L’historien et les mémoires des persécutions et du génocide juifs pendant la Seconde Guerre mondiale en France, depuis 1945
Publié le 14/05/2014
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L'historien et les mémoires des persécutions et du génocide juifs pendant la Seconde Guerre mondiale en France, depuis 1945 Dès la fin de la guerre en 1945, la France est confrontée à une pluralité des mémoires. Le pays doit faire face aux souvenirs douloureux de la guerre, de l'occupation nazie et la politique collaborationniste du régime de Vichy. Entre ambiguïtés et paradoxe, certains se taisent quitte à modifier la mémoire collective du pays. Dans ce climat social et politique tendu, le sort des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale est mis à l'écart. Le travail de l'historien, lui, ne consiste pas pourtant à pratiquer l'oubli-occultation à des fins politiques. L'historien effectue un travail critique et une mise à distance des évènements vécus. Et permet ainsi de montrer l'évolution des représentations qu'un groupe se fait de son passé. Ici, des massacres antisémites auxquels la France de Vichy a participé. C'est ce travail précis qui va nous intéresser. En effet, un groupe est porteur de mémoires. L'Etat peut intervenir dans la vision du passé à des fins politiques, dans le but d'obtenir une vision commune du passé afin de consolider la société. Certaines atrocités comme les persécutions ne seront que peu évoquées dans un premier temps. Ce processus s'est mis en place en France de 1945 à la fin des années 60, où en période d'après-guerre Charles de Gaulle et le PCF ont instauré une vision patriotique de la guerre. Au travers de rituels et lieux mémoriaux, cette liaison entre histoire embrigadée et mémoires témoigne de la confusion populaire entre authenticité et vérité. Il faudra attendre les années 70 pour que la France regarde enfin son passé en face et que la communauté juive retrouve peu à peu son identité culturelle. Les recherches des historiens signent un renouveau dans le paysage français malgré un « passé qui ne passe pas » comme l'avait si justement nommé Henry Rousso. Nous sommes amenés à nous demander comment a évolué la mémoire juive de la Shoah et sa place actuelle dans la société. Pour se faire nous allons étudier les étudier de manière chronologique. Dans un premier temps, nous allons traiter de l'histoire juive occultée par un pays obnubilé par le mythe résistancialiste gaulliste. Cette partie s'étalera de 1945 à la fin des années 60. Dans un second temps, comment se met en place un rétablissement de vérité historique de 1970 à nos jours. Chaque partie se construira en deux mouvements, le travail des historiens sera mis en parallèle de la mémoire collective de la dite époque. Ces deux éléments seront ensuite croisés et confrontés l'un à l'autre. Comme dit précédemment, la période d'après-guerre en France est vécue au travers de la figure gaullienne. Cette dernière instaure une vision unie et résistante des français sous l'occupation allemande. Dans ce climat de joie malgré une idéalisation de la guerre, le génocide juif et les persécutions antisémites ne sont que très peu assumées. D'ailleurs, l'Etat ne leur reconnaît pas un statut privilégié. Après la guerre, le Lutetia, hôtel où se réunissaient les renseignements allemands a servi de lieu d'accueil pour les déportés uniquement résistants. Rien n'est prévu pour les tsiganes et les juifs. Si les tsiganes étaient inferieurs numériquement ont repris peu à peu une vie normale ; les juifs, eux, représentaient une part plus importante. C'est une raison parmi d'autres qui explique un renforcement du communautarisme juif. Dès 1945, les camps de transit de Pithiviers et Beaune-La-Rolande sont révélés au grand public. Grand nombre de personnes ignorait leur présence en France et a été choqué par tant de violence. Face à cette horreur, ce sont les résistants français déportés qui ont reçu un grand soutien. Dachau, Buchenwald et Mauthausen sont devenus des outils politiques pour pointer du doigt la barbarie nazie qui a torturé des membres de la Résistance. Les souffrances endurées par les juifs mais aussi les tziganes ou les homosexuels sont tues. Après ces découvertes, vient le temps des