Israël et la Jordanie, la volonté de faire la paix
Publié le 27/02/2008
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Depuis près de trois ans, le Proche-Orient multiplie les " premières ", et comme si cela ne suffisait pas en soi, depuis dix mois environ l'Histoire s'accélère à un rythme tel que ce qui était inimaginable hier devient presque un fait divers aujourd'hui.
Lundi 25 juillet, le roi Hussein de Jordanie et le premier ministre israélien devraient se rencontrer pour la première fois publiquement à Washington, avec tout l'éclat que les Etats-Unis savent donner à un événement. Il y a moins de trois ans, une telle rencontre aurait fait scandale dans le monde arabe et sensation en Occident. A quelques exceptions près, les Arabes aujourd'hui restent indifférents, et leur silence équivaut dans bien des cas à une approbation. Les Occidentaux, eux, saluent l'événement comme une " avancée historique " - l'expression est du Quai d'Orsay - vers la paix. Sans plus. Yasser Arafat est désormais installé à Gaza et y a même reçu la semaine dernière le secrétaire d'Etat Warren Christopher. L'événement est passé presque inaperçu. C'est qu'ici et là on a compris que la paix était en marche et que ce qui aurait relevé du miracle - ou de la trahison - hier est aujourd'hui un résultat logique.
En Orient comme en Occident on a aussi compris que les Palestiniens étaient l'alpha du processus, et la Syrie l'oméga.
Damas se trouve " au sommet de la pyramide de la paix. Le sommet de Washington nous rapproche de cet objectif ", commentait dimanche à l'AFP un responsable israélien.
Pour mesurer l'importance des bouleversements en cours, il suffit de se rappeler que le roi a maintes fois été traité de traître dans le monde arabe, y compris par certains de ses pairs, pour avoir eu des contacts, en principe secrets, avec des dirigeants israéliens. A-t-il eu raison trop tôt ? Nul ne le pense ou en tout cas ne dit le penser et lui-même ne le souligne pas. Simplement, les temps ont changé. L'ironie de l'Histoire veut que Yasser Arafat, son principal " frère ennemi ", ait, avant lui, serré la main d'Itzhak Rabin.
Mais le paradoxe n'est qu'apparent. Sans une percée israélo-palestinienne d'abord, le roi ne pouvait pas, ne devait pas ouvrir le bal. Longtemps soupçonné d'avoir voulu faire cavalier seul et aussi de chercher à le faire aux dépens des Palestiniens, le monarque savait qu'il ne pouvait être que le cadet, voire le benjamin des Arabes qui ont directement maille à partir avec Israël. L'Etat juif l'avait compris qui pendant dix huit mois - la durée des négociations de paix bilatérales israélo-arabes - a constamment fait osciller sa priorité entre les Palestiniens et la Syrie, négligeant le Liban et la Jordanie, les parents pauvres du processus (dont la situation n'est d'ailleurs pas identique).
Le roi et le premier ministre israélien ne signeront à Washington ni des accords, ni une déclaration de principes à l'instar de celle qu'ont paraphée le 13 septembre 1993 sur la pelouse de la Maison Blanche MM. Rabin et Arafat. Ils ne concluront pas non plus de traité de paix. Ce sera fait dans quelques mois, a prédit dimanche le chef de la diplomatie israélienne, Shimon Pérès. Chaque chose en son temps, disent en substance les Jordaniens.
Leur seul face-à-face, leur poignée de main feront quand même l'événement, surtout s'il se confirme que les deux hommes proclameront la fin de l'état de belligérance. On n'aurait pu imaginer des progrès substantiels dans les négociations de paix, sans ce sommet spectaculaire à dessein. Mais la paix au Proche-Orient a aussi besoin de se donner en spectacle. Elle se nourrit de gestes et d'images qui frappent, qui contribuent à construire une normalité et qui sont considérés comme autant de mesures de confiance et de gages pris sur l'avenir.
Ce n'est pas faute de l'avoir voulu que la Jordanie et Israël n'ont pas, au cours des derniers mois, accéléré leurs négociations de paix. Dès la fin d'octobre 1992, leurs négociateurs étaient parvenus à s'entendre sur les grandes lignes d'un ordre du jour, mais une levée de boucliers palestinienne avait forcé les Jordaniens, sinon à remiser le projet au placard, en tout cas à opter pour la discrétion dans les pourparlers visant à lui donner davantage de consistance.
Leur heure n'était pas encore venue. Elle devait sonner à leur avantage après la signature de la déclaration de principes israélo-palestinienne à Washington. Les difficultés de la négociation sur l'application de cette déclaration et la quasi-paralysie des négociations israélo-syriennes risquaient d'enliser l'ensemble du processus de paix.
Mais Israël et les Etats-Unis ont besoin de la Jordanie pour trois raisons essentielles : d'une part, un accord, même intérimaire, avec l'OLP à propos de l'ensemble de la Cisjordanie est invivable si la négociation avec la Jordanie est bloquée en deuxième lieu, la " carte " jordanienne peut servir dans la négociation difficile toujours en cours avec les Palestiniens enfin, une accélération du processus avec Amman devrait accroître la pression sur la Syrie avec laquelle les choses avancent très lentement.
En outre, pour l'Etat juif, par-delà le symbole de la poignée de mains entre le premier ministre et le doyen des chefs d'Etat arabes, de surcroît descendant du prophète, se profile un projet de paix avec un Etat arabe et la perspective d'un début de normalisation avec les voisins. Le traité de paix - conclu dans d'autres circonstances il est vrai - avec l'Egypte en 1979 n'avait pas ouvert un tel champ. La Jordanie a elle aussi besoin de progrès. Le volet économique de l'accord entre Israël et les Palestiniens télescopait un autre conclu plus tôt entre le royaume et l'OLP. Une polémique feutrée s'est en outre engagée entre le roi et la centrale palestinienne à propos de la responsabilité sur les lieux saints de l'islam à Jérusalem-est. Récemment, le monarque a fait restaurer à ses propres frais le dôme de la mosquée El Aqsa. La question des réfugiés palestiniens - il y en a un million en Jordanie - ne peut non plus laisser la centