La conception littéraire du personnage de roman.
Publié le 16/01/2011
Extrait du document
« Un personnage de roman est simplifié et construit. On peut le comprendre. Dans la vie réelle, les êtres vivants sont des énigmes dangereuses. Leurs actions sont imprévisibles. Leurs pensées semblent entrer en eux, puis s’enfuir avec une rapidité qui confond. Dans ce désordre l’intelligence a grand-peine à trouver sa route. Au contraire, un personnage de roman est formé de ce que l’auteur y a mis. Créé par l’intelligence d’homme, il est accessible à une intelligence d’homme. «
André Maurois.
« Les grands artistes sont ceux qui imposent à l’humanité leur illusion particulière. Notre vision, notre connaissance du monde par le secours de nos sens, nos idées sur la vie, nous ne pouvons que les transporter en partie dans tous les personnages dont nous prétendons dévoiler l’être intime et inconnu. C’est donc toujours nous que nous montrons. L’adresse consiste à ne pas laisser reconnaître ce moi par le lecteur sous tous les masques divers qui servent à le cacher. «
Guy de Maupassant, Pierre et Jean, Préface.
Un personnage de roman est différent d’une personne parce qu’il est fictif. On peut se demander quels sont les liens qui l’unissent à une vraie personne. Certes, il est construit par l’auteur, qui en devient le créateur, en lui donnant un rôle dans une société choisie. Mais le lecteur peut s’interroger sur les raisons et les choix qui ont conduit à cette création et sur les idées et la vision du monde qu’il reflète.
Le choix de l’auteur peut en faire un être « simplifié «, selon le terme d’André Maurois. Cela signifie, par exemple, que l’auteur ne lui donnera qu’une seule tâche, celle de mettre en lumière un caractère (ex : l’avarice dans Eugénie Grandet de Balzac) ou une démonstration philosophique ( ex : Candide de Voltaire), soit pour mieux dénoncer, ou encore pour appuyer sa thèse. Le personnage devient alors une machine construite autour d’un seul élément. L’art de l’auteur doit donc consister à ne pas le réduire jusqu’à en faire un personnage « simple «.
Cependant, la plupart des personnages possèdent suffisamment de corps pour se rapprocher de l’humain. Créés par les sensations, les passions, voire la folie de l’auteur, ils sont plus sensibles et provoquent l’émotion du lecteur. Denise, l’héroïne de Au Bonheur des Dames de Zola, nous touche par les misères physiques et morales qu’elle endure dans le grand magasin. Certains personnages sont d’autant plus attachants qu’ils sont imprévisibles, ce qui les rend « humains «. Fabrice del Dongo, le héros de La Chartreuse de Parme de Stendhal, obéit à ses pulsions et passe tour à tour de l’exaltation à la tristesse, de la fébrilité à la passivité. Parfois, le personnage nous déroute en raison de ses choix et de ses positions. C’est le cas de Meursault dans L’Etranger de Camus, dont l’indifférence face à la mort nous dérange. Le personnage peut également être en construction, c’est le cas des romans d’apprentissage tels que L’éducation sentimentale de Flaubert. Il arrive que l’auteur ne puisse quitter son personnage à la fin du roman et qu’il lui accorde une « survie « dans une suite. Ainsi, Rastignac, l’un des personnages du Père Goriot de Balzac, traverse quasiment toute la Comédie Humaine. D’autres fois, l’auteur charge le lecteur de construire le destin final de son personnage, lui laissant la liberté de l’imaginer selon sa propre sensibilité, comme Augustin Meaulnes, parti vers « d’autres aventures «, à la fin du roman d’Alain-Fournier.
Le but du roman est souvent de donner un sens à la vie réelle, en insérant un message pour le
lecteur. Ce message doit donc être suffisamment accessible pour faire comprendre la vision de l’écrivain. Cependant, ce dernier se heurte à certaines contraintes qui peuvent dénaturer son propos.
