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La Double Fonction De La Comédie Et De La Tragédie

Publié le 18/09/2010

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Depuis l’Antiquité, l’homme a toujours représenté à travers le théâtre ce qu’il rêve d’être ou ce qu’il veut éviter de devenir tout en cherchant à divertir. Miroir de notre âme, le théâtre nous attire parce que nous nous y reconnaissons, autant dans les personnages mythiques et légendaires des tragédies, que dans ceux des comédies qui donnent en spectacle nos faiblesses et nos ridicules. Mais le théâtre nous instruit aussi moralement, tantôt par le biais des malheurs qui arrivent aux personnages désespérés et passionnés des tragédies de Sophocle, d’Euripide ainsi que de Racine et de Corneille tantôt par le miroir satirique de la vie quotidienne des comédies de Molière et de Marivaux. La tragédie et la comédie ont désormais une double fonction: divertir et instruire. D’abord on donnera une définition de tragédie puis on analysera comment la tragédie divertit puis comment elle nous instruit et on fera de même pour la comédie.

 

La tragédie grecque, dit Aristote dans la Poétique, est “l’imitation d’une action de caractère élevé (…) qui, suscitant pitié et crainte, opère à la purgation (catharsis) propre à de telles émotions”. Dans la tragédie on rend toujours compte d’un conflit: un être, place en situation de victime, est confronté à des forces qui le dépassent, aux drames de la destinée humaine (le mal, les passions dévastatrices, la mort, l’amour impossible). Cet être est le plus souvent un personnage d’exception. Il se comporte avec héroïsme face à une situation sans issue: un destin fatal, cruel, inexorable, qui se met en marche et ne peut être arrêté (Oreste: “Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne” Andromaque). Comme explique Anouilh dans Antigone la tragédie semble une machine qui démarre pour une cause insignifiante (“On donne un petit coup de pouce  pour que cela démarre”) et se déroule en privant l’homme de tout espoir ou toute liberté. Le héros tragique marche alors inlassablement vers la mort. La tragédie ne se caractérise donc pas par le dénouement qui est malheureux, c’est la mort. La tragédie “c’est propre”, “dans la tragédie on est tranquille (…) parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, sale espoir” on ne se débat pas  “parce qu’on espère en sortir” contrairement au drame (Jean Anouilh, Antigone). D’où émane alors le divertissement de la tragédie?

C’est en fait à travers le fond et la forme de l’histoire, même si elle est délimitée par une fin déjà connue, que la tragédie cherche à émouvoir le spectateur. La tragédie propose un spectacle total qui provoque l’admiration (pour les tragédies de Corneille), la terreur et la pitié (pour Racine) que chacun de nous ressort devant une situation où le destin s’acharne su un homme. Le fond d’une tragédie se forme à travers les différents procédés du tragique: une syntaxe et une ponctuation expressive, faites d’exclamations et d’interrogations, suivies de nombreux procédés rhétoriques particuliers dont l’alexandrin qui reste le vers tragique par excellence ainsi que de nombreux procédés d’amplification qui visent à rendre les personnages héroïques (“Hé bien! Connais donc Phèdre et toute sa fureur” Texte D, Phèdre de Racine) mais aussi d’opposition qui permettent créer des images frappantes (“Ces jours, si longs pour moi, lui sembleront trop courts” Texte C, Bérénice de Racine). La tragédie propose un spectacle dont le fond est esthétique, particulier et original mais ce n’est de moins pour la forme. “Il suffit que l’action en soit grande”, dit Racine dans le préface de Bérénice, que le sujet soit noble pour que des thèmes récurrents comme l’amour, l’haine, la jalousie, le sens de l’honneur et la fatalité contre laquelle l’homme ne peut rien soient exaltés. Ce sont ces passions “excitées”, les acteurs “héroïques” et ces sentiments d’admiration, de terreur et de pitié mélangés avec “cette tristesse majestueuse” qui font, tout ensemble, “le plaisir de la tragédie”. Au-delà du pur divertissement, la tragédie a hérité de l’Antiquité les visées morales et didactiques du théâtre grec. 