témoignages. Sans surprise, les conditions des juifs y sont peu exprimées ou du moins pas dans les journaux ou radios à grande diffusion. La mémoire des déportés non-résistants et non-politiques n'est pas plus écoutée. Cependant la déportation s'impose comme le symbole du martyre national, on ne fait pas de différence entre les déportés. Ce qui par conséquent entraîne une sous-considération du génocide juif. Les déportés politiques en France ont été 65 000 dont 23 000 sont revenus. Peu à peu, on observe un phénomène de groupe, les anciens déportés politiques forment des associations et réclament justice. Par exemple, en 1954 ils obtiennent la création de la journée nationale de la déportation. On estime le nombre de déportés juifs à 75 000 et le nombre de survivants à 2 500 soit bien moins que les déportés politiques. Malgré cela, leur reconnaissance est moindre à une époque où la France célèbre la Résistance. Simone Veil, envoyée à 17 ans à Auschwitz, faisait partie de ces rescapés juifs. Elle déclara qu'à cette époque la France « n'était pas à l'écoute des rescapés » et que le mythe résistancialiste était préféré. Ce climat n'incite pas les déportés à parler de leur propre expérience. Un film témoigne très bien de cette non-différenciation des déportés au détriment de la communauté juive, il s'agit de Nuit et Brouillard de Resnais Alain sorti en 1955. Ce documentaire a été commandé par le Comité d'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale afin de témoigner de la barbarie nazie. On y découvre des images d'archives soviétiques principalement. Néanmoins, dans la réalisation il ne rend pas compte des différents types de déportés et dénonce un système purement concentrationnaire. Ce film a d'ailleurs fait polémique ; une scène présentait un gendarme français surveillant un camp de concentration à Pithiviers. En 1961, la censure française a exigé que ce passage soit redécoupé. Ce fait qui peut paraître anecdotique démontre bien une volonté de supprimer toutes preuves non conformes au mythe résistancialiste et d'occulter le passé juif. Ce document audiovisuel relève de la confusion faite entre les déportés qui était aussi une réalité administrative. En effet, des cartes de déportés étaient distribuées aux survivants mais uniquement la mention « déporté politique » était annotée. Le terme « racial » était souvent rajouté à la main. L'événement du Lutetia et les cartes de déportés amènent un sentiment d'injustice qui pousse leur intégration par l'Etat. On n'honore toujours pas leurs mémoires quant au génocide mais leur situation est prise en considération. Plusieurs lois et actes font partie de cette logique d'assimilation. La première est une action symbolique et identitaire, tout juif français était autorisé à changer son nom ; la consonance israélite considérée comme une raison légitime. On estime à 5% le pourcentage de juifs ayant fait appel à ce recours. Les autres processus d'intégration sont eux, plus importants et relèvent de la condamnation des actes nazis. Les termes de « génocide » et « crimes contre l'humanité » sont instaurés et reconnus à l'échelle internationale. Ces nouveaux aspects juridiques sont créés lors du procès de Nuremberg qui a incriminé vingt-quatre personnalités nazies accusées de crime contre l'humanité dont quatorze ayant commis des actions anti-juifs constituant un facteur de culpabilité. Ces reconnaissances sont importantes d'un point de vue éthique et politique. Il est important de nuancer ces propos dans le sens où, malgré ces procès les condamnations sont peu nombreuses et l'épuration ne rend pas hommage au passé douloureux des Juifs. De Gaulle prend en charge cette épuration. Après la guerre, 350 000 personnes sont inquiétées. Et seulement 100 000 sont condamnées et 800 exécutées. Ces chiffres ont été réduits par les lois d'amnistie, dont la plus importante a été votée en 1953. Par ailleurs, les procès sont peu médiatisés afin de ne pas réveiller la foule endormie et aveuglée par l'illusion d'un passé glorifié. Afin de légitimer leur rôle d'acteurs de l'Histoire, les gaullistes instaurent leurs enjeux symboliques porteurs de mémoire. Le Mont-Valérien et le 8 mai 1945 deviennent des éléments clés de la politique de De