La France de 1815 à 1914
Publié le 08/03/2014
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LA FRANCE DE 1815 A 1914 LA FRANCE EN 1814-1815 Pourquoi ce t ableau ? Parce que c'est le début du cours. Parce que la tradition distingue bien la période 1789-1814 (ou 1815), la Révolution et l'Empire, de la suite. Au point que 1815 sépare l'histoire dite "moderne" de l'histoire dite "contemporaine". Quels que soient les problèmes qu'elle pose, cette séparation n'est pas absurde : d'un côté la Révolution, et l'Empire, qui la continue, qu'on le veuille ou non ; de l'autre, la "restauration" de la monarchie, le retour à la tête du pays de la famille de Bourbon, avec Louis XVIII, petit frère de Louis XVI, lequel Louis XVI a eu des problèmes dans un épisode précédent. Mais aussi, d'un côté, mr régime autoritaire, antilibéral, de Napoléon 1er, de l'autre, un régime libéral (mais non démocratique) avec une représentation élue, un parlement qui "consent l'impôt" (le budget de 1814 est le premier en France voté par une assemblée ; en 1791 le principe a été posé, mais pas appliqué) même s'il ne peut pas renverser le gouvernement (ce n'est donc pas un régime parlementaire), enfin, d'un côté, une longue série de guerre opposant la France à à peu près toute l'Europe, et de l'autre, une longue période de paix, puisqu'en cent ans, seuls1870 et 1871 voient la guerre sur le territoire national . Reste que malgré cette coupure, il y a de fortes c ontinuités. C'est pourquoi je voudrais indiquer ici quelques idées sur le long terme, puis les conséquences de la Révolution et de l'Empire, et, enfin, ce qui s'est passé en 1814-1815. I) LE LONG TERME : LES HERITAGES D'AVANT 1789 Pour le long terme, j'insisterai sur le poids de la France en Europe mais aussi sur son retard face à l'Angleterre, et sur le caractère centralisé du pouvoir, mais aussi sur la crise de légitimité qu'il connait. A) Aspects démographiques et économiques Le poids de la France en Europe est d'abord démographique : à peu près 30 m illions d 'habitants. A la veille de 1789, c'était à peu près pareil (28 millions ?), seuls s'en approchaient les empires autrichien et russe, avec plus de 26 et de 20 millions d'habitants, mais ils ont le handicap l'un de l'hétérogénéité, l'autre de l'immensité territoriale. L'Angleterre, au même moment, compte près de 14 millions d'habitants avec les Ecossais et les Irlandais. L'Allemagne, plus de 22 millions, et l'Italie plus de 17, mais ce sont des nébuleuses de petits états juxtaposés. C'est cette suprématie numérique qui a permis à la France d'affronter l'Europe dans les guerres de la Révolution et de l'Empire, avant d'être battue, en 1814 puis en 1815. Mais cette suprématie est menacée. La natalité fléchit dès avant 1789. Les Français pratiquent très tôt un contrôle des naissances, même si ce n'est pas systématique et si les moyens sont aléatoires. Une tradition fait remonter cela à la Révolution, mais Madame de Sévigné, au XVIIème siècle, parlait déjà de "funestes secrets qui dépeuplent nos campagnes". La perte de la suprématie numérique en Europe est lente, mais ajoutée à l'unification de l'Allemagne et de l'Italie après 1848, elle pèse sur la politique extérieure et intérieure. Ajoutons qu'en pratique tous les pays d'Europe sont, au XIXème siècle et surtout dans sa seconde moitié, pays d'émigration, q ue l 'on quitte, l a France e st pays d'immigration, qui a besoin d'un apport extérieur, à l'époque surtout belge, suisse et italien, les Italiens remplaçant vers 1900 les Belges comme premier groupe étranger présent. La prépondérance numérique ne doit en outre pas cacher un retard économique . par rapport à l'Angleterre, premier pays e ngagé d ans la révolution industrielle, fondée sur le charbon alimentant des machines à vapeur q ui a niment