Kafka, le Procès (extrait).
Publié le 07/05/2013
Extrait du document
«
— On ne peut rien dire de précis à cet égard, répondit le peintre.
« Vous pensez peut-être que les juges sont influencés en faveur de l'accusé par la seconde arrestation ? Il n’en est rien.
Au moment de l’acquittement, les juges avaient déjà prévu cette seconde arrestation.
Elle ne les influence donc pas.
Mais leur humeur peut s’être transformée, une foule d’autres motifs peuvent avoir changé leur opinion sur le cas, il faut donc s’adapter aux nouvelles circonstances pour obtenir le second acquittement ; aussi demande-t-il en général
autant de travail que le premier.
— Et il n’est quand même pas définitif non plus ? dit K., niant déjà lui-même d’un mouvement de tête.
— Évidemment, dit le peintre, après le second acquittement vient la troisième arrestation, après le troisième acquittement la quatrième arrestation, et ainsi de suite.
Cela tient à la nature de l’acquittement apparent.
»
K.
se tut.
« L'acquittement apparent, dit le peintre, n’a pas l’air de vous paraître avantageux ? Peut-être préféreriez-vous l’atermoiement illimité.
Dois-je vous expliquer le sens de l’atermoiement illimité ? »
K.
fit : oui.
Le peintre s’était renversé confortablement sur son siège, la chemise ouverte sur la poitrine et une main passée dessous dont il se caressait les flancs.
« L'atermoiement illimité…, dit-il, s’arrêtant un instant pour regarder devant lui comme s’il cherchait une explication parfaitement pertinente, l’atermoiement illimité maintient indéfiniment le procès dans sa première phase.
Il est
nécessaire pour y parvenir que l’accusé et son auxiliaire, mais particulièrement l’auxiliaire, restent en contact constant avec la justice.
Je vous le répète, cela n’exige pas une aussi grande dépense de forces que l’obtention de l’acquittement
apparent, mais il faut peut-être faire encore plus attention.
On ne peut pas perdre des yeux le procès, il faut aller chez le juge intéressé à intervalles réguliers, y retourner à toutes les grandes occasions et chercher de toutes les façons à se
conserver ses faveurs ; si on ne le connaît pas soi-même il faut faire faire pression sur lui par des juges que l’on connaît sans renoncer pour cela toutefois à lui parler directement.
Si on ne néglige rien on peut se dire avec assez de certitude
que le procès ne sortira pas de sa première phase.
Sans doute ne cesse-t-il pas, mais l’accusé peut être à peu près aussi sûr de ne pas être condamné que s’il était en liberté.
La prolongation indéfinie présente sur l’acquittement apparent
l’avantage d’assurer à l’accusé un avenir moins incertain ; elle le préserve de l’effroi d’une subite arrestation ; il n’a pas à craindre avec elle de se trouver soudain obligé d’assumer les pénibles démarches qu'entraîne toujours la recherche
de l’acquittement apparent au moment où les circonstances s’y prêtent le moins pour lui.
Évidemment, l’atermoiement illimité entraîne aussi pour l’accusé certains désagréments dont il ne faut pas négliger l’importance.
Je ne veux pas
parler du fait qu’il ne se trouve jamais libre, il ne le serait pas non plus à proprement parler avec l’acquittement apparent.
Il s’agit d’autre chose.
En effet, l’instruction ne peut être suspendue sans au moins un semblant de cause.
Aussi
faut-il qu’elle se poursuive théoriquement.
On doit donc de temps en temps prendre certaines dispositions, organiser des interrogatoires, ordonner des perquisitions, etc.
Il faut en un mot que le procès ne cesse de tourner dans le petit
cercle auquel on a artificiellement limité son action.
Cela comporte évidemment pour l’accusé certains désagréments qu’il ne faudrait cependant pas vous exagérer non plus.
Tout cela reste en effet apparence ; les interrogatoires par
exemple sont très courts ; si on n’a pas le temps ou l’envie d’y aller, on peut s’excuser quelquefois ; on peut même, avec certains juges, régler d’avance l’emploi du temps de toute une période ; il ne s’agit au fond que de se présenter de
temps à autre au magistrat pour faire son devoir d’accusé.
»
Le peintre n’avait pas fini que K.
remettait déjà sa veste sur son bras et se levait pour s’en aller.
Source : Kafka (Franz), le Procès, Paris, trad.
par Alexandre Vialatte Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1976.
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