Tout d’abord, le personnage est perçu à travers un point de vue unique, celui du narrateur qui n’est pas objectif. Pour qu’il le soit réellement, il faudrait une focalisation externe, or, qui mieux que l’auteur connaît le personnage, sa vie et son destin? De plus, si l’auteur se contraint à une telle distance, quel plaisir aura un lecteur à suivre les tribulations d’un être superficiel et fade ? Certes, on entend parfois un auteur avouer qu’il a été dépassé par son personnage, que celui-ci a pris davantage d’ampleur qu’il ne voulait lui attribuer. Mais n’est-ce pas l’inconscient de l’auteur qui parle alors ? Et ce manque « d’emprise « sur sa création n’est-il pas finalement le fruit de sa volonté libérée ? D’autre part, l’auteur est soumis aux contraintes de l’écriture. En premier lieu, il faut considérer le volume de l’ouvrage. Une nouvelle amène à la concision, alors qu’un roman peut s’étendre sur plusieurs tomes. Ensuite, l’auteur doit chercher à exprimer le plus précisément sa pensée. On donc peut se demander, en tant que lecteur, si ses mots sont l’exacte et fidèle reproduction de sa pensée, s’il nous livre bien le personnage tel qu’il l’a imaginé. Enfin, une dernière question se pose : que cherche à faire comprendre le romancier à travers ses personnages ? Qu’y a-t-il de si important à comprendre dans son œuvre et comment y parvient-il?
Le personnage nous apporte un enseignement lorsque nous nous identifions à lui, lorsque nous reconnaissons à travers ses défauts, ses qualités, ses erreurs, son chemin de vie, notre propre figure ou celle d’un de nos proches. Alors, nous pouvons nous interroger sur nos attitudes, sur nos choix, nos sentiments. Ainsi, les récits sur les périodes troubles de l’Histoire, peuvent amener le lecteur à réfléchir sur la force de ses convictions. De même, dans les personnages, nous cherchons une passion, une ambition, une réalisation de nous-mêmes que nous ne parvenons pas toujours à saisir dans notre vie réelle. Le tiède se rêve aussi passionné que Des Grieux dans Manon Lescaut, le lâche aussi valeureux que d’Artagnan. D’autre part, le personnage reproduit le monde de son créateur, il met en évidence ce que l’auteur éprouve ou croit. Hugo croit au bien, à l’humanité et à la possibilité d’évoluer vers la justice et la bonté. C’est pourquoi, tout au long des Misérables, Jean Valjean, l’ancien forçat farouche, marche vers sa rédemption. De son côté, Zola redoute la fatalité de la condition sociale et Gervaise succombera au même fléau que ses parents, l’alcoolisme, dans L’Assomoir. Cette vision de la condition humaine prend donc une volonté d’universalité à travers la démonstration de la logique du monde, perçue par l’auteur. Cette vision précise et construite, s’oppose à celle que nous transmettent certains auteurs du XX° siècle, notamment ceux du Nouveau Roman. Leurs personnages sans consistance et leurs aventures dérisoires transcrivent leur désarroi face à un monde réel qui les menace, et la lutte infinie pour comprendre et maîtriser notre condition.
Le personnage de roman est donc multiple. Il peut nous apporter une réflexion compréhensible de la vie réelle, par sa construction et sa simplicité, ou un moyen d’échapper à l’angoisse existentielle qui nous ronge, par son irréalité. Il naît de l’orgueil d’un créateur qui espère nous offrir l’évasion vers un monde imaginaire, ou la clé de l’existence. Créé parfois dans la douleur de l’écriture, il est à la fois le reflet de son auteur et de nos attentes.
Liens utiles
- ► Un roman doit-il chercher à faire oublier au lecteur que ses personnages sont fictifs ? Vous fonderez votre réflexion sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures r ujet - Objet d’étude : « roman », « personnages [...] fictifs » -» le roman. - Thème précis : « Un roman doit-il... » vous devez parler des caractéristiques que l’on peut attendre d’un roman, mais précisément en ce qui concerne les « personnages » (et non pas tous les éléments
- Nana, le personnage de Zola, éprouvait « une répugnance indignée contre cette littérature immonde dont la prétention était de rendre la nature ; comme si l'on pouvait tout montrer ! En matière de livres et de drames, Nana avait des opinions très arrêtées : elle voulait des oeuvres tendres et nobles, des choses pour la faire rêver et lui grandir l'âme. » Vous discuterez cette conception de la littérature en vous appuyant sur le roman naturaliste que vous avez étudié.
- Princesse de Clèves: Le personnage face à l’histoire au XIXe Siècle, en quoi la construction du personnage du roman au fil des siècles nous permet-elle de mieux comprendre le monde ?
- Le personnage de roman
- un personnage mediocre peut il etre un heros de roman