« La médiocrité de notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir d'énonciation ? » André Breton.
Publié le 18/09/2010
Extrait du document
« La médiocrité de notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir d'énonciation ? « s'interroge André Breton.
Dans quelle mesure les œuvres au programme vous paraissent-elles s'inscrire dans ce questionnement ?
André Breton est un écrivain important du surréalisme. Ce mouvement est né sur les traces du Dadaïsme, aux alentours de 1919, et son influence s'est peu à peu éteinte après la morte d'André Breton en 1966. La citation du libellé est extraite d'un recueil poétique écrit par ce dernier : Point du Jour, en 1934.
Ici, André Breton nous amène à nous interroger sur les limites que l'énonciation figée pose à notre langage. En effet le surréalisme tend à subvertir le langage par divers procédés qui libèrent l'inconscient et lui fait prendre le dessus sur l'état conscient de l'écrivain.
Mais dans cette citation, il utilise le terme « énonciation «, et ce choix n'est pas un hasard, en effet l'énonciation consiste à employer la langue dans une situation de communication précise : chaque énonciation ne se produit donc qu'une seule fois. Cette création unique de l'énonciation se rapproche évidemment de la volonté des surréalistes à trouver la singularité de chaque homme.
Or, les méthodes surréalistes étant nombreuses et innovantes pour dépasser le conscient de l'homme, est-ce que les écrits qui emploient de telles tentatives peuvent persister dans le monde actuel ?
Pour répondre à cette problématique, on va se demander dans quelle mesure l'énonciation limite l'univers, puis dans une deuxième partie comment le surréalisme et les œuvres au programme y remédient, et enfin quelles sont les contradictions qui nuancent l'efficacité des démarches surréalistes.
La forme du langage fut une cible constante du surréalisme, en effet ils luttent contre les formes figées, combat qui est représenté plus généralement par leur volonté de révolutionner le monde. Cette volonté est justifiée par la réalité humaine de l'époque, c'est-à-dire la guerre, qui leur fait perdre fois dans toute les valeurs et morales patriotiques. Ce type de rébellion est repris en premier lieu par Charles Baudelaire et Arthur Rimbaud, ce dernier étant très apprécié par les surréalistes pour son œuvre et sa figure mythique, où l'on décèle une rébellion évidente : Il refuse la littérature comme un monde de réussite, comme un travail pour gagner sa vie, ce qui coïncide parfaitement avec la conception littéraire des surréalistes. Il parle d'ailleurs d'une nécessité de « changer la vie «, « réinventer l'amour « et de « s'abandonner à un long, immense et irraisonné dérèglement des sens «.
Etant donné donc que l'homme s'approprie le monde par le langage, il est important pour le surréalisme de repenser la littérature sans frontières.
A partir de cette idée, on comprend qu'André Breton refuse l'attitude réaliste du roman qui perpétue la réalité que le surréalisme veut changer,en utilisant des artifices littéraires qui font admettre au lecteur le caractère vraisemblable du roman.
Les descriptions sont un bon exemple de ces subterfuges qui veulent faire accepter au lecteur une vérité par des détails insignifiants.
Ces règles littéraires bornent d'après eux nos capacités d'imagination, limites qui sont dues à la perte de l'enfance, à la résignation du jeune homme qui devient un adulte, cela l'empêche de découvrir les faces cachées de l'esprit humain, car « C'est peut-être l'enfance qui approche le plus {text:soft-page-break} de la "vraie vie". « André Breton ( Manifeste du Surréalisme )
Cette découverte, elle s'effectue avant tout par la poésie pour les surréalistes qui voit en ce genre littéraire un lieu de véritable subversion du langage et donc une subversion du monde. Elle est la réponse au réalisme du roman par son non-conformisme. Elle est le seul endroit où l'on peut agir avec profondeur sur le langage. Par conséquent l'imagination est très importante, c'est elle qui permet vraiment d'influer sur notre perception, mais seul le « dérèglement des sens « préconisé par Rimbaud nous permet de l'affranchir.
Ainsi, on peut en déduire que l'inconscient est la clé de toute cette perte d'imagination, il permet de retrouver la part cachée de l'homme, de rendre à la poésie l'inspiration et le pouvoir du langage sans se soucier de la forme, la libération de l'esprit, de l'homme, des capacités poétiques de l'être humain.