d es m achines, d onc s upposent u ne concentration géographique et économique de la production : les métiers à tisser actionnés par l'énergie humaine sont répartis chez les producteurs, ceux actionnés par la vapeur sont rassemblés en usines, puisqu'une seule machine en anime un grand nombre. Cela dit, même en Angleterre, la production traditionnelle subsiste longtemps, en parallèle à l'industrie naissante. Mais l'industrialisation est plus lente en France, la main d'oeuvre plus dispersée, la routine domine, les investissements sont faibles. Même si la France est le troisième pays touché par la Révolution industrielle, après l'Angleterre et la Belgique.. De plus, ce qui domine, en France comme ailleurs, à la veille de 1789, c'est l'agriculture. L'écrasante majorité des gens travaille la terre, et dans les groupes dominant la société, c'est aussi vers la terre que se porte l'intérêt intellectuel. C'est là qu'on investit, elle assure le prestige social, on l'étudie avec la multiplication des Sociétés d'agriculture et des traités d'agronomie, elle est considérée comme source de toute richesse car elle serait la seule à donner plus qu'elle ne reçoit (un grain de blé donne tout un épi) alors que l'industrie ne fait que transformer, sans créer. Embêtant pour entrer dans la modernité. B) Aspects politiques Du point de vue politique, la France est un pays centralisé, qui connait une crise de légitimité. ` La centralisation, est bien antérieure. La monarchie absolue suppose une concentration des pouvoirs entre les mains du roi. Et avec la Révolution, après une phase libérale et décentralisatrice, le processus reprend. La vie politique se concentre à Paris. C'est évident avec les journées révolutionnaires, où la rue de Paris, l'émeute, a fait l'histoire d e France. D e plus, les gouvernements révolutionnaires ont été centralisateurs. La tendance s'accentue avec Napoléon, et l'institution des préfets, représentant le pouvoir central dans les départements. Il y a continuité, par delà les régimes. Il faut rappeler que, contrairement à l'Allemagne ou à l'Italie, la France est un pays où l'Etat a précédé, et construit, la Nation. Reste qu'on peut se demander quelle est la force du sentiment national, du sentiment d'appartenir à une "communauté de destin", dans un pays pour une part duquel le français est langue étrangère (dans les Midis basque, occitan ou corso-toscan, en Bretagne "bretonnante", dans l'Est germanophone), un pays où les moyens de communication (pour les hommes, les marchandises ou les informations) sont sans rapport avec ce que nous connaissons (pas de transport autre qu'à traction animale, pas de moyens d'informations autre que le bouche-à-oreille et une presse que peu peuvent acheter et lire), un pays où l'horizon est villageois, parfois provincial, rarement national. Le pays a beau être centralisé, son unité n'est pas chose acquise, et le XIXème siècle, à travers évolution politique et innovations matérielles (à commencer par le chemin de fer), c'st aussi l'histoire de la construction de cette unité. Pour ce qui est de la l égitimité , le problème est de savoir ce qui fait qu'un régime est légitime pour une population, qu'il est accepté. La légitimité traditionnelle , en principe celle du XVIIIème siècle, c'est le droit d ivin , à travers la filiation. Le roi est roi parce que plus proche descendant male (ou parent : Louis XVIII et Charles X sont des frères de Louis XVI) du roi précédent. On peut y opposer la légitimité que nous reconnaissons, dans nos sociétés, qui est (ou devrait être) la légitimité démocratique, le choix de la majorité numérique (réfléchissez sur le lien entre cette opposition entre légitimité .et les documents 4a et 4b de la plaquette de travaux dirigés). Mais de la fin du XVIIIème siècle à la moitié