Gaulle. La mémoire officielle apparaît dans le discours d'André Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin, résistant français gaulliste, au Panthéon en décembre 1964. Toute la Résistance est assimilée à De Gaulle et le pays ne se préoccupe plus de la condition juive et de ses enjeux. Pour cela, en 1949 est créé le Fonds social juif unifié qui a pour but de venir en aide à la reconstruction de synagogues. Symboliquement la Synagogue de la Paix est inaugurée à Strasbourg en 1958. Globalement, nous pouvons dire que de 1945 à la fin des années 60 l'Histoire française de la Seconde Guerre mondiale est axée sur une mémoire résistante. La mémoire juive est occultée, la Shoah et les persécutions juives ne sont pas les bienvenues dans un pays qui se reconstruit petit à petit. Et ceci est valable en Europe comme en Israël, où significativement le 19 avril est jour de commémoration du génocide. Ce sujet reste tabou malgré la participation des historiens dans cette mémoire fantasmée. Durant cette période, il n'était pas de bon goût d'évoquer la Shoah et son bilan. Néanmoins, quelques historiens se sont penchés sur la question. En 1951, Léon Poliakov est le premier français à relater la politique d'extermination des Juifs. Son oeuvre intitulée Le Bréviaire et la Haine préfacé par François Mauriac revient sur l'idéologie nazie, l'endoctrinement de toute une société et surtout les raisons sombres de l'antisémitisme. Les recherches faites pour l'écriture de cette oeuvre ont duré cinq ans, et malgré une précision indéniable son ouvrage n'a pas reçu l'attention attendue. Le travail de Léon Poliakov n'a pas permis une mise en avant des victimes de la Shoah en leur offrant une totale reconnaissance. Il n'est pas le seul à avoir essayé de faire entendre sa voix au profit de la mémoire juive en faisant appel à l'Histoire. Jules Isaac revient lui plus largement sur les origines de l'antisémitisme chrétien en 1947 dans Jésus et Israël. Son ouvrage a connu un franc succès au sein de la communauté juive française mais n'a pas pour autant ébranlé la mémoire française. Son questionnement est similaire à celui d'Emmanuel Levinas, philosophe de l'histoire, qui au sein de ses oeuvres remet le judaïsme comme objet philosophique. Ces trois personnalités se sont investies dans la reconnaissance de la Shoah et plus largement de l'antisémitisme. Néanmoins, une question se pose : leurs ouvrages sont-ils réellement objectifs ? Il est important de noter que ces historiens étaient tous de confession judaïque et nous sommes en mesure de nous demander si leurs travaux ne relevaient pas de la mémoire. Ces travaux d'histoire n'ont pas suscité un élan d'intérêt et ont même eu tendance à être occultés. Certaines oeuvres littéraires ont connu plus de succès et ont contribué à changer les mentalités. Le Journal d'Anne Frank est précurseur de la « popularité » que va connaître la mémoire juive au début des années 1970. Ce succès mondial est dû à la non-évocation de la déportation et de l'extermination, le récit s'arrête à l'arrestation de la jeune fille. Dans cette première partie, nous venons de voir quels enjeux mémoriaux ont connu les Juifs de 1945 à la fin des années 1960 et l'influence des historiens sur cette mémoire. Nous allons maintenant évoquer les changements politiques en France dès 1970 et ses répercussions sur la mémoire et le travail des historiens. Suite aux événements de mai 68, au décès de De Gaulle et la prise de pouvoir par Pompidou qui n'était pas résistant, la mémoire de la Shoah connaît un tournant. La mémoire juive de la déportation s'éveille. Et ce en grande partie grâce à la jeune génération d'anciens déportés. De nombreuses associations se forment et des films sont produits dans le but d'instaurer une mémoire juive. Une des plus importantes associations est : Fils et filles de déportés juifs de France créée en 1979 par le couple formé par Serge et Beate Klasfeld. Cette association avait pour but de défendre la cause des enfants de déportés juifs. La même année, un téléfilm américain nommé Holocaust traite du génocide des juifs orchestrés par les nazis. La communauté juive retrouve enfin une partie de son histoire dénoncée au grand public. Le film Shoah de Claude Lanzmann sorti