Il existe différents procédés qui permettent d'atteindre ce « non-conformisme « cher au surréalisme, plus précisément d'atteindre l'inconscient. En effet pour écrire la poésie ou leurs récits, les surréalistes ont recours à différentes méthodes comme l'écriture automatique. Oublieux du sens étroit indiqué par les dictionnaires, les surréalistes ont considéré les mots en soi et examiné leurs réactions les uns sur les autres. « Ce n'est qu'à ce prix,_ _*note Breton*, qu'on pouvait espérer rendre au langage sa destination pleine, ce qui, pour quelques-uns dont j'étais, devait faire faire un grand pas à la connaissance, exalter d'autant la vie.« (_Les Pas perdus_). En effet André Breton imagina cette technique consistant à écrire le plus rapidement possible, sans contrôle de la raison, sans préoccupations esthétique ou morale, voire sans aucun souci de cohérence grammaticale ou de respect du vocabulaire. L’état nécessaire à la bonne réalisation est un état de lâcher-prise, entre le sommeil et le réveil.
Cet état se rapproche d'ailleurs du sommeil hypnotique beaucoup utilisé par le poète surréaliste Robert Desnos dont naîtra les aphorismes de Rose Sélavy. Pour beaucoup d'entre eux, Desnos avait un rapport extrêmement magique avec la poésie, Breton dira de lui qu'il était probablement celui qui s'était le plus approché de la vérité surréaliste. On disait aussi de Desnos qu'il parlait surréaliste à volonté. "Le surréalisme est à l'ordre du jour et Desnos est son prophète" (Breton, Le Journal Littéraire, 5 juillet 1924). L'écriture automatique est surtout une réelle manière de transcender l'individu et de fuir sa personnalité.
Autre que cette écriture automatique, le récit des rêves semble pour les surréalistes être aussi un bon moyen d'exprimer l'inconscient. Le rêve prend toute les formes et nous force à changer notre rapport au langage : penser autrement, c'est dire autrement.
Plus abstrait, mais considéré par Breton comme l'état le plus efficace : La folie. Elle a une très grande importance dans sa vie, il la connait et il l'a fréquenté ( notamment avec Nadja ), c'est une manière irrécupérable par la société de penser autrement. D'ailleurs beaucoup de surréalistes, après différentes expériences de spiritisme et d'hypnotisme, sont devenu fou au sens propre du terme.
Le jeu est important aussi lors des réunions surréalistes, c'est un mélange entre leur recherches intellectuelles et le ludique. On retrouve d'ailleurs cet aspect dans les poèmes de Desnos, et dans les journaux publiés par les surréalistes.
* Du côté des œuvres au programme, on retrouve dans Le Manifeste du Surréalisme* toute le récit de la découverte de l'écriture automatique par Breton. Mais pour lui une autre œuvre avait déjà sans le savoir inventé cette technique : il s'agit des *Chants de Maldoror* écrits par Lautréamont, et ce récit est considéré comme la préfiguration de l'écriture automatique.
On trouve aussi chez Desnos dans Corps et Biens* une multitude de poèmes qui font parti non seulement des expériences de sommeil hypnotique, mais aussi de nombreux jeux sur les mots, mais *aussi la présentation du poème, ou la ponctuation.
Nadja n'a dans son récit ses expériences, mais Breton a toujours habilement fait de ce livre une œuvre à part, notamment grâce à la mixité des registres, à la présentation et la structure du livre, et surtout grâce à la présence des photographie qui remplacent les descriptions inutiles pour Breton, et {text:soft-page-break} qui parfois n'ont pas que pour objectif de montrer un endroit, une personne, mais de dévoiler quelque chose qui était caché. Mais il subsiste certaines contradictions dans ces œuvres.
*En effet, Le Manifeste du surréalisme* est un essai théorique sur le surréalisme très organisé et qui suit une progression très précise, ce qui ne correspond pas avec la vision de la recherche d'un autre langage, contrairement aux poèmes de Desnos qui restent toujours dans ce contexte de jeu et d'originalité. D'ailleurs, il est vrai que certaines personnes ne comprennent pas le sens des poèmes de Desnos, il faut donc quand même préciser que même s'ils ont l'air décousu et absurdes, ils cachent un sens que seule une analyse précise peut déceler.