du XIXème, aucune de ces légitimités ne fonctionne. La première est en crise depuis le mouvement des Lumières, l'appel à la raison, la contestation des privilèges attachés à la naissance. La seconde, liée à la démocratie, n'est pas entrée dans les moeurs, et pose des problèmes d'organisation, faute de moyens d e communication rapides, d'une suffisante alphabétisation, etc. Sous la Révolution, en août 1792, après le renversement de la royauté (donc de la légitimité traditionnelle), l'Assemblée législative convoque une assemblée constituante, la Convention. Tous les Français sont concernés. Le droit de vote est soumis à cinq conditions: être citoyen de plus de 21 ans (18 ans, c'est depuis 1974), homme (le vote des femmes, c'est 19 45), avoir un domicile fixe depuis u n a n, n e p as être domestique. Le domicile, c'est pour s'assurer de l'identité de l'électeur : la carte d'identité n 'existe p as, l a p hoto d 'identité m oins e ncore ; n e p as ê tre domestique, plus surprenant pour nous, c'est lié à l'idée que la dépendance d'un maître interdit la liberté d'opinion, d'autant qu'on n'a pas inventé l'isoloir. La constitution de 1793 est approuvée de la même façon, et réduit la domiciliation à six mois. La constitution de 1795 est également approuvée au suffrage universel. L'ennui, c'est qu'en 1792 entre menace d'invasion (la guerre) et témeutes, il n'y a que 700 000 votants ; en 1793 et 1795, ils sont environ 1,8 et 1,1 millions, sur 7 millions d'électeurs potentiels. Quant à Napoléon , s'il fait approuver par plébiscite sa prise de pouvoir, e t fonde son pouvoir sur l'approbation populaire, il contrôle étroitement le vote. Donc, faute de légitimité divine (dynastique), ou démocratique, restent deux sources de pouvoir, la rue et l'argent. La rue, c'est, en gros, l'émeute, la révolution, à Paris. C'est ce qui s'est passé pendant la Révolution, à partir de 1789, qui réussit en 1830 et en février 1848. Le problème est que Paris n'est la France ni sociologiquement, ni culturellement, ni idéologiquement, d'où des distorsions, des affrontements, drammatiques dès qu'au cours du XIXème siècle le reste de la France s'exprime de façon massive et légitime, avec suffrage universel. D'où les "journées de juin 1848, et l'écrasement de la Commune de Paris en 1871. On en reparlera. L'argent, ce n'est pas seulement la puissance matérielle, c'est aussi, un fondement de la légitimité. Le principal reproche fait à la monarchie en 1789 c'était de lever des impôts non approuvés par ceux qui paient. Et la première fonction des représentations nationales, type parlement anglais, c 'est de "consentir l'impôt". Il n'est donc pas absurde, lorsque les fonctions de la représentation nationale sont limitées à cela, que ce soient ceux qui paient l'impôt qui votent (on oublie au passage les impts indirects, que tout le monde paie). C'est le principe libéral, différent du principe démocratique. Pour voter, il faut être "actionnaire de la grande entreprise sociale", selon l'expression de l'abbé Sieyès, en 1789. Dans la constitution de 1791, seuls votent ceux dont l'impôt correspond à trois jours de travail, dans celle de 1795, ceux qui paient un impôt direct, quel qu'il soit. En 1791 cela fait 4,3 millions de Français, sur 7 millions d'hommes adultes. Mais il s'agit d'un vote à plusieurs degrés, où les citoyens votent pour des "électeurs" qui eux mêmes votent, et pour lesquels les conditions d'imposition sont plus s évères. L e s ystème, appelé système censitaire , a fonctionné en France de 1814 à 1848; et dans d'autres pays, en Italie, en Angleterre, jusqu'à 1914 ou presque. Le problème est de savoir à quelles conditions il est vu comme légitime, non par nous et après coup, mais sur le moment, par les contemporains. II) LE MOYEN TERME : LES CONSEQUENCES DE LA