LA DISCUSSION PERMET-ELLE DE LEVER TOUS LES OBSTACLES QUI NOUS EMPECHENT DE COMPRENDRE AUTRUI ?
Publié le 03/12/2011
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On associe traditionnellement la discussion à l’ouverture d’esprit et donc à la compréhension d’autrui. Généralement valorisée, il s’en faut pourtant que la notion de discussion possède des limites à son efficacité.
Se demander si la discussion permet de lever tous les obstacles qui nous empêchent de comprendre autrui apparaît donc comme une interrogation portant sur la complexité et les ambiguïtés de la notion de discussion par l’être humain et son pouvoir de comprendre les idées d’autrui.
La discussion semblerait se définir uniquement comme l’action de s’opposer par des arguments. Selon l’étymologie latine, « discussion » serait une secousse, un examen attentif. Mais la notion de discussion fait surgir un problème : Les intersections et le mappage entre la discussion, conçue comme un débat, un échange de vue, et son pouvoir de comprendre les idées d’autrui mais aussi ses sentiments, ses affects et ses motivations.
Dans un premier mouvement, on peut tout à fait acquiescer à l’idée que la discussion suffit pour comprendre autrui. En effet, la discussion ouvre des portes sur la compréhension d’autrui.
Car, d’un point de vue social, on peut affirmer que l’homme, seul être capable de paroles, peut créer un nombre infini de signes pour s’adapter à un nombre illimité de situations. Ainsi, comme l’écrit Descartes, dans Lettres au marquis de Newcastle, « ce qui fait que des bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent ». L’homme partage donc avec autrui un instrument de communication précis, en permanente évolution : les mots, qui structurent sa pensée. Grâce à son aptitude à raisonner et à débattre, il utilise cet instrument pour se faire comprendre et comprendre autrui. Selon Hegel, c’est dans le mot que nous pensons, il n’y a pas de pensée sans le langage. Le sens a besoin du langage pour se manifester.
Or, d’un point de vue logique, on peut estimer qu’argumenter avec autrui est un moyen de percevoir la vision de « l’autre » qu’il a du monde, ses pensées et ses impressions sur les choses extérieures, ce qui nous permet d’avoir un avis sur sa personne, son « intérieur » et donc de mieux le comprendre. C’est ce que l’exemple de Merleau Ponty, nous permet de démontrer. Selon lui, le dialogue permet le contact avec l'autre avec plus de perspectives. Chaque protagoniste exprime sa pensée et se rend disponible pour écouter l'autre. Ce qui peut déboucher sur une compréhension mutuelle.
Enfin, d’un point de vue culturel, on peut affirmer que la discussion aide à comprendre autrui lorsque « l’autre » a les mêmes origines, la même culture. Cette équivalence nous permet de savoir à quoi fait référence l’autre lorsqu’il exprime une idée car nos connaissances viennent des mêmes sources.
Dans un second mouvement, il faut prendre quelques distances vis-à-vis de la thèse initiale, selon laquelle, « la discussion suffit pour comprendre autrui ». En effet, il semble difficile de penser que la discussion est toujours capable de nous mener directement à cette compréhension de « l’autre ».
D’ailleurs, on pourrait se demander si les autres « outils » pour comprendre autrui sont assez précis pour exprimer nos idées, nos pensées. On peut suggérer que la compréhension suppose à la fois le « dit » et le « non-dit ». Comprendre l’autre c’est comprendre ce qu’il ne dit pas mais qui s’exprime en lui, qui peut se diffuser par ses gestes, son expression du visage, son attitude, l’intonation de sa voix etc. D’après Platon, ces autres « outils » ne sont pas valables : seul « le mot [est capable d’exprimer] l’idée ». Alors, si l’on suit l’idée de Platon, la discussion serait la seule façon de comprendre l’autre, mais elle ne pourrait pas lever tous les obstacles qui nous empêchent de comprendre autrui, dans le cas où celui-ci ne saurait comment exprimer ses émotions, sentiments, impressions etc.
Ainsi, on peut assurer que l’être humain est complexe, on ne peut pas en « faire le tour » aisément. Aucun être humain ne me connait de manière exacte, il parait donc logique que cette affirmation soit véridique dans le sens inverse : je ne connais personne entièrement. C’est ce que l’exemple de Leibniz, dans La Monadologie, nous permet de démontrer, lorsqu’il déclare que « l’âme a des replis qui vont à l’infini ». Le processus de la discussion nous permet d’objectiver le savoir, sans toutefois nous assurer une connaissance complète et exacte d’autrui.
