kean de jean-paul sartre
Publié le 28/06/2015
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Kean. Acte IV, scène 2 Jean-Paul Sartre Jean-Paul Sartre est un écrivain et philosophe français, représentant du courant existentialiste, dont l'?uvre et la personnalité ont marqué la vie intellectuelle et politique de la France de 1945 à la fin des années 1970. Écrivain prolifique, fondateur et directeur de la revue Les Temps modernes, il est connu aussi bien pour son ?uvre philosophique et littéraire qu'en raison de ses engagements politiques , d'abord en liaison avec le Parti communiste, puis avec des courants gauchistes dans les années 1970. Joué pour la toute première fois au théâtre Sara Bernhardt en 1954, Kean est une adaptation par Jean-Paul Sartre de la pièce d'Alexandre Dumas, Kean, ou Désordre et génie, publié en 1836. À Londres au XIX ème siècle, Edmund Kean est un comédien shakespearien adulé. Don Juan invétéré, il amuse par son esprit la bonne société londonienne. Eléna, la charmante épouse de l'ambassadeur du Danemark est éprise de l'acteur. Le prince de Galles apprend que cet émoi est réciproque, et lui propose de renoncer à cette idylle contre une forte somme d'argent. L'extrait que nous allons étudier appartient à la scène 2 de l'acte IV et présente l'acteur Kean sur scène en train de jouer le rôle d'Othello, jaloux mythique de la pièce de Shakespeare. Dans le public se trouve Elena dont Kean est amoureux ; cette dernière est assise à côté du Prince de Galles que Kean soupçonne de la convoiter. Emporté par la jalousie, l'acteur quitte son rôle pour s'adresser directement à eux ainsi qu'au public. Nous pouvons dès lors nous demander dans quelle mesure cette scène, par un procédé subtil de mise en abyme, rompt et alimente à la fois l'illusion théâtrale et par là même invite le spectateur à entrer dans le « jeu ». Pour répondre à cette question, nous verrons que le théâtre est un monde d'artifices mis en exergue ici par le métathéâtre puis nous verrons que le comédien est bien, comme le soulignait Molière « un étrange animal ». I- Un monde d'artifices mis en exergue par le métathéâtre a.Une mise en abyme complexe : i.Champ lexical du théâtre «rôle », « joueriez », « Othello », « l'emboitage », « la scène », « bravo », « applaudissiez », « applaudissez ». + didascalies (« sifflets », « l'avant scène », ii.Kean = image du comédien : il joue Othello de Shakespeare. / s'adresse à Ana qui joue Desdémone + égocentricité du comédien (apparaît dans la phrase « Notre grand Kean, notre cher Kean, notre Kean national »), il sait qu'il a du talent, il se donne en spectacle. iii.Un discours théâtralisé : iv.Complexité liée aux interventions répétitives des didascalies qui font intervenir le public. b.le public, un personnage à part entière a.le public joue un rôle i.didascalies : « cris et sifflets », « à bas Kean ! A bas l'acteur !», puis « il fait un pas vers le public et le regarde. Les sifflets cessent » ? un public menaçant puis médusé par le courage du tragédien qui s'avance pour le défier ii.« gueules d'assassins » opposés à « vrais visages » ? Kean donne un rôle au public qui fait partie intégrante du spectacle, le public est versatile iii.l'acteur = produit des attentes du public « vous veniez ici chaque soir ? j'avais fini par croire que vous m'aimiez ». iv.un combat pour plaire : champ lexical de la corrida b.le public devient un interlocuteur et répond à Kean par des sifflets ? il rompt le 4ème mur. i.Apostrophe le public dans sa globalité mais aussi Elena et le Prince de Galles : « mesdames, messieurs » (l1 puis l6 puis l16) , « dites-donc » puis « regardez-le » ii.Phrase interrogative à destination du public : « Tous, alors ? « tous contre moi ? « (l16) « Qu'est-ce que je vous ai fait ? » (l17) « Vous n'applaudissez pas ? » (l26) iii.Utilisation du pronom « vous » pour s'adresser au public ? respect pour ceux qui chaque soir l'applaudissaient. iv.perceptions sensorielles uniquement (chaleur, mouvement, odeurs, lumière) c.le public = un collectif i.utilisation de pluriel et « tous » ? solitude de l'acteur et de Kean II- le comédien, « un étrange animal » 1.Kean, du « jeu » au « je » a.Minceur de la frontière entre la réalité et l'illusion théâtrale : i. alternance entre le texte de la pièce qu'il joue et sa parole : on ne sait plus qui parle. Antithèse dans « Je vous étranglerais (=Othello) si gentiment (=Kean) » et « Mon c?ur (=Othello et Kean) de lâche tout blanc (=Kean car Othello est noir) » ii.confusion entre réalité et fiction : dans « Cet homme n'est pas dangereux » est-ce Othello ou Kean ? + oxymore « un grand cocu royal » (cocu est encadré de deux adjectifs mélioratifs). iii.agressivité envers Ana (= le vrai Kean) s'oppose au respect qu'il met quand il parle à Elena (=le Kean amoureux qui joue) b.prise de conscience de Kean qui replonge le public dans la confusion i.« il faut donc que ce soit Kean » = se rassure et « qui applaudissez-vous ? Hein ? Othello ? » ? schizophrénie du comédien. ii.utilisation de l'ironie : prête au public des appréciations louangeuses (Notre cher Kean ? ») rythme ternaire, gradation et répétition soulignent la fausseté de ces louanges. 2.Une mise à nu progressive a.Un combat qui mène à la mort du comédien : i.Très forte affectivité du personnage : phrases courtes, exclamatives ? un esprit agité par ses émotions intérieures ii.Folie : Kean le jaloux devient peu à peu le furieux Othello iii. Champ lexical de la mort et de la violence : « « mise à mort », «étranglerais » « livides » iv.didascalie à la fin du texte : il retire son maquillage de comédien + « Oui, voilà l'homme ». Le clown fait place à l'homme. b.l'illusion théâtrale l'emporte : le paraître l'emporte sur l'être i.Risque de schizophrénie avec la dérive de sa personnalité propre vers le rôle ; Kean a compris que l'acteur est le produit d'une société. Le public ne peut pas supporter d'être confronté à un vrai drame, à de vraies émotions. Opposition entre « vraie colère » (l 14), « vrais visages » (l20) et « vous n'aimez que ce qui est faux » (l27) ii.le « nous » l'emporte sur le « je » ; à partir de la ligne 23, Kean ne parle plus à la 1ère personne du singulier, il utilise le « nous », « notre »,? revient dans son rôle de comédien. Conclusion : Cette scène proche du dénouement insiste sur le coup de folie d'un acteur génial qui ne sait plus dominer ses émotions. Sartre entend montrer ici comment l'acteur du XIXème siècle est condamné à jouer faux en raison des codes bourgeois de son époque. Car au moment où il devient naturel, Kean est banni de la bonne société. L'acteur est donc bien pour Sartre celui qui doit faire advenir la vérité de son rôle, mais plus encore celle de la société dans laquelle il exerce. L'acteur est donc le miroir où se reflètent nos attentes de spectateur.
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