REVOLUTION ET DE L'EMPIRE On a déjà évoqué quelques conséquences directes. Reste à préciser certaines choses : A) Aspects démographiques et économiques. Les guerres de la Révolution (guerres étrangères et guerre civile) et de l'Empire ont provoqué des pertes. difficiles à estimer. Par ailleurs, il est curieux de constater que, souvent, ceux qui font le procès des excès révolutionnaires oublient la boucherie napoléonienne, et vice versa d'ailleurs. Ce cours n'étant consacré ni à la Révolution ni à l'Empire, je ne me risquerai pas à une estimation. On avance souvent le chiffre d'un million de morts. Le bilan en tous cas est lourd, il justifie la politique extérieure prudente des dirigeants du pays jusqu'à Louis-Napoléon Bonaparte, et même au delà, mais, en gros, la France reste le pays le plus peuplé du continent, un quart de siècle après 1789. Du point de vue économique, toute une littérature s'étend sur le désastre qu'aurait été la Révolution. Il est certain que les troubles intérieurs, la guerre civile et étrangère, puis, sous Napoléon, l'affrontement avec l'Angleterre, maîtresse des mers, qui étrangle les ports français, ce n'est pas bon pour les affaires. Mais en 1810, l'industrie française, certes encore balbutiante, est à un niveau de 50% supérieur à ce qu'elle était en 1789. Je serais porté à conclure que le discours catastrophiste est plus idéologique que fondé sur des faits. On peut ajouter que la Révolution interdit les corporations par la loi Le Chapelier, du 14 juin 1791, qui prohibe toute association entre membres d'une même profession. C'est faire sauter le verrou des normes strictes de production et de qualité imposées par les corporations, donc, dans une perspective libérale, favoriser l'expansion par la posisbilité d'innovation. Mais du point de vue social, c'est interdire les syndicats, interdiction qui dure jusqu'au milieu du XIX siècle. Cette interdiction frappe équitablement, sur le papier, patrons et salariés, mais la pratique est différente. Si des employeurs se rencontrent pour harmoniser leur attitude, c'est un thé entre gens de bonne compagnie, si leurs salariés le font, c'est un attroupement, un meeting, repérable comme hors la loi. Et puis, Révolution et Empire n'ont pas été l'occasion du remplacement d'un groupe dominant traditionnel, aristocratique, lié à la propriété de la terre, par un groupe "bourgeois", lié au négoce et à l'industrie. Le secteur de pointe qu'était le commerce trans-océanique, qui faisait la fortune de Bordeaux ou de Nantes, a souffert des guerres. En 1815, le modèle dominant est toujours terrien, ceux qui font fortune s'empressent d'acheter des terres, et le haut du pavé est toujours tenu par de grands propriétaires : le renouvellement des élites est limité. Il n'y a pas passage immédiat à une société moderne, ou "capitaliste". Le modèle rural, paysan, sort renforcé de la Révolution. Elle a libéré l a petite propriété rural des charges seigneuriales, a fait que les paysans ont été, juridiquement pleinement propriétaires. Elle a permis des achats de terres, suite aux confiscations des biens du clergé ou des biens des nobles qui ont fui à l'étranger -les "émigrés". Bref, elle a tourné le dos au modèle anglais, où grands propriétaires nobles et fermiers exploitants étaient alliés contre la petite propriété familiale, d'où des exploitations agricoles fonctionnant comme des entreprises. En France, petite propriété et fermiers se sont alliés contre les restes du régime seigneurial et la grande propriété noble. D'où pérennité de la petite propriété. D'où un plus grand nombre de ruraux, et, sans doute, des exploitations trop petites pour des investissements modernisateurs. D'où un certain retard économique, et le fait que le monde rural, la paysannerie, pèse lourd quantitativement (la majorité des Français habite des communes de moins de 2 000 habitants, cela ne change qu'après 1914), et idéologiquement : les élites d'ancien régime sont liés à la terre, leur modèle influence encore, au début du XIXème siècle, les nouvelles élites ; et comme la Révolution a "donné la terre" aux paysans, ses partisans sont eux-aussi favorables au monde rural ; en 1848, Ledru-Rollin, homme de gauche, explique que l'industrie "ne doit être que ce que serait la marine à la force militaire, un auxiliaire, mais non pas le pivot fondamental" et suggère que l'on renvoie aux champs les ouvriers chomeurs. Le ruralisme est la chose en France la mieux partagée, à la fois d'ancien r égime e t p ost-révolutionnaire. l'Agriculture ( jumelée a vec le Commerce) a un ministère dès 1836, l'Industrie attend le XXème siècle. B) Aspects politiques et religieux Pour l'héritage politique de la Révolution, on en a parlé à propos de la légitimité. Il faut ajouter qu'il y a un héritage idéologique et culturel paradoxal . C'eux qui, en 1815, se réclament de l'Ancien Régime, de l'avant-1789, en ont une vision mythique, reconstruite, du point de vue et politique et religieux. Du point de vue politique, contre la Révolution et l'Empire, bien des monarchistes mettent en cause la centralisation d e l'Ancien Régime. La monarchie dont ils se réclament est moins celle du XVIIIème siècle, ou de Louis XIV, que du XVIème siècle, quand les "grands" pesaient sur la politique du pays. Leur roi de prédilection, c'est Henri IV, dont ils ont d'ailleurs une vision sélective. Ils sont d écentralisateurs . Avec eux, pour un siècle e t demi, le régionalisme est marqué à droite. On a le même phénomène du point de vue r eligieux . Toute une historiographie a expliqué que la France "toute chrétienne" d'avant 1789 s'est déchristianisée d u f ait d e l a R évolution. B ref, q ue c 'est à c ause des révolutionnaires que les Français ne croyaient plus. Or le catholicisme est en crise à la fin du XVIIIème siècle, les élites perdent alors, manifestement, la foi. Mais ceux là même de nobles qui ne croyaient guère à la veille de 1789, retournent à la r eligion , à la suite de conversions personnelles, mais aussi parce que noblesse et Eglise ont été du même côté, contre la Révolution. Le meilleur exemple est le comte d'Artois, roi de France de 1824 à 1830 sous le nom de Charles X, frère cadet de Louis XVI et de Louis XVIII ; avant la Révolution, c'était plutôt un "libertin" : non pas un débauché, mais un libre penseur. Il est parti en exil dès le début de la Révolution et on le retrouve en 1815 fort dévot. Bref, on dit que les émigrés sont revenus en France en n'ayant "rien appris ni rien oublié", c'est une erreur : ils veulent revenir au passé, mais à un passé mythique. Ils ont changé, mais pas comme le pays. Parmi les effets religieux de la Révolution, on note un profond retour à la piété au début du XIXème siècle et surtout le fait que, de 1802 à 1905, les rapports de l'Eglise et de l'Etat sont régis par un concordat, signé entre l'Etat français (Napoléon 1er), et le Pape (Pie VII). Ce concordat, c'est l'alliance du pouvoir politique et du Pape, sur le dos de l'Eglise française, jusque là volontiers "gallicane", c'est à dire ayant tendance à être autonome face à la papauté. En gros, le concordat implique une certaine laïcité de l'Etat, ou du moins l a r econnaissance d es r eligions n on c atholiques (protestantisme, judaïsme) et du mariage civil ; l'Eglise renonce à ses biens, mais les clergés catholique et protestants sont salariés par l'Etat (les rabbins le sont à partir de 1831), et la nomination des évêques est faite par le Pape (et non plus par les chapitres des cathédrales) et soumise à l'approbation de l'Etat. En gros, l'Etat aide Rome à contrôler, au spirituel et au