Le théâtre tragique nous révèle les interrogations fondamentales de la condition humaine, la place de l’homme dans l’univers, ses faiblesses, ses craintes, ses possibilités d’action face aux malheurs, qui nous permettent de réfléchir à notre propre vie et de mieux assumer notre propre destin. Car, même si ces interrogations sont magnifiées dans la tragédie elles restent toujours les nôtres. Electre, Antigone sont des jeunes filles qui nous confrontent à notre quête du bonheur  absolu (“Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent.” Antigone)  ainsi que Britannicus pose le problème du pouvoir en mettant en scène un tyran solitaire et amoureux. Les citoyens donc comme à l’Antiquité trouvent au théâtre tragique l’écho des questions politiques ou métaphysiques qu’ils se posent ainsi que toutes les composantes fondamentales de l’humanité. Pour Aristote la fonction principale de la tragédie est la catharsis, c’est-à-dire, la purgation des passions. Afin d’amener une purgation des mauvais désirs du spectateur, la tragédie, par le “mensonge vrai” du théâtre et la mise en scène des personnages hors du commun, permet de voir la passion, la jalousie, la culpabilité, le désir, la révolte dans l’état le plus extrême: le spectateur peut ainsi explorer une réalité plus intense que celle de sa vie quotidienne. Dans Oedipe-Roi de Sophocle, la violence démesurée des actions d’Oedipe provoque chez le spectateur répulsion et pitié, et contribue à la catharsis à travers la notion d’ubris, la démesure.

 

La double fonction du théâtre tragique s’établie donc de multiples et variées manières qui englobent la particulière façon de divertir les spectateurs et l’indirecte mais efficace méthode de les instruire tout en les rappelant un certain ordre moral à travers la catharsis. Suite à cette étude on va voir comment s’en prend la comédie pour accomplir cette double fonction.

 

 “C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens” écrit Molière dans La Critique de l’École des femmes, et la comédie se résume à ceci, faire rire, ou, au moins, à plaire (plaire puisqu’on ne rit pas forcément dans la comédie classique, qui provoque parfois la réflexion plus que le rire). Pour arriver à cette entreprise la comédie met en scène des personnages ordinaires, de condition modeste, des bourgeois, des paysans, utilise un ton familier et gai et  “vit de l’idée soudaine, des changements de rythme, du hasard et de l’invention dramaturgique et satirique” Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre. La comédie désacralise de cette façon les situations tristes ou désagréables contrairement à la tragédie qui les amplifie. Cependant “ rien n’est plus drôle que le malheur ” affirme Nell dans Fin de partie et “ le comique étant l’intuition de l’absurde. Il me semble plus désespérant que le tragique ” dit Eugène Ionesco. Caractérisée aussi par un vocabulaire facile à comprendre et une morale simple et pratique. Le divertissement semble donc être tout à fait une fonction ou plutôt un besoin de la comédie, mais, comment s’en fait-elle pour divertir ?

Tout est permis dans la comédie : mélange des genres (Dom Juan), rebondissements (les dénouements des pièces de Molière), quiproquos (Le Médecin malgré lui), coups de théâtre… l’important, c’est de plaire. Pour cela la comédie a recours à plusieurs procédés comiques : 

-Le comique des mots : niveaux de langage, lexique, jeux de mots, accumulations, absurdités (“Agnès : Vous ?/Arnolphe : Oui/Agnès : Hélas ! Non/ Arnolphe : comment non ? ” Texte A, L’École des femmes de Molière).

-Le comique de gestes : grimaces, exagérations, vêtements, accessoires…

-Le comique de situation : quiproquos, cachettes, rebondissements inattendus, chutes, surprises… (“ Parlons à c� ur ouvert, et voyons d’arrêter…(le tête-à-tête est interrompu par l’arrivée de visiteurs !) ” Texte B, Le Misanthrope de Molière.)

-Le comique de caractère : vices, coutumes, défauts tournés en ridicule car ils sont poussés à l’extrémité (Dans le texte A, L’École des femmes, l’ignorance d’Agnès semble être démesurée : Arnolphe fait élever Agnès avec l’intention d’en faire sa femme cependant Agnès trouve un homme dont elle désire épouser, il s’ensuit des explications : “ Agnès : Oui, je l’aime/Arnolphe : Et vous avez le front de le dire à moi-même !/Agnès : Et pourquoi, s’il est vrai, ne le dirais-je pas ?/(…)/Arnolphe :Mais il fallait chasser cet amoureux désir ”).

Mais, en plus de ces procédés, la comédie utilise des nuances du comique dont l’ironie (se moquer de façon faussement naïve), le burlesque (extravagance des situations), la satire (critique qui fait tourner en ridicule), la parodie et le pastiche (imiter pou caricaturer) et l’absurde ( mettre en évidence le non-sens d’une situation). La comédie propose donc une démesure, un excès dans les situations, les personnages, le langage, les gestes qui permettent au spectateur de prendre ses distances et de rire du spectacle. C’est d’ailleurs cette distance le plaisir du comique, elle permet de se libérer de ses angoisses et de se divertir avec le spectacle sans avoir la sensation qu’on rit de ses propres défauts. La comédie cache donc au-dessous d’un divertissement assuré une critique sur la réalité de la vie quotidienne de l’époque pour traiter des problèmes sociaux ou moraux.