en 1985 témoigne aussi d'une nouvelle mémoire et vision de l'Histoire. La distinction entre les déportés raciaux et politiques y est faite et globalement montre la mécanique du génocide. Tous ces exemples prouvent la création progressive d'une mémoire juive au rang national. Grâce à cette nouvelle mémoire, témoigner n'est plus aussi difficile et contribue aussi à se forger une meilleure Histoire commune. L'Association des fils et filles des déportés juifs de France tient un rôle important dans ce devoir de mémoire et dans les recherches effectuées au nom de l'Histoire. Aussi au nom de celle-ci, la communauté juive de France exige des procès, afin que justice leur soit enfin rendue. D'autant plus depuis 1964, la notion de Crime contre l'Humanité est instaurée et a permis d'incriminer Paul Touvier, Maurice Papon et Klaus Barbie. Le procès le plus retentissant a été celui de Touvier ; il fut le premier français condamné pour ce crime. Bien que sa date de jugement soit tardive, il a marqué l'opinion française. Il a été arrêté et accusé pour l'exécution des sept juifs au cimetière de Rillieux. En 1947, il s'était enfui et avait été couvert par des ecclésiastiques, ce point avait d'ailleurs soulevé des problèmes d'éthique. Dans quelles mesures des hommes de foi peuvent-ils protéger autrui ? C'est finalement en 1994, qu'il est condamné à perpétuité après un premier non-lieu. Sa situation a permis d'ouvrir les yeux aux français ; Touvier ne faisait pas partie du régime de Vichy et n'était pas soumis à l'Allemagne. Il avait donc agi de son plein gré. Ce cas soulève bel et bien le problème d'antisémitisme en France aussi évoqué par Paxton, historien américain. Maurice Papon a lui été condamné à dix ans de prison pour avoir organisé des rafles de juifs. Sa peine a été réduite en raison de son âge et pour son attitude résistante à la fin de la guerre. Il est important de noter que bon nombre de collaborateurs ont été « résistants de la dernière heure ». Le troisième grand procès est celui de Klaus Barbie ancien chef de la Gestapo à Lyon, surnommé le « boucher de Lyon », il a été condamné à perpétuité en 1987. Ces trois procès ont permis aux rescapés du génocide juif de témoigner de leur passé. Malgré cela, ils gardent une portée symbolique dans le sens où uniquement de grands dignitaires d'Etat ont été poursuivis devant la justice. Et encore aujourd'hui, des criminels nazis exilés en Amérique du Sud n'ont pas été jugés. La mémoire juive a ainsi entraîné la reconnaissance bien que tardive de la responsabilité de l'Etat Français. Le début des années 1990 marque enfin une séparation entre mémoire et Histoire. Le mythe résistancialiste a beau être passé de mode depuis vingt ans, l'Etat français n'a pas reconnu officiellement son entière responsabilité dans le génocide juif. Après De Gaulle et Pompidou, c'est au tour du président François Mitterrand de la nier. En effet, Pétain avait aboli la République pendant le régime de Vichy de ce fait la France n'est pas à blâmer. La période 1940-1944 ne serait donc qu'une « parenthèse » comme le disait déjà De Gaulle au lendemain de la guerre. Le refus de Mitterrand est remis en cause et son passé au sein du régime de Vichy aussi. En 1994, un journaliste du Monde publie Une jeunesse française, livre dans lequel on apprend que le président de la République a reçu la Légion d'Honneur du Régime de Vichy, qu'il a été un ami proche de René Bousquet (organisateur de la Rafle du Vel d'Hiv') et qu'il a pour habitude de fleurir la tombe du maréchal Pétain. Malgré ce passé, c'est en 1990 que passe la loi Gayssot qui punit tout acte niant l'existence de la Shoah (négationnisme), et se présente comme une loi mémorielle. Ce texte juridique punit toute discrimination raciale ou ethnique, tout en empiétant sur la liberté d'expression. Pour cette raison de nombreuses figures politiques s'y sont opposées comme Jacques Chirac, Simone Veil ou François Fillon. Mitterrand a au cours de son mandat (1981-1995) effectué de nombreux gestes symboliques envers la mémoire juive. Le 16 juillet 1992 a lieu la commémoration de la Rafle du Vélodrome d'Hiver, Mitterrand s'y rend ; il est le premier président à faire le déplacement. Bien qu'il était mis en cause pour son