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Jean HYTIER (né en 1899) Essai de définition du roman

Publié le 15/01/2018

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Jean HYTIER (né en 1899)

Essai de définition du roman

( ... ) Ne tombons pas dans une fausse précision qui restreindrait abusi¬vement un genre resté si vague dans l'opinion coutumière.

N'y voyons pas, par exemple, une fiction en prose : le Moyen Age a connu les romans en vers et rien n'assure, malgré l'échec de Jocelyn, qu'ils demeurent à jamais improbables : le génie peut tout, sauf renoncer aux lois de l'esprit.

Ne nous précipitons pas dans la considération des mœurs, des caractères ou des aventures ; un roman sans personnage n'est pas inconcevable ; nous ne pensons pas aux romans où des animaux constituent des person¬nages réels ni à un récit où s'animerait un monde végétal.. .. mais, théori¬quement au moins, l'intérêt romanesque peut jaillir d'une narration inhumaine. Rien de moins commode que d'assigner des limites à la fiction : un roman chimique, ou géologique, n'est-il pas possible ? Ne dit-on pas d'une œuvre pseudo-scientifique, d'un système sans vérité, que c'est un roman ? Les cosmogonies antiques étaient des romans. ( ... )

Cependant le roman ne peut se passer d'une considération : celle du temps. Une description n'est pas un récit. Un roman est donc, d'abord, une œuvre de langage qui se déroule dans le temps, non seulement parce qu'il lui est nécessaire, pour s'exprimer, comme à toute œuvre de l'esprit.

 

mais, surtout, parce que le contenu du roman a une organisation chrono-logique. C'est une histoire, vraie ou fausse dans son fond, ou mêlée de vrai et de faux, mais qui doit nécessairement : C) être fausse à la prendre à la lettre, car il n'y a pas d'art de pure reproduction; 2) se donner pour vraie. Une histoire vraie n'est pas un roman ; les mémoires, les biographies, les confessions n'en approchent que dans la mesure où ils mentent et usent de procédés. D'autre part, il faut intéresser et, par conséquent, se faire croire, au moins jusqu'à un certain degré (qui n'atteint jamais l'illusion complète, sinon le plaisir romanesque serait détruit : on ne jouirait plus de l'habilité du romancier). Grossièrement, un roman déroule un récit, fictif et vraisemblable destiné à intéresser.

L'intérêt provoqué par un roman peut découler de sources diverses. Le plaisir le plus esthétique consiste à nous attacher à sa facture. Dans tout roman, un homme nous parle ; le style de son récit, sa façon de conter et, d'un point de vue plus complexe, la technique du roman, donne à celui-ci son caractère d' œuvre d'art. Nous y reviendrons. Ensuite le romancier cherche à éveiller des émotions, et de toutes les sortes : par là le roman contient tous les genres littéraires : comique, tragique, dramatique, poétique, etc. Mais le comique et surtout le tragique y font exception (moins dans la nouvelle), parce qu'ils ne peuvent pas beaucoup durer ; le drame touche bien plus au récit, parce qu'il implique une variété chronologique. Quant à la poésie, elle tient parfois une telle place qu'il devient difficile de la déli¬miter, et que certains ne font aucune différence entre poésie et roman ( . . . ). En fait, tout ce qui est romanesque, au sens sentimental qu'on donne à ce mot, est poétique, parce qu'il apporte à l'imagination une satisfaction affec¬tive ; mais tout ce qui est poétique, surtout le plus haut lyrisme, est loin d'être romanesque ( . . . ) . Il n'en reste pas moins que le roman peut légiti¬mement viser, par endroit, à la poésie, ou subordonner un dessein poétique à un dessein différent (peinture de mœurs, de caractères, autobiographie ... ) . ( . . . ) La vraie poésie du roman se dégage de son atmosphère mentale, de la révélation d'une spiritualité inconnue. Mais il en va ainsi de toute œuvre d'art qui, malgré soi, tend à la poésie la plus haute, et ce n'est pas là que nous pourrons nous faire du roman une idée plus précise.

