Itzhak Rabin, un faucon réaliste
Publié le 27/02/2008
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Commandant en 1945 d'un bataillon du Palmach, l'unité d'élite de la Haganah, l'armée secrète des juifs de la Palestine sous mandat britannique, colonel à vingt-six ans dans la nouvelle armée populaire d'Israël, il gravira tous les échelons jusqu'à devenir, en 1964, chef de l'état-major général. Trois ans plus tard, c'est lui, à ce poste prestigieux, qui sera, avec Moshe Dayan, le maître d'oeuvre de la guerre de six jours, cette victorieuse campagne militaire qui permettra à l'Etat hébreu de prendre le Sinaï à l'Egypte, le Golan à la Syrie, Jérusalem-Est et la Cisjordanie au royaume de Jordanie. De cette époque, en dépit de la terrible défaillance dont il fut victime pendant quarante-huit heures, juste avant le combat, datent l'admiration et la sympathie dont jouit, aujourd'hui encore, le " général Rabin " chez les officiers de carrière.
Nommé ambassadeur à Washington au début de 1968, le " héros des six jours " retirera deux choses de son long séjour américain (six années). D'abord la réputation - jamais démontrée mais largement utilisée par ses adversaires pendant la campagne électorale - de ne pas détester le whisky, ensuite, et c'est capital, la conviction que le destin d'Israël est indéfectiblement lié à celui de l'Amérique. Selon lui, et il l'a souvent laissé entendre pendant cette campagne, il convient de tout faire, en toutes circonstances, pour garder une relation privilégiée avec la Maison Blanche.
L'Amérique de George Bush exige-t-elle l'arrêt des implantations juives dans les territoires occupés ? Sans paraître céder à un " inacceptable diktat ", Itzhak Rabin répond qu'il gèlera la colonisation pendant au moins une année et que seules les implantations dites " de sécurité " (autour de Jérusalem, sur le Golan et dans la vallée du Jourdain) seront renforcées. De l'Amérique et de ses dollars dépendent à ses yeux la poursuite et la bonne intégration de l'immigration juive de l'ex-URSS en Israël. A l'opposé, l'Europe, à laquelle il n'accorde qu'une confiance limitée, n'occupe qu'une place très marginale dans ses préoccupations...
Absent de la scène intérieure lors du quasi-désastre militaire d'octobre 1973 - la guerre du Kippour, - Itzhak Rabin est appelé l'année suivante par Golda Meir, démissionnaire, à prendre la direction du Parti travailliste et, un peu plus tard, la tête du gouvernement. Parvenu aux affaires en juin 1974 " avec la confiance et la sympathie du pays ", écrit Elie Barnavi dans son Histoire moderne d'Israël, il en repartira trois ans après, non sans avoir " dilapidé, avec ténacité, et l'une et l'autre ". Le scandale provoqué par la découverte du compte en devises que son épouse Leah avait conservé aux Etats-Unis, en infraction avec la très stricte législation israélienne de l'époque, a provoqué sa démission.
Mais ce n'est pas cela que l'opinion lui reproche le plus.
Itzhak Rabin, qui se décrit volontiers comme " un bleu " quasi professionnel de la politique, est sans doute un homme intègre.
Mais il n'est ni vraiment souple ni très imaginatif. Bref, usés par près de trente années de pouvoir, les travaillistes sont renvoyés dans l'opposition par une droite triomphante en mai 1977. Cinq ans plus tard, lorsque le bouillant Ariel Sharon décide et conduit l'invasion du Liban, Itzhak Rabin, qui l'avait jadis embauché comme conseiller pour la défense, l'approuve des deux mains. Il lui conseillera même de couper l'eau et l'électricité aux quartiers ouest de Beyrouth, assiégée par Tsahal.
Sous le politicien, le militaire, le " faucon ", a craqué.
C'est pourtant lui qui, revenu au pouvoir en 1984 grâce à la constitution du premier gouvernement d'union nationale avec le Likoud de M. Shamir, conduira l'année suivante, à la tête du ministère de la défense, le retrait en bon ordre du bourbier libanais. De cela aussi, les militaires de haut rang lui sauront gré pour longtemps...
En décembre 1987, quand éclate l'Intifada palestinienne, le ministre de la défense du cabinet d'union est en voyage, encore une fois, aux Etats-Unis. Il déclare péremptoirement qu'il s'agit d'un " feu de paille ", que le soulèvement ne durera pas. " Il faut utiliser la force, la puissance et les coups ", lance-t-il avec éclat. Il ne s'en privera pas. Inventeur de la politique dite " de la main de fer ", le ministre puisera dans l'arsenal des lois d'exception héritées du mandat britannique pour arrêter, emprisonner et expulser à tour de bras. Et sans procès.
Après avoir déclaré : " Il faut leur briser les os ", expression malheureuse qu'un certain nombre de soldats prendront au pied de la lettre, il donnera consigne à l'armée d'ouvrir le feu, dans certaines conditions, sur les manifestants, les lanceurs de pierres ou de cocktails Molotov.
Pour autant, le militaire qui sommeille en lui n'aveugle point le politique. Dès 1988, toujours ministre de la défense, il explique à l'opinion que les Palestiniens en révolte ne sont " pas des terroristes ", mais " des nationalistes " qui luttent contre d'autres nationalistes, les juifs d'Israël.
" La question (palestinienne) n'a pas de solution militaire ", répète-t-il et, conséquent avec lui-même, il fera adopter par le gouvernement, en mai 1989, un nouveau " plan de paix ".
Profondément pragmatique, peu concerné par les arguments " bibliques " développés par une partie du Likoud pour coloniser le " Grand Israël ", le chef des travaillistes, jadis favorable aux implantations juives dans les territoires occupés, a évolué.
Convaincu qu'après la guerre du Golfe et l'effondrement du communisme international il existe " une formidable opportunité " de régler politiquement le conflit israélo-arabe, il estime possible d'octroyer un statut d'autonomie " personnelle " au 1,8 million de Palestiniens de Cisjordanie et du territoire de Gaza " dans les six à neuf mois ". Quitte à s'attaquer ensuite, " et ensuite seulement ", au problème " particulier " que pose la Syrie. Toujours un peu énigmatique, il s'affirme artisan de l'échange de " certains territoires " contre la paix, projet sacrilège pour M. Shamir et les siens.
PATRICE CLAUDE Le Monde du 25 juin 1992
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