passé au sein du régime de Vichy, Mitterrand a largement participé à la reconnaissance de la Shoah. Toujours dans la même idéologie, le 24 avril 1994 Mitterrand inaugure le « Musée mémoriel des enfants d'Izieu ». Même si ces actes relèvent d'une volonté de changement et reconnaissance envers les déportations juives, ce n'est qu'avec Jacques Chirac que s'effectuera un vrai changement. Le 12 juillet 1995, ce dernier reconnaît officiellement la responsabilité de l'Etat français. Ce discours resté célèbre autorise les descendants des victimes juives à porter plainte et à demander la restitution de leurs biens confisqués pendant la guerre. Jacques Chirac continuera à agir au sujet de la mémoire des persécutions juives, en 2000 est mise en place, une fondation mémorielle : Le massacre de la Shoah présidée par Simone Veil. Depuis 1995, la France connaît une vague mémorielle. La mémoire est usée à des fins politiques et non uniquement historique. Nicolas Sarkozy a voulu, lui, héroïser la Résistance tout en mettant un point d'honneur à honorer la mémoire juive. Pour se faire, il a mené plusieurs actions dites « de mémoire ». La première a été la lecture obligatoire de la lettre de Guy Moquet, ainsi que l'association d'un élève primaire à un enfant déporté. Ces deux initiatives n'ont pas été appliquées, elles rentraient dans une logique de devoir de mémoire et non d'information historique. François Hollande a lui aussi apporté sa contribution au souvenir de la Shoah. A l'occasion du 70ème anniversaire de la Rafle du Vel d'Hiv, le Président a déclaré « Ce n'est pas l'histoire du peuple juif, c'est notre histoire » et a félicité Jacques Chirac pour sa reconnaissance de la culpabilité de la France. Tout comme son prédécesseur, François Hollande a invité l'Education Nationale à « transmettre le passé ». Lors d'un mandat présidentiel, choisir un lieu de mémoire est une manière d'occuper la scène de l'Histoire de façon légitime. Cette vague mémorielle prend de l'ampleur depuis 1990 et est dénoncée par de nombreux historiens. Rendre obligatoire le souvenir d'un événement revient à l'imposer ce qui ne relève plus de la liberté de penser. Il faut se souvenir, certes, mais choisir des lieux de souvenirs cela ne revient-il pas à imposer une vision de l'Histoire ? La génération née après la guerre, et avec la retombée du gaullisme et du PCF, sont prêts à revisiter l'Histoire. L'essoufflement du mythe résistancialiste se fait ressentir une fois de plus en 1971 quand le président Georges Pompidou gracie Paul Touvier, condamné à mort en 1946 pour crimes nazis, afin de « tourner la page ». Les historiens imprégnés de cet esprit contestataire reviennent enfin sur la position de la France pendant la seconde Guerre mondiale, son rôle dans la déportation et la vérité sur la Shoah. Le premier historien à revenir officiellement sur la Seconde Guerre mondiale n'est pas français mais américain. Il s'agit de Robert O. Paxton, historien spécialiste de cette guerre, qui dans son ouvrage La France de Vichy traduit en 1973 dénonce la thèse d'un double jeu du régime. Selon laquelle, la collaboration aurait protégé les Français et réussit à prouver que le régime de Vichy servait les idéologies allemandes de son plein gré. Selon lui la Révolution Nationale et la collaboration sont indissociables puisqu'en effet la première a besoin que Vichy et le Reich aient une bonne entente. De plus, Paxton avance que Pétain et Laval ont toujours cherché à collaborer avec l'Allemagne, et ne croit pas en un double-jeu de la part de Pétain. Paxton a été remis en cause par de nombreux historiens comme Marc Ferro qui lui reproche d'avoir utilisé des données d'archives sans les remettre dans un contexte historique. Néanmoins, des historiens français tels qu'Henri Rousso et Jean-Pierre Azéma se disent héritiers de leur homologue américain, et ont beaucoup écrit en approfondissant certaines de ses thèses. Henri Rousso est à l'origine de l'expression : « mythe résistancialiste » extraite de son oeuvre Le syndrome de Vichy. Un autre historien nommé Philippe Burrin a lui traité de l'accommodement des Français à la présence allemande dans son ouvrage La France à l'heure allemande. Il s'est demandé comment des gens qui ne s'étaient