La nature du roman est trop mêlée pour se laisser deviner. Ce n'est pas à lui-même que nous poserons la question. Il vaut mieux nous adresser à d'autres formes littéraires ( . . . ) . Si la poésie manifeste essentiellement, dans le domaine de l'imagination qui est celui de toute la littérature, une métaphysique du sentiment qui déborde facilement sur tous les autres arts et sur la nature elle-même ; si le théâtre et, particulièrement, la tragédie, atteste par le jeu des actions la puissance d'un créateur à figurer dans des âmes diversifiées son propre dynamisme intérieur, autrement dit, si le théâtre est une métaphysique de la volonté, ne sommes-nous pas fondé à rechercher comme intérêt propre du roman le plaisir d'une synthèse où s'exerce, en fictions expressives, la faculté de penser devenue artistique, bref, à faire du roman une métaphysique de l'intelligence ?

Les Romans de l'individu, Les Arts et le livre, 192 8, pp. 4 sqq.

« mais , sur tout, parce que le con tenu du roman a une organ isati on chrono­ logi que.

C' est une histoire, vraie ou fausse dans son fond, ou mêlée de vrai et de faux, mais qui doit nécess airement : r) être fausse à la pren dre à la lett re, car il n'y a pas d'art de pure reproduction; 2) se donner pour vraie.

Une histoire vraie n'est pas un roman ; les mémo ires, les biog raphies, les co nfessi ons n'en approchent que dans la mesure où ils mentent et usent de procédés.

D 'autre part, il faut intéresser et, par consé quent, se faire croire , au moins jusq u'à un certain degré (qui n'atteint jamais l'illusi on co mplè te, sinon le plaisir romanesq ue sera it détruit : on ne jouirait plus de l'ha bilité du roman cier).

Grossière ment, un roman déroule un récit, fictif et vra isemblable destiné à intéresser.

L'in térêt provoq ué par un roman peut décou ler de sou rces diverses.

Le plaisir le plus esthétique consiste à nous attacher à sa facture .

Da ns tout roman, un homme nous parle ; le style de son récit, sa façon de con ter et, d'u n po int de vue plus complexe , la techni que du roman, donne à celui-ci son carac tère d'œuvre d'art.

Nous y revi endrons.

Ensuite le romancier cherche à éveiller des émotions, et de toutes les sortes : par là le roman contient tou s les genres littéraires : comiq ue, tragique , drama tique, poéti que, etc.

Mais le comique et surtout le tragique y font except ion (moins dans la nou velle) , pa rce qu'ils ne peuvent pas beaucoup durer ; le drame touche bien plus au récit, parce qu'il implique une variété chronologique .

Quant à la poésie, elle tient parfois une telle place qu'il devient difficile de la déli­ mi ter, et que certains ne font aucune différence entre poésie et roman ( ...

).

En fait, tout ce qui est roma nesque, au sens sentimenta l qu' on donne à ce mot, est poétique, parce qu'il apporte à l'i magin ation une satisfac tion affec ­ ti ve ; mais tout ce qui est poétique, surtout le plus haut lyris me, est loin d' être roma nesque ( ...

) .

Il n'en reste pas moins que le roman peut légiti­ mement viser, par endroit, à la poé sie, ou subordonner un dessein poétique à un dessein différent (peinture de mœu rs, de caractères, autobiographie ...

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) La vraie poésie du roman se dégage de son atmosphère mentale, de la révélati on d'une spiritualité inconnue.

Mais il en va ainsi de toute œuvre d'a rt qui , malgré soi, tend à la poésie la plu s hau te, et ce n'est pas là que nous pourrons nous faire du roman une idée plus précise.

La nature du roman est trop mêlée pour se laisser deviner.

Ce n'est pas à lui- même que nous poserons la quest ion.

Il vaut mieux nous ad resser à d'autres formes littéraires ( ...

) .

Si la poésie manifeste essentiellement, dans le doma ine de l'im agination qui est celu i de tou te la litt érature, une métap hysique du senti men t qui débor de facilement sur tous les autres arts et sur la nature elle-même ; si le thé âtre et, particulière ment, la tragédie, atteste par le jeu des actions la puiss ance d'un créateur à figurer dans des âmes diversi fiées son propre dynamisme intérieur, autrement dit, si le thé âtre est une métaphysique de la volonté, ne sommes-nous pas fondé à rechercher comme intérêt propre du roma n le pla isir d'une synthèse où s'ex erce , en ficti ons expr essives , la faculté de penser devenue artistique, bref, à faire du roma n une métap hysique de l'intel ligence ? Les Romans de l'ind ividu, Les Arts et le livre, 1928, pp .

4 sqq.. »

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