matériel, l'Eglise de France. Enfin, militairement, la situation est catastrophique en 1814. L'Empire s'est enferré en Espagne, où il affronte la guérilla et l'armée anglaise. Il a attaqué la Russie, l'Empereur et l'armée sont entrés dans Moscou en 1812, mais ont été vaincus par l'immensité russe, et le froid. Faute de pouvoir aller plus loin, poursuivre le Tsar, le battre, le forcer à demander la paix, faute de pouvoir occuper et tenir le terrain conquis, il a fallu faire demi tour, dans la faim et le froid, sous des attaques incessantes. Entre décès et désertions, il ne reste, au retour, que 100 000 des 610 000 hommes entrés en Russie. La Prusse, alors, se révolte contre la domination française. La France tient encore en respect Prusse et Russie, mais comme elle refuse les conditions de paix proposées par l'Autriche, qui joue les intermédiaires, cette dernière se range dans le camp adverse. Les états allemands se soulèvent, les troupes anglaises en Espagne passent en France du côté de Biarritz : fin 1813, on se bat sur le Rhin et les Pyrénées. Les Français sont las des guerres, les insoumis et les déserteurs se multiplient, bien des dignitaires du régime sont prêts à quitter le navire, le génie tactique de Napoléon ne peut pas pallier l'inégalité des forces en présence, et le 31 mars 1814, l'Europe coalisée entre dans Paris. C'est la fin de l'Empire. III) 1814-1815 A) La première Restauration (mai 1814-mars 1815) L'Empire s'est effondré, mais les vainqueurs ne savent que mettre à sa place. Marie-Louise, l'épouse de Napoléon est autrichienne, l'Autriche la verrait bien régente. Le Tsar pousse un de ses clients politiques, Bernadotte, maréchal d'Empire devenu roi de Suède, et qui a trahi Napoléon à temps ; il accepterait la solution Marie-Louise, ou même une république. L a Prusse n 'a p as de préférence, l'Angleterre soutient le comte de Provence, frère cadet de feu Louis XVI, et qui se fait appeler Louis XVIII, en exil depuis 1791. C'est la situation sur le terrain qui tranche en sa faveur. Son neveu, duc d'Angoulème, entre dans Bordeaux avec les Anglais. Son frère, comte d'Artois, est à Paris, où ses partisans s'agitent (ont-ils retenu la leçon de la Révolution? considèrent-ils que c'est la rue de Paris qui fait l'histoire?), et se fait proclamer "lieutenant général du royaume". Talleyrand, ancien ministre des Affaires étrangères de Napoléon, en disgrace depuis 1808, intrigue dans le même sens, parce qu'il considère que c'est la formule qui permettra de défendre au mieux les intérêts du pays face à ses vainqueurs. Louis XVIII, se considére comme le roi légitime depuis la mort de son neveu, fils de Louis XVI, en 1795. Il est convaincu d'être roi "de droit divin", refuse tout compromis sur ce point, remplace le drapeau tricolore de la Révolution et de l'Empire par le drapeau blanc d'avant 1789, intégre les émigrés dans l'armée aux grades obtenus au service des adversaires du pays. Il affecte de considérer que ce qui s'est déroulé entre 1789 et 1814 est nul et non advenu. En même temps, ce gros homme, impotent et égoïste, est intelligent, lucide, et prudent. Il comprend qu'il ne peut pas restaurer purement et simplement l a monarchie absolue. Trop de choses se sont passées. Il est sans doute poussé dans ce sens par les nations coalisées, qui viennent de battre la France. A part l'Angleterre, ce sont des monarchies absolues, mais leurs gouvernants jugent qu'on ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé. On en arrive donc à un compromis. C'est d'abord la déclaration de SaintOuen, faite par le roi à la veille de rentrer dans Paris, en mai 1814. Il promet de garantir les libertés politiques, l'égalité devant la loi (fin, donc, des privilèges), la liberté des cultes (même si le catholicisme est "la religion de l'Etat"), les situations acquises, la possession des biens nationaux (c'est capital pour tous ceux, assez nombreux, qui en ont acheté et les ont payés : il ne faudrait pas que leurs précédents propriétaires, Eglise ou émigrés, en exigent la restitution...) et enfin une constitution, la Charte, dite charte "octroyée" (c'est à dire accordée par le Roi, on maintient la fiction du droit divin: ce serait volontairement que celui-ci se priverait de certains droits), texte (voyez le dcuments n°1 de la palquettede travaux dirigés) qui symbolise l'ambiguïté de la situation, tant il dit que rien ne s'est passé pour accepter en fait des changements importants. La Charte instaure une monarchie qui n'est ni une parlementaire, ni absolue ; le roi y a seul le droit de paix et de guerre et l'initiative des lois ; il nomme les membres de la Chambre des Pairs, héréditaires ou "viagers" (nommés à vie), il nomme les ministres, réputés responsables (devant répondre de leurs actes), sans qu'ils soit précisé si c'est devant lui ou les chambres ; la Chambre des députés est élue au suffrage censitaire; il faut avoir 30 ans et payer 300 francs d'impôts directs pour être électeur, avoir 40 ans et payer 1000 francs d'impôts directs pour être éligible, conditions très strictes vue la valeur du franc-or : il y a, pour toute la France, 110 000 électeurs (moins de 2% des citoyens de plus de 21 ans : ils ne sont que 802 dans le Finistère, 32 en Corse) et 14 000 éligibles selon les relevés de 1828 (attention : on ne paie pas pour voter ; on vote parce que, par ailleurs et de toutes façons, on doit payer une somme donnée). Les chambres v otent l es l oi e t l e b udget; e lles p euvent d onc p aralyser l e gouvernement. Ajoutons que le Roi peut dissoudre la Chambre des députés, et que si les Pairs sont inamovibles, il peut toujours faire une "fournée de Pairs", en nommer de nouveaux pour modifier la majorité : il n'y a pas de maximum prévu. Et il peut faire des ordonnances "nécessaires à l'exécution des lois et à la sureté de l'Etat", c'est à dire légiférer en lieu et place des assemblées. C e compromis semble bien accepté, les problèmes sont ailleurs. Du point de vue territorial, la France perd une partie de ses Antilles, Nice et une partie de la Savoie mais garde Avignon, Montbéliard, Mulhouse, soit u ne p etite p artie d es c onquêtes d e l a R évolution... C ela c rée d es mécontentements. Ce qui e n c rée surtout, c 'est l'esprit revanchard des royalistes, les prétentions des émigrés rentrés, leurs pressions pour récupérer leurs biens confisqués, et celles de certains prêtres qui refusent parfois l'extrême-onction (la bénédiction des mourants) aux possesseurs de biens nationaux. Ajoutons que pour beaucoup, la famille royale est inconnue (après 25 ans!) et peu décorative. Or, le rapport de forces, en 1814, n'est pas totalement en faveur d'une dynastie qui s'est imposée faute d'autre solution. B) Les Cent-jours (mars-juin 1815) C'est ce qui explique le succès initial de Napoléon, qui s'évade de l'île d'Elbe (sur les côtes toscanes) et débarque à Golfe-Juan le 1er mars 1815. C'est une équipée folle, sans chance de succès, l'Europe coalisée ne pouvant la tolérer. Mais cela crée une légende dorée napoléonienne, auprès des soldats que la monarchie restaurée eveut licencier, des paysans auxquels on promet des baisses d'impôts, et du petit peuple des v illes, pour qui Napoléon n'est plus alors celui qui a mis fin à la Révolution, mais celui qui peut faire échouer la Restauration : un sauveur,et non plus un fossoyeur. Le 10, à Lyon, la foule crie "Vive l'Empereur, à bas le nobles, à bas les curés, mort aux royalistes". A Paris, on n'apprend le débarquement que le 5. Il y a des scènes émouvantes, des serments de fidélité au roi. Le maréchal Ney, maréchal d'Empire, promet