Israël-OLP, la reconnaissance mutuelle
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
Aux yeux des Palestiniens, crispés dans leur refus, enfermés dans le cercle vicieux du " tout ou rien ", la moindre concession était impensable, puisque forcément injuste. Cette intransigeance était le meilleur alibi des sionistes les plus conquérants. Au fil des ans, et des défaites arabes, une majorité de Palestiniens en vinrent à se résigner au fait accompli, mais en continuant à lui dénier toute légitimité.
En somme, à leurs yeux, et pour reprendre un distinguo sartrien, Israël " existait " - comment ne pas le voir ? - mais n' " était " pas. En Terre sainte, l'Arabe de la rue parlait d'ailleurs plus souvent des " Juifs " que des " Israéliens ".
Sur la carte de Palestine qui ornait les murs de sa maison, l'Etat hébreu était invisible, comme sur les badges ornant les vestons de Yasser Arafat. Même un intellectuel comme Ibrahim Souss, écrivant il y a seulement cinq ans un petit livre à l'intention des Israéliens, préférait l'intituler : Lettre à un ami juif. Ce refus de reconnaître l' " existence légitime " de l'Etat hébreu explique pourquoi lorsque l'OLP accepta à Alger en novembre 1988 la résolution 242, clef de voûte de toute négociation au Proche-Orient garantissant la sécurité d'Israël - en même temps qu'elle " proclamait " un Etat palestinien indépendant - Yasser Arafat et ses amis donnèrent l'impression de franchir le Rubicon sur la pointe des pieds, de s'être résolus à contrecoeur à une concession exigée de manière pressante par les Etats-Unis. " Je n'ai qu'une carte, la reconnaissance d'Israël, avait déclaré le chef de l'OLP dans une interview au New York Times en 1984. Je ne l'abattrai que si j'obtiens quelque chose de substantiel en retour. Je ne suis pas Sadate. Lui s'est suicidé. Je dois être prudent. " Se voyant enfin offrir " quelque chose de substantiel " - la reconnaissance de l'OLP assortie d'une promesse d'autonomie à " Gaza et Jéricho d'abord ", - Yasser Arafat a donc abattu sa dernière carte. La " paix des braves " En admettant officiellement aujourd'hui le droit à l'existence d'Israël, quarante-cinq ans après sa naissance, l'OLP perd forcément une partie de sa raison d'être. N'avait-elle pas été créée en 1964, avec pour mission, comme son nom l'indique, de libérer la Palestine, toute la Palestine ? Cette reconquête fut l'objectif avoué, ou secrètement nourri, de plusieurs générations. Depuis près d'un demi-siècle, elle jalonne les discours, ponctue les slogans, inspire les poèmes. Pas facile d'y renoncer au profit d'une " paix des braves " plus réaliste, qui garantira au moins un " noyau de patrimoine ", mais bien moins exaltante. Certains mirages sont longs à se dissiper. Et d'abord l'illusion du " retour à Jaffa " entretenue par les réfugiés de 1948 et leurs descendants. En s'engageant à " invalider " les articles de sa Charte qui appelaient implicitement à anéantir l'Etat hébreu, l'OLP fait définitivement son deuil, dans la pratique, du " droit au retour ", cette version palestinienne du " rassemblement des exilés " revendiquée au profit des victimes de la première guerre israélo-arabe. Ce thème central des campagnes d'explication que mènent actuellement les chefs palestiniens " de l'intérieur " auprès des habitants des camps de Cisjordanie et Gaza reste sacrilège aux yeux des adversaires de l'OLP, qui entretiennent le projet d'ériger, sur les décombres de l'Etat juif, une Palestine, soit " laïque et démocratique ", soit, plus souvent, islamiste. La conversion au réalisme du mouvement palestinien ne peut que rassurer la majorité des Israéliens, écartelés depuis toujours entre l'espoir et la crainte, dans un pays en quête perpétuelle de légitimité. Ils pourront, demain, envisager avec une relative sérénité de vivre aux côtés d'un ancien adversaire qui a reconnu - et admis - sans équivoque leur " fait national ".
En attendant, Israéliens et Palestiniens devraient trouver leur compte dans le caractère " transitoire " de l'accord qu'ils signeront lundi à Washington et dont les mécanismes visent à générer la confiance mutuelle indispensable à leur future cohabitation. Les premiers auront le temps de tester les intentions de leurs partenaires, et la possibilité, en cas de malheur, de crier : " Pouce ! " Au cours de ce purgatoire de cinq ans, les seconds pourront veiller au développement harmonieux de leur " foetus d'Etat ", en attendant l'heure de l'accouchement, mais sans trop proclamer à l'avance l'heureux événement, par crainte de le compromettre. Les uns et les autres apprendront à se parler et à se connaître. Pour tous, cet accord de transition aura une valeur pédagogique. Pour la première fois, les deux peuples se regardent en face et se reconnaissent. Pour la première fois, ils apportent la même réponse aux deux questions centrales du conflit israélo-palestinien : Avec qui négocier ? Sur quoi négocier ? A eux d'imaginer enfin comment vivre ensemble.
JEAN-PIERRE LANGELLIER Le Monde du 11 septembre 1993
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