la complexité des rapports entre le personnage romantique incarné par la figure du révolté et le monde
Publié le 18/12/2012
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Le personnage romantique se construit une image par rapport au regard des autres et pose à sa manière la question de l'identité et de la vérité de l'être en étant confronté au monde, à l'Histoire en marche. Il se heurte à des obstacles, à l'hostilité des autres, dans le meilleur des cas à l'indifférence ou à un début de sympathie. Difficultés, confrontation, affrontement Musset projette certaines de ses aspirations dans le personnage de Lorenzaccio mais il s'agit d'un travail de transposition et ses sources d'inspiration sont variées si l'on tient compte de la dimension autobiographique et de l'autotextualité (réécriture d'un poème). Il retrouve ses souvenirs d'enfance marqués par un rapport harmonieux avec le monde alors que la vois de l'adulte résonne de manière cynique et amère. Lorenzo est un être de fuite insaisissable qui change de visage, de sentiments et de discours selon les circonstances, dans sa souplesse rusée, passant de la bravade à un faux évanouissement. La difficulté est liée à la nécessité d'un dédoublement entre le sujet qui se voit comme objet d'investigation avec un manque de recul et d'objectivité évidents. Un décentrement doit être opéré. Lorenzo joue avec les limites de l'aliénation alors que les autres personnages sont plus entiers et trouvent naturellement leur place dans la société en fonction de leur rang, de leur tempérament et de leurs aspirations : jeune fille pure (Louise), femmes irréprochables et intouchables (mère, tante), fille et femme perdues (Gabrielle, marquise de Cibo), personnages féminins résignés et passifs dans un monde dominé par les hommes ; républicains sages et vertueux (Philippe) ou plus fougueux (Pierre) qui veulent changer le monde par la force de leurs idées ou en passant à l'acte en risquant d'être écrasés par l'Histoire (ils meurent, sont emprisonnés, exilés ou se retirent de la scène politique) ; débauché immoral et cruel, prédateur du monde qui est saccagé comme une aire de jeux, un champ de bataille ou un terrain de chasse (Alexandre). Hostilité, méfiance, malentendu Les Florentins éprouvent un complexe obsidional car ils subissent un double joug aliénant, celui du pape et de Charles Quint. L'intégrité de la cité coincide avec l'identité républicaine. Quand la résistance intérieure s'effondre, le monde extérieur devient un refuge et la resistance prend la forme d'un exil salvateur. Le moi en souffrance, cherche sa place - d'où l'importance de l'exil qu'il soit géographique ou intérieur - et se sent jugé par les hommes et le monde entier. Lorenzo au début est protégé et soutenu par son cousin Alexandre avant de supporter les quolibets et les injures de ses détracteurs. Lui qui était arrogant et railleur, se replie sur lui-même, reste sur sa défensive, s'abritant derrière les sobriquets qui le masquent (« Lorenzaccio «, « Lorenzetta «), s'effaçant dans un évanouissement feint et magistral. Inversement Philippe apprend à le connaître et finit par le comprendre dans un mélange de respect et d'horreur. La pièce présente un conflit de générations qui reflète les combats de la jeunesse romantique menés par Hugo depuis la bataille d'Hernani. C'est ce que révèle la confrontation entre Lorenzo et Philippe Strozzi qui pourrait être son père biologique et spirituel et qui le critique, l'admire et le redoute en même temps. La rivalité entre les cousins (l'héritier légitime du nom et le bâtard) est latente si bien que la lutte n'est pas frontale contre ce représentant du pouvoir, de l'ignominie et du vice impuni. Le travail de sape souterrain vise à éradiquer le mal qui se pavane au grand jour, aux yeux du monde. Indifférence La réaction de l'enfant est de se replier dans son univers intérieur qui est celui de l'imagination et des livres, loin des turpitudes à venir du monde qu'il ignore. L'écolier que Lorenzo fut aurait pu devenir un érudit, un artiste, un être désengagé - comme les partisans de l'art pour l'art au XIX° siècle - ne poursuivant que l'amour de la Science, de la Beauté (tel Tebaldeo) ou le bonheur individuel. Au fil des années, pour être entièrement libre dans ses pensées et dans ses actes, Lorenzo s'habitue à porter un masque d'indifférence blasée et débauchée car s'il laissait éclater ses sentiments sincères, il serait paralysé par la tâche à accomplir, dévoilerait sa véritable personnalité et ses desseins criminels et ne pourrait plus se servir de sa tante comme d'un appât et tuer son propre cousin de sang-froid. Il ne doit jamais être pris au sérieux. Le danger du désengagement vient du sentiment d'indifférence généralisée à l'égard d'autrui même quand il s'agit de la même famille (Maffio livrant sa propre soeur aux appétits du duc). La mort d'un être cher (la fille de Philippe, la mère de Lorenzo) déclenche une prise de conscience violente et douloureuse qui fait prendre des décisions irrévocables aux personnages qui s'éveillent : le retrait de la vie politique, le renoncement. Le moi se pose en s'opposant au groupe qui le domine, à la réalité douloureuse et au monde. Le sujet pensif, roseau pensant conscient de sa fragilité et de ses capacités de résistance, a le choix entre l'action désespérée ou la résignation, la passivité mortifère. Lorenzaccio concilie les deux dans ce théâtre de l'absurde avant l'heure.
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