Jean-José MARCHAND Roman et récit
Publié le 15/01/2018
Extrait du document
La distinction entre roman et récit avait été opérée déjà par André Gide, vers 191 1 . Dans son esprit, le récit s'opposait au roman comme le simple au complexe. L'opposition du récit et du roman se référait alors à l'affrontement d'un art français dans la lignée de La Princesse de Clèves, de Dominique et d'Adolphe, et du grand roman russe et anglosaxon. Ramon Fernandez, en 1 926, dans La Méthode de Balzac, concevait roman et récit comme deux modalités de présentation: il soulignait la différence essentielle: l'événement
du roman a tandis que celui du récit a eu lieu. Le récit fait connaître, et non point naître les événements, et substitue \" un ordre d'exposition conceptuelle à l'ordre de production vivante •. Jean-José Marchand reprend ces distinctions en les éclairant à la lumière de l'esthétique romanesque de Jean-Paul Sartre.
<< Quand on vit, il n'arrive rien >>, écrit Antoine Roquentin dans son journal et cette apparente boutade est la clé d'un univers. Ne lisez pas Sartre si vous aimez les belles aventures, il s'est aperçu depuis longtemps qu'il n'y en a pas et cette conviction est si forte chez lui qu'il n'a pu se résoudre à en créer pour les besoins de la cause. Nous sommes au monde, nous nous débattons au milieu de tous ces atomes, nous sommes ces atomes et notre existence n'est pas un beau conte où tout s'enchaîne logiquement pour faire éclore l'événement ; l'événement est sur nous, constamment, il nous fait peur, nous ravit ou ne nous inspire qu'indifférence, mais rien ne le prépare,
à peine a-t-on le temps d'y réfléchir, il est déjà là, nous ne pouvons lui échapper ; à ce moment seulement tout s'éclaire, nous entrevoyons ses causes (partiellement au moins), mais déjà il faut repartir : le futur, devenant présent, me révélait le passé, il faut envisager le << nouvel 1> avenir : << quelque chose commence pour finir; l'aventure ne se laisse pas mettre de rallonge ; elle n'a de sens que par sa mort. Vers cette mort qui sera peut-être aussi la mienne; je suis entraîné sans retour 1> ( . . . ) .
( . . . ) C'est au fond cela que Forster entend par << fiction 1>. Il ne conçoit même pas qu'il y ait des fictions << objectives 1> comme une démonstration. Il décrit sous ce nom ce que nous appelons roman, pensant avec Gide, Sartre et Fernandez qu'il faut réserver le nom de roman à des << fictions 1> d'un genre tout spécial, celles qui représentent le temps. Un récit reproduit des événements conformément aux lois de l'exposition, un roman nous montre ces événements dans leur ordre propre. Nous pouvons, aidés par cette formule, distinguer à grands traits le roman pur du récit pur; le roman a lieu, le récit a eu lieu; le roman nous livre peu à peu un caractère, le récit l'explique; le roman regarde naître les événements, le récit les fait connaître ; le roman est constitué par des suites vivantes, le récit par des causales ; le roman se déroule au présent, le récit éclaire le passé. La première conséquence de ces observations est que le récit, quand ses héros sont des hommes, étudie de préférence une crise (qu'il explique), tandis que le roman n'a pas de sujet nécessaire, mais ses héros sont toujours des hommes. Gide a parfaitement raison, selon Sartre, de remarquer que le roman est << un surgissement perpétuel ; chaque nouveau chapitre doit poser un nouveau problème, être une ouverture, une direction, une impulsion, une jetée en avant de l'esprit du lecteur >>. C'est ce qui rend essentiellement faux le genre du roman historique qui n'est roman que dans la mesure où le lecteur ne connaît pas l'Histoire, car il ne saurait y avoir de surgissement de ce qui est passé. On remarquera cependant le parallélisme entre le romancier et l'historien, tel que nous l'avons décrit; le roman à ce point de vue n'est qu'une histoire qui se fait. ( . . . )
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à peine a-t-on le temps d'y réfléchir, il est déjà là, nou s ne pou vons lui échap
per ; à ce moment seulement tout s'éc laire, nous entrevoyons ses causes
(p artiellement au moins) , ma is déj à il faut repar tir : le futur, devenant pré
sent, me révélait le passé, il faut envisager le avenir : ( ...
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) C' est au fond cela que Forster entend par .
Il ne con çoit
même pas qu'il y ait des fictions comme une démo nstrat ion.
Il décrit sous ce nom ce que nous appelons roman, pensant avec Gide , Sa rtre
et Fernandez qu'il faut réserver le nom de roman à des d'un genre
tout spécial, celles qui représentent le temps .
Un récit reproduit des évé
nem ents conformément aux lois de l'expositi on, un roman nous montre ces
événemen ts dans leur ordre propre .
Nous pouvons, aidés par cette formu le,
distinguer à grands traits le roman pur du récit pur; le roman a lieu, le récit
a eu lieu ; le roman nous livre peu à peu un caractère , le récit l'explique ;
le roman regarde naître les événements, le récit les fait connaître ; le roman
est constitué par des suites vivantes, le récit par des causa les; le roman se
déroule au présent, le récit éclaire le passé .
La première conséquence de
ces observa tions est que le récit, quand ses héros sont des hommes, étudie
de préférence une crise (qu'il explique) , tand is que le roman n'a pas de sujet
néce ssaire, mais ses héros sont toujou rs des hommes.
Gide a pa rfaite ment
ra ison, selon Sartre , de rema rquer que le roman est.
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