« la nature de l’homme est de ne pas avoir de nature ? »
Publié le 04/01/2015
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PHILOSOPHIE DISSERTATION Comment faut-il comprendre l'expression : « la nature de l'homme est de ne pas avoir de nature ? » Introduction : « c'est dans la nature de l'homme », « c'est dans ma nature », « les hommes sont méchants par nature » : ces expressions témoignent qu'on a souvent tendance à enfermer l'homme dans une « nature » toute faite ; or ne peut-on pas paradoxalement définir la nature humaine par l'absence de nature ? La nature de l'homme (c'est-à-dire son essence, sa définition, son concept) serait de ne pas avoir de nature ; comment faut-il comprendre ce paradoxe ? Cette négation de la nature en l'homme (ou de l'homme) n'est-elle pas la condition positive de sa liberté, la marque d'une transcendance qui fait de l'homme un être à part dans la nature, un être qui se distingue radicalement des animaux ? La condition de l'homme n'est-elle pas d'être autre chose qu'un être naturel ? Pourtant ne doit-on pas reconnaître que l'homme fait aussi partie de la nature et qu'il a une nature ? I) Est-ce qu'on ne peut pas définir l'homme par cette capacité à s'arracher à ce qui est naturel en lui : ses instincts, son animalité ? La nature de l'homme est manque, privation : selon le mythe de Prométhée raconté par Platon dans le dialogue Protagoras, l'homme a été créé inachevé : contrairement aux animaux qui sont dotés d'instincts, l'homme va devoir se créer lui-même en inventant la culture : le feu volé aux dieux et donné aux hommes par Prométhée symbolise cet artifice qui marque l'avènement de l'humanité qui entre dans l'histoire et se distingue des bêtes réduites à manger cru, à vivre dans les bois...L'homme lui va manger cuit, vivre dans des villes (la Polis). La nature de l'homme est donc paradoxalement de devenir autre chose qu'un être naturel : un être de culture, un humain. La nature de l'homme consiste donc bien à nier sa propre animalité, la nature en lui, ses instincts ; par exemple en respectant des interdits religieux ou moraux et des règles sociales. La « nature humaine » se définit donc par cette capacité à transcender (=dépasser) la nature : ce qui signifie que l'homme est fondamentalement LIBRE : Rousseau montre dans le Discours sur l'inégalité que l'homme n'est pas déterminé par l'instinct mais qu'il peut choisir librement et qu'il est perfectible (le concept de « perfectibilité » chez Rousseau signifie l'ouverture à l'histoire, la condition de possibilité de la culture conçue comme création, innovation et non pas comme tradition) ; l' essence de l'homme est de ne pas avoir d'essence, d'être indéterminé : cette liberté se montre d'ailleurs paradoxalement dans la capacité à faire des excès ; par exemple si les animaux sont souvent cruels, seul les hommes sont capables des pires atrocités : faire le mal gratuitement, torturer ses semblables sans but aucun (le génocide au Rwanda par ex.). Le mal absolu n'est pas naturel mais le fait d'un être libre, capable d'excès. (c'est ainsi que Rousseau peut écrire que l'homme « retombe plus bas que la bête même » puisque la culture est dénaturation, perversion, régression possible ; « Pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? » s'exclame Rousseau dans une formule étonnante : précisément parce qu'il n'est pas comme l'animal enfermé dans une nature, mais un être en devenir, capable de devenir humain ou inhumain. II) Conséquences morales : l'homme n'est pas prisonnier d'une « nature » toute faite qui justifierait ses actes ; l'homme est libre et responsable de tout ce qu'il fait. La critique du déterminisme : l'homme n'a pas d'excuse ; ce n'est pas parce que c'est dans ma nature que je suis colérique, agressif, mais je me choisis colérique, agressif : mon caractère dépend de moi, je peux maîtriser mes émotions ; il serait donc dangereux de réduire l'homme à un déterminisme biologique ; par exemple Luc Ferry écrit que « la femme a la possibilité de concevoir des enfants ; c'est sa situation (concept de Sartre), mais déclarer qu'elle est « faite pour avoir des enfants » reviendrait à nier sa liberté, à transformer une situation en détermination naturelle, bref à « l'animaliser » (Le nouvel ordre écologique) Autre exemple : vouloir expliquer la violence d'un individu par ses gènes, c'est nier sa responsabilité ; à ce compte un pédophile ne serait pas responsable de ses actes puisqu'il serait déterminé par une pulsion incontrôlable, on ne pourrait donc pas le condamner. Les hommes ne sont pas ce qu'ils sont « par nature », ils ne sont pas programmés à devenir ceci ou cela, ils se construisent, s'inventent dans une histoire : on ne naît pas ouvrier ou bourgeois, on le devient par des conditions sociales et historiques ; mais on n'est pas prisonnier de sa condition sociale (au déterminisme biologique s'ajouterait le déterminisme social) puisqu'on peut toujours en sortir, la refuser ; ma situation sociale n'est pas un déterminisme absolu qui supprimerait ma liberté. De même ma culture ne doit pas être une « seconde nature » qui s'ajouterait à la première, puisque je peux aussi m'arracher à ma propre culture, la critiquer si je juge qu'elle comporte des traditions ou des coutumes déshumanisantes (le travail à la chaîne ; la corrida en Espagne) ou contraires aux valeurs universelles des Droits de l'homme ( le voile intégral, l'excision). III) Faut-il pour autant nier toute nature de/en l'homme ? L'homme n'est-il pas avant tout un être naturel ? Dire « la nature de l'homme est de ne pas avoir de nature » n'est-ce pas reconnaitre malgré tout une nature humaine ? Faut-il concevoir cette nature humaine comme transcendance, antinature ou au contraire reconnaitre que l'homme comme l'animal fait partie de la nature, et n'échappe pas à ses lois ? La nature de l'homme (son essence), serait la nature en l'homme (son corps, son cerveau qui lui permet de penser) : l'homme est aussi un être matériel. N'y a-il-pas une erreur et un risque dans le fait de situer l'homme au-delà de la nature ? En effet, l'homme se croit supérieur aux animaux, mais il est en fait plus proche du chimpanzé que de Dieu ! L'homme n'est-il pas une espèce vivante parmi d'autres ? certes différente des autres, puisqu'elle est capable de penser, de construire le monde de la culture, des valeurs, mais l'homme n'est pas pour autant antinaturel ! il reste un animal différent des autres. Conclusion : l'expression « la nature de l'homme est de ne pas avoir de nature » est donc bien un paradoxe qui nous invite à penser la spécificité de la condition humaine : elle signifie que la « nature humaine » est transcendance, liberté : l'homme est l'être capable de s'arracher à la nature, pour la penser, la connaître, lui ajouter de la valeur, de la beauté, du sens ; être d'antinature, l'homme se pense dans cette opposition à la nature matérielle, c'est un être culturel certes, mais surtout libre, capable du pire (Auschwitz ; Hiroshima) comme du meilleur (sacrifier sa vie pour les autres, pour la liberté, la justice) ; Pour autant l'homme n'est-il pas aussi un être naturel, matériel, un animal ? Un animal certes, mais qui a bien une spécificité : un cerveau capable de penser, de créer, d'aimer, bref d'être humain, s'il le veut.
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