est l’expression des sentiments personnels, notamment dans le courant romantique du XIXe siècle, qui voit naître l’expression de la sensibilité et des sentiments grâce au lyrisme. Ce courant, inspiré par Rousseau, évoque la sensibilité des auteurs à travers de nombreuses occurrences du pronom « je «. Cette poésie propose une exaltation du « moi « et de nombreux sentiments qui sont destinés à toucher le lecteur et à retranscrire le sentiment d’impuissance dans la société. Cependant, à partir de 1830, Victor Hugo renouvelle le courant en ajoutant l’engagement du poète dans la société, en plus des émotions et des impressions personnelles. Dans le poème « Demain dès l’aube… «, on ressent l’impuissance face à la mort, notamment dans ce vers : « Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées «.

La poésie a également un sens de déchiffrement. En effet, le poète, tel que Victor Hugo dans « Les Rayons et les Ombres « assigne aux poètes la mission de déchiffrer les mystères du monde. Ensuite, la poésie peut être synonyme d’espoir et redonner confiance au peuple. En effet, le poète peut avoir un rôle de prophète, grâce à ses visions, faire espérer des jours meilleurs. Le poète, en s’engageant dans la vie de la société, met son savoir et sa pensée au service des autres. Il peut aussi aider à surmonter des épreuves de la vie comme dans le poème de Ronsard.

Aussi, la poésie peut être une quête de beauté, une recherche d’idéal, comme Ronsard et Du Bellay qui pensaient que l’art se suffisait à lui-même, avec seulement la beauté comme critère. Elle peut aussi être une quête d’idéal, bien souvent impossible, d’où l’idée des poètes maudits, incompris et incapables d’accéder à leur but, donc malheureux. Elle peut être, en outre, une manière de refaire découvrir les choses quotidiennes, qu’on finit par ne plus voir. Elle peut surtout être le lieu d’une création ou d’une redéfinition du langage, où les mots peuvent être inventés ou sortis de leur définition, afin de créer un nouveau langage propre à la poésie.

Premièrement, nous pouvons penser à la citation d’André Daumal dans Les dernières paroles du poète : « Il faut être deux pour faire un poème «. En effet, le lecteur est très important dans la création du poème. Pour que le poète puisse délivrer son message, le lecteur doit être attentif, pour cela, l’auteur dévoile l’intérieur de sa pensée, de son âme, et ainsi séduit le lecteur par sa sincérité. Le lecteur est ainsi apte à écouter et comprendre le message que le poète veut transmettre. Ce procédé est surtout utilisé si l’auteur veut partager son idéal et surtout s’il veut avoir une action sur la société grâce à ses écrits, tels les poètes engagés. Ces poètes tendent à donner leur avis, et pour que leurs paroles aient un impact sur le peuple, les gens doivent se reconnaître en eux. C’est pourquoi le poète engagé, qui prend part pour telle ou telle opinion, se doit d’exposer son avis en plus de ses émotions.

En outre, les poètes à la recherche du beau et de l’idéal ont souvent recours au vocabulaire des sens, tels que l’odorat ou la vue. En attirant les sens et en retrouvant plusieurs sensations à la lecture d’un poème, le poète s’approche de la beauté. Pour ce faire, le poète est obligé de faire appel à l’intime afin de transmettre les mêmes émotions au lecteur. Par exemple, Verlaine dans le recueil des Poèmes Saturniens, dans la partie Melancholia, utilise, dans le poème Après trois ans, de nombreuses incitations des sens qui font comprendre au lecteur l’intimité et la beauté du jardin. Le poète, ayant ainsi placé le lecteur dans un contexte intime, lui parle de son amour passé, ainsi, l’auteur use des procédés littéraires afin de rendre le lecteur captif et lui exprime alors ses sentiments, ses émotions, que le lecteur peut ensuite s’approprier ou non. Ce même procédé peut être observé dans le poème de Ronsard, Sur la mort de Marie, avec « vive couleur « pour la vue, « odeur « pour l’odorat, « lait « pour le goût et qui instaure un climat de pureté et de fraîcheur. Après cela, le lecteur est ainsi attristé de sa mort. Les poètes ont donc recours à divers procédés pour croiser leurs sentiments et leur message, mais aussi pour que les lecteurs soient attirés et compatissants.

En conclusion, la poésie est un genre extrêmement varié qui met en relation les sentiments de l’auteur avec ses idées pour ensuite mieux parvenir à toucher le lecteur. La poésie n’est donc ni une unique considération personnelle de ses émotions, ni une quête effrénée de la Beauté, ni seulement une recherche esthétique et musicale, mais bel et bien un mélange de tout cela, qui en font l’un des genres les plus riches, de part sa complexité esthétique liée à de nombreuses contraintes formelles et de part sa richesse de sens. La poésie n’est pas accessible à tous car elle fait appel à la sensibilité du lecteur qui peut parfois être dérouté par une utilisation informelle des mots ou par la complexité des images données par le poète. Le poète, de son côté, peut voir son inspiration freinée, bridée, à cause des règles établies de la poésie, qui en font un genre difficile d’accès et qui ne permet pas toujours l’écriture de la pensée. C’est pour cela que l’on a vu apparaître dès le vingtième siècle, des poèmes en prose avec des poètes tels qu’Arthur Rimbaud.