Pour traiter ces problèmes la comédie s’intéresse aux manies et aux ridicules de l’homme et aux réalités de la vie quotidienne. Beaucoup plus proche de nous que la tragédie, elle propose des situations qui nous sont familières ou des personnages qui nous ressemblent. De cette façon, la comédie traite nos propres m� urs et nos sujets de société par le rire, castigare ridendo mores, corriger les m� urs par le rire : ”l’affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts des hommes, et principalement des hommes de ce siècle ” L’impromptu de Versailles de Molière. En outre, Molière s’efforce de “corriger les m� urs ” de sa classe, la bourgeoisie montante. Dans Le Misanthrope (Texte B) Molière s’attaque contre la Cour et ses “ grimaces ”. Dès la première scène il critique l’hypocrisie de la politesse t de tous les faits et gestes de l’humanité. Mais, suprême habilité de Molière, le “redresseur des torts ” (“Alceste ”) est lui-même ridicule. Sauf lorsqu’il revendique, en bourgeois progressiste “Qui je veux ? La raison, mon bon droit, l’équité ”. Dans L’École des femmes (Texte B) et dans Les femmes savantes Molière condamne à la fois le mariage imposé aux jeunes filles et l’abus d’intellectualisme pour les femmes mariées : une bourgeoise peut “avoir des clartés en tout ” mais il ne faut pas que cela l’empêche de bien tenir sa maison. Ou encore, dans le fameux éloge du tabac de Sganarelle dans Dom Juan où Molière tourne en ridicule les dévots, qui en condamnaient l’usage du tabac et qui avaient obtenu l’interdiction que sa pièce Tartuffe soit jouée, en plus, de s’en prendre au registre tragique de Corneille à travers l’alexandrin “Et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre ” situé au milieu d’un texte en prose, ce qui fait penser à un vers du Cid dans un contexte tragique. Ainsi, cet éloge du tabac est-il bien une parodie qui fait déjà apparaître la comédie dans toute sa plénitude, divertissante et critique. Mais Dom Juan reste une comédie énigmatique, qui mélange de façon très réussie comédie et tragédie. Par exemple, avec la mort de Dom Juan, le registre est celui de la tragédie, mais la dernière réplique de la pièce de Sganarelle nous replace dans le registre de la comédie. Alors qu’il vient d’assister à une scène grandiose et terrifiante, sa première réaction est celle de la cupidité : “mes gages ! ”. Puis il tire la moralité de la pièce “voilà par sa mort un chacun satisfait ”, tout le monde est content puisque Dom Juan est mort (même la censure). La comédie est donc par définition décapante, subversive et dénonciatrice et ne veut plus être un simple divertissement facile mais une critique des travers psychologiques : l’orgueil, l’avarice, l’entêtement… et des comportements sociaux : hypocrisie, refus de la loi… Le comique devient grinçant. Le ridicule cherche alors à désolidariser le public de “vices ” à la mode et sert à la prise de conscience… Ainsi, dans Dom Juan, Molière fait sa première satire de la médicine, avant celles du Médecin malgré lui, de L’Amour médecin et du Malade imaginaire, lorsque Sganarelle se déguise de médecin. Molière souligne l’erreur de Sganarelle de confondre religion et médicine par l’emploi d’un lexique inapproprié : “vous êtes aussi impie en médecine ? ” D’où un effet comique. Molière affirme à travers Dom Juan que la médicine “c’est une des grandes erreurs qui soit parmi les hommes ”.

Le théâtre est un genre littéraire très spécial : à différence des autres genres, il est un art complet qui mélange le plaisir d’un texte et d’un spectacle et sollicite tous nos sens, nos émotions, notre intelligence et notre conscience… Il est aussi un extraordinaire moyen pour les hommes d’exposer ses doutes existentiels, de mettre en question leurs préoccupations, de peindre la réalité, de critiquer, de divertir, d’apprendre… Il permet donc aux hommes de se rassembler et de partager des émotions en commun. Le théâtre a permit à l’humanité de se construire peu à peu, à travers de sa forme et de ses multiples variations, en commençant par représenter devant nous, nos ridicules, nos vanités et nos misères.  En effet, de la densité tragique qui pose les grands problèmes humains à l’apparente légèreté de la comédie posant les mêmes problématiques dans des situations plus quotidiennes, des acteurs masqués du théâtre d’Épidaure jusqu’aux comédies de Molière et les tragédies de Racine, tout est différent et pourtant tout concourt au divertissement et à la réflexion.

 

Toni Rosiñol Vidal

 

Bibliographie:

cours Cned et connaissances personnelles

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