Mais au sein même du mouvement surréaliste, de grandes disparités existes, comme la problématique du romancier Aragon, alors que Breton maintient son refus du roman.
Plus surprenant, la révision en 1962 de Nadja, alors que Breton prône une écriture libérée et sans retouches. On peut tout de même justifier cette réédition par le besoin d'ajouter des photographies qui n'était pas en sa possession à l'époque de la première publication.
Enfin, même si la folie est la meilleur façon de subvertir la pensée, il n'en reste pas moins qu'André Breton en a peur, au point où il n'est jamais retourné voir Nadja à l'hôpital après son internement.
Il est évident aussi qu'au delà des œuvres, il y a des contradiction au sein des méthodes même, il faut avouer que l'écriture automatique a eu plus ou moins de succès, les surréalistes réalisent les dangers d'abandonner l'esprit à l'inconscient, en effet tout ce qui vient de lui n'est pas toujours brillant, et on se retrouve rapidement dans des récits répétitifs et artificiels.
De plus les séances hypnotiques et de spiritisme peuvent très rapidement conduire à des hallucinations, voir à une extrême folie, les surréalistes décident donc d'abandonner ces méthodes pour revenir à une inspiration lucide.
Enfin, par rapport à l'écriture automatique, beaucoup de gens se sont posé des questions sur la vérité de ces récits, en effet il serait facile pour les surréalistes d'enjoliver leur découverte, et de tricher un tant soit peu. Mais il semble évident que nous même devons faire un effort , « jouer le jeu « des surréalistes, sans tenir compte des doutes qui les entourent : « Écrivez_ vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire._ « André Breton ( *Manifeste du Surréalisme* )
Les poètes surréalistes n'ont pas réussi à changer le monde, mais ils ont libéré la poésie de ses formes vives.
Enfin, à la question : est-ce que les méthodes de subversions du langage des surréalistes ont vraiment rendu l'univers moins médiocre ? On répondra facilement que, pou leur mouvement ces découvertes ont été capitales. Pour d'autre ils resteront un groupe à part et original, mais qui n'aurait pas changé radicalement la littérature. Il faut quand même avouer l'extrême ingéniosité de ces hommes pour avoir fait de telles recherches, afin d'atteindre leur objectif : libérer le langage, et dans un sens ils y sont parvenu, la poésie n'est plus la même, et même si beaucoup d'auteur sont resté classiques, d'autres se sont fortement inspiré de Desnos, ou même des textes de Raymond Queneau qui sont encore joué aujourd'hui au théâtre par certaines troupes.
Même si la mort d'André Breton a épuisé le mouvement, les surréalistes ont crée quelque chose qui ne peut pas s'oublier.
Liens utiles
- Dans une page demeurée célèbre du Manifeste du surréalisme, André Breton écrit à propos des romanciers et de leurs oeuvres : « Le caractère circonstanciel, inutilement particulier, de chacune de leurs notations, me donne à penser qu'ils s'amusent à mes dépens. On ne m'épargne aucune hésitations du personnage : sera-t-il blond ? Comment s'appellera-t-il ? Autant de questions résolues une fois pour toutes, au petit bonheur, il ne m'est laissé d'autre pouvoir discrétionnaire que de fermer
- Que pensez-vous de la définition du «hasard objectif» proposée par Michel Carrouges (André Breton et les données fondamentales du surréalisme, Gallimard, 1950) : «Le hasard objectif, c'est l'ensemble de ces phénomènes qui manifestent l'invasion du merveilleux dans la vie quotidienne. Par eux, en effet, il s'avère que l'homme marche en plein jour, au milieu d'un réseau de forces occultes qu'il lui suffirait de déceler et de capter pour s'avancer enfin victorieusement, à la face du monde
- Voyez-vous, comme Michel Carrouges, les dangers du «hasard objectif» chez les surréalistes : «Si le hasard objectif peut apparaître à première vue comme une des grandes forces de libération pour l'homme, puisqu'il est la manifestation dans la vie «réelle» du pouvoir magique de l'esprit poétique, il aurait aussi un envers secret, pouvoir de terreur et d'asservissement ou même de mort. Ce vaste réseau de réminiscences, de prémonitions et de coïncidences stupéfiantes dont il est la manife
- VASES COMMUNICANTS (Les), d'André Breton
- Dictionnaire abrégé du surréalisme, d'André Breton et Paul Eluard