jamais rencontrés mais que leur pays opposait pouvaient cohabiter. Cette relecture de la collaboration en France par de nombreux historiens a permis principalement deux nouvelles mémoires : celle de la mémoire juive dans la déportation et la responsabilité de l'Etat français dans la déportation. Ces deux éléments paraissent indissociables. En 1975 Serge Klasfeld commence à dresser la liste des victimes de la Shoah en France. En 1978 est publiée La première édition du Mémorial de la déportation des Juifs de France. Ensuite, Serge Klarsfeld publie d'autres ouvrages de référence qui ont permis une meilleure compréhension des persécutions antisémites pendant la guerre. Il écrit : Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France (1983), Le calendrier de la persécution des Juifs de France (1993) et le Mémorial des enfants juifs déportés de France (1994). Récemment est sortie en librairie La nouvelle édition du Mémorial de la déportation des Juifs de France en 2012 qui est le fruit de 15 années de travail. La mémoire juive semble s'éveiller après plus de 25 ans de silence, face à elle, s'opposent les thèses nouvelles de l'extrême-droite négationniste. Selon lesquelles le génocide juif perpétré par l'Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale n'aurait pas existé. En France, ce mouvement politique est illustré par Robert Faurisson, enseignant en lettres et historien, qui est le premier à avoir renié l'existence des chambres à gaz. Grâce à une démarche quasi-scientifique il tend à prouver qu'elles ne sont que pure invention pour servir au complot juif. Cette idéologie est restée très minoritaire mais a séduit l'extrême-droite et une partie de l'ultragauche dans les années 1970 et 1980. Les propos de Faurisson ont été adoptés par d'autres. Néanmoins ils ont été jugés à plusieurs reprises pour « incitation à la haine raciale » et « contestation de crime contre l'Humanité ». Le travail des historiens est important dans l'évolution des moeurs comme celui de l'écrivain. La portée est différente et relève de la subjectivité mais ce n'est pas pour autant que son impact est moindre sur la société. Prenons l'exemple de l'écrivain et ancien déporté juif Primo Levi, son ouvrage Si c'est un homme écrit en 1945 n'a finalement trouvé un éditeur qu'au début des années 1970. Ce roman est un témoignage de sa propre expérience et a servi de documents de recherches à de nombreux historiens. En effet, il est l'un des rares survivants d'Auschwitz et son témoignage est d'une vraie rareté. Ici, la mémoire est un outil précieux pour les historiens. Pour conclure, la mémoire et le travail des historiens sur la Shoah a connu deux temps. Le premier celui d'une mémoire occultée au profit d'une vision glorifiée de la France où le souvenir de la barbarie nazie n'était pas le bienvenu. On préfère mettre en avant les déportés politiques qui deviennent les symboles d'une France unie et résistante. Ce passé dissimulé tente d'être totalement effacé au travers des lois d'épuration, suite au procès de Nuremberg. Pendant cette période, les historiens sont peu nombreux et n'obtiennent pas la reconnaissance attendue de leurs recherches. D'autant plus qu'une majorité était juive et leurs travaux avaient une grande dimension sentimentale, ce qui ne rentre pas dans le travail de l'Historien. Dans un second temps, la mémoire juive est au centre des débats et les historiens sont pris d'une fièvre passionnelle pour ce sujet. Les communautés juives peuvent enfin témoigner et les criminels nazis français condamnés. Cette situation paraît plus humaniste, en effet aucune vérité n'est dissimulée à des fins politiques. Cependant nous pouvons noter la création de plusieurs lois mémorielles qui empiètent sur la liberté de la presse et plus largement sur la liberté d'expression. Ces lois handicapent le travail des historiens qui doivent faire face à des discours basés sur un vécu traumatisant et non sur des faits historiques objectifs. Nous sommes donc amenés à nous demander dans quelles mesures la mémoire doit intervenir dans la juridiction d'un pays ? Et si le travail de l'historien est réellement possible sans avoir recours à la mémoire de chacun ?
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