Cependant, on peut procéder à un apprentissage de la culture d’autrui, entrer dans son univers pour mieux le comprendre. Une fois cet apprentissage effectué, nous pouvons retrouver une familiarité dans l’identification d’autrui semblable à celle que nous avions dans notre patrie d’origine. Sans pour autant adhérer à ses coutumes, nous les acceptons dans leur contexte et au travers de cette découverte, nous comprenons mieux les actions d’autrui. C’est ce que l’exemple de Claude Lévi-Strauss nous permet de démontrer, dans son œuvre Tristes tropiques : «Des sociétés qui nous paraissent féroces à certains égards, savent être humaines et bienveillantes quand on les envisage sous un autre aspect. […] Non seulement de tels usages sont plus humains que les nôtres, mais ils sont aussi plus cohérents ».
Dans un troisième mouvement, il faut prendre des distances tout à fait nettes vis-à-vis de notre thèse initiale selon laquelle la discussion suffisait pour comprendre autrui. En effet, il faut reconnaître que la discussion ne permet pas toujours de lever tous les obstacles pour comprendre autrui.
Or, nous pouvons penser que chacun d’entre nous à sa façon de percevoir les choses, de les vivre et de les ressentir. Si autrui ressent de la tristesse, je ne peux pas me mettre « à sa place » et ressentir exactement ce qu’il ressent. C’est ce que l’exemple de Maurice Merleau-Ponty, dans sa Phénoménologie de la perception, nous permet de démontrer quand il distingue le moi d’autrui : « … si nous faisons quelque projet en commun, ce projet commun n’est pas un seul projet, et il ne s’offre pas sous les mêmes aspects pour moi et pour [autrui], nous n’y tenons pas autant l’un que l’autre, ni en tout cas de la même façon, du seul fait que [autrui] est [autrui], et que je suis moi ». Cette distinction prouve que chacun a ses ressentis et qu’on ne peut éprouver exactement au même moment ou pour les mêmes raisons, ceux d’un autre individu. A ce niveau, la discussion permet seulement une interprétation et un point de vue de ce que ressent autrui.
Car, le dialogue peut se transformer en une polémique où chacun refuse toute compréhension du point de vue de l’autre. Dans ce cas, les interventions orales de ce genre sont assimilées à une lutte et donc inutiles à la compréhension d’autrui, car répétitives et « bornées ». La discussion se referme et ne laisse pas de place à l’échange d’idées. C’est ce que démontre Hans Georg Gadamer, philosophe allemand, lorsqu’il définit l’âme de son herméneutique : « Voilà en quoi consiste l’âme de mon herméneutique : comprendre autrui, c’est lui donner raison jusqu’à un certain degré ». Toute discussion à sens unique, c’est à dire sans considération de l’autre, est alors inapte à comprendre autrui.
Enfin, on peut être confronté aux limites de la communication à l’étranger, où nous perdons tous nos repères, car les codes de communication mis en place sont différents. Un signe ou une expression peuvent avoir une autre signification, dans ce cas l’autre devient pour nous une énigme. Les coutumes de chacun peuvent paraître incompréhensibles pour l’autre, ce qui bloque tout contact et dialogue entre les individus. C’est ce que l’exemple de Nietzsche nous permet d’illustrer, dans Par-delà le bien et le mal : « C’est pourquoi les gens d’un même peuple se comprennent mieux entre eux que ceux qui appartiennent à des peuples différents, même si ceux derniers usent de la même langue ; […] il en naît quelque chose qui « se comprend » : un peuple.»
A l’issue de notre réflexion, nous pouvons en conclure que la discussion est utile à la compréhension d’autrui, elle nous apporte sans cesse des informations le concernant et elle est très certainement l’instrument de communication le plus précis. Cependant nous pouvons mettre en doute son efficacité à comprendre autrui de manière plus profonde. D’autres outils, comme le langage du corps par exemple, nous permettent de percevoir des informations qui ne sont pas dévoilées par la parole.
Cette question nous fait réfléchir sur soi, sur les différences qui peuvent se trouver entre « moi » et l’autre, et nos facultés à les accepter et à comprendre l’autre. En voulant connaître autrui, on passe forcément par soi, en faisant une projection de sa propre conscience. Ceci fait appelle à notre tolérance, nous acceptons l’autre dans toute sa singularité et reconnaissons ses valeurs bien que différentes (religieuses, morales, culturelles…)
Nous pouvons ainsi nous demander si notre société tente de comprendre l’altérité ?
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