de ramener Napoléon "dans une cage de fer", puis se rallie à lui, par fidélité au passé, pour suivre ses hommes, ou pour éviter une guerre civile. Le roi repart en exil, à Gand (ses partisans l'appellent alors "notre père de Gand"). Mais Napoléon refuse de s'appuyer sur le petit peuple qui l'a acclamé, et veut se rallier la France propriétaire. D'où l'Acte aditionnel aux constitutions de l'Empire , révision constitutionnelle inspirée de la Charte, avec un système représentatif. Une chambre censitaire est élue, mais l'abstention est énorme, le soutien des notables fait défaut, l'Empereur a même du mal à trouver des ministres... Il est vrai que le problème essentiel est d'ordre militaire, la Vendée se soulève, l'Europe attaque, et, le 18 juin, après 100 jours, c'est la défaite de Waterloo. Cet intermède, ces Cent-jours, a d'importantes conséquences, sur les plans intérieur et extérieur. L'Europe, échaudée, se montre plus sévère qu'un an plus tôt. Une partie du pays est occupée jusqu'en 1818. Toute la Savoie est perdue, et au nord-est, la France perd l'ouest du doigt de Givet, Sarrelouis, Sarrebruck, Landau (bref, sa frontière nord devient l'actuelle). Et elle est isolée en Europe, en quarantaine. Sur le plan intérieur, pour le Roi, rien n'a changé. Mais le Roi n'est pas tout le pays. C) La seconde Restauration (été 1815) Rentré en France le 8 juillet, Louis XVIII forme un ministère autour de Talleyrand et de Fouché, ministre de la police de Napoléon jusqu'en 1810. Il neutralise ainsi les bonapartistes, et les libéraux qui, soutenus par le Tsar, pensent à une autre dynastie, les Orléans, cousins de la famille royale. Mais dans le pays, c'est la Terreur blanche. A Marseille, à l'annonce de Waterloo, l'émeute éclate, on massacre des "mamelouks", réfugiés égyptiens misérables arrivés dans les bagages de Bonaparte. En Avignon, le général Brune est mis à mort. A Nîmes, le peuple catholique s'en prend à la bourgeoisie protestante, des dames sont fessées avec un battoir à clous qui imprime sur leur postérieur une sanglante fleur de lys. Seule l'armée d'occupation autrichienne ramène le calme. A Toulouse, une organisation secrête liée au comte d'Artois, les Verdets, parle de "royaume d'occitanie" fédéré à la France, et massacre le général Ramel, monarchiste modéré, envoyé par Paris rétablir l'ordre. On peut multiplier les exemples. Pour brider ce mouvement, le pouvoir prend des sanctions. Fouché propose une large liste d'exceptions à l'amnistie promise par le Roi. Selon Talleyrand, "il n'a oublié aucun de ses amis". Le roi intervient, la liste est réduite à 54 noms, que l'on prévient, et qui s'échappent, sauf le colonel Labédoyère et le maréchal Ney, qui se font prendre bêtement. Ces circonstances expliquent le résultat des élections, destinées à remplacer la chambre des Cent jours. Le système censitaire est maintenu. Il n 'y a que 72 000 inscrits dans toute le pays ; 48 000 votent, à 90% pour des royalistes passionnés, "ultra-royalistes", les "ultras". Le Roi doit gouverner avec une c hambre d e g entilshommes r uraux s ans expérience politique, plus royalistes que lui, qui reprochent à la Charte de composer avec la Révolution. Lui, entre satisfaction et ironie, parle de "chambre introuvable". Talleyrand est remplacé par le duc de Richelieu, un "émigré" qui, en 1803, a été chargé par le Tsar d'administrer la Crimée (selon Talleyrand c'est "l'homme en France qui connait le mieux la Crimée", façon d'ironiser sur sa connaissance de la France). La Restauration commence vraiment.
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- La Grande-Bretagne de 1815 à 1918 par François Bédarida Institut d'Études Politiques, Paris En 1815, la Grande-Bretagne sort victorieuse de vingt années de lutte contre la France révolutionnaire et impériale.