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Karl POPPER (1902-1994) L'invention scientifique

Publié le 19/10/2016

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Karl POPPER (1902-1994)

L'invention scientifique

Je conçois les théories scientifiques comme autant d'inventions humaines - comme les filets créés par nous et destinés à capturer le monde. Elles diffèrent, certes, des inventions des poètes, et même des inventions des techniciens. Une théorie n'est pas seulement un instrument. Ce que nous recherchons c'est la vérité : nous testons nos théories afin d'éliminer celles qui ne sont pas vraies. C'est ainsi que nous parvenons à améliorer nos théories - même en tant qu'instruments : en créant des filets qui sont de mieux en mieux adaptés à la tâche d'attraper nos poissons, à savoir le monde réel. Ce ne sont pourtant jamais des instruments parfaits. Ce sont des filets rationnels créés par nous, et les théories ne doivent pas être confondues avec une représentation complète de tous les aspects du monde réel, pas même si elles sont très réussies, ni même si elles semblent donner d'excellentes approximations de la réalité. Si nous gardons fermement à l'esprit que nos théories sont notre propre création, que nous sommes faillibles, et que nos théories reflètent notre faillibilité, nous en viendrons alors à douter que les traits généraux de nos théories, leur simplicité par exemple, ou leur caractère prima facie déterministe,  correspondent aux traits du monde réel. Voici ce que je veux dire. Si un énoncé comme « tout chien a une queue » subit avec succès l'épreuve des tests auxquels nous pouvons le soumettre, nous avons alors de bonnes raisons pour croire que tous les chiens (ou chats) ont une queue, ou à tout le moins presque tous. Cette phrase, composée d'un sujet et d'un prédicat, est donc apte à décrire le monde ; elle est vraie. On aurait néanmoins tort d'en conclure que le monde est composé de sujets et de prédicats, ou de substances ayant certaines propriétés. [...] Tel que nous le connaissons, le monde est d'une grande complexité. Il se peut qu'il présente des aspects qui sont, d'une manière ou d'une autre, structurellement simples. Mais la simplicité de certaines de nos théories - dont nous sommes les auteurs - n'implique nullement la simplicité intrinsèque du monde.

L'Univers irrésolu : plaidoyer pour l'indéterminisme, tr. J. Bouveresse, Paris, © Hermann éditeurs 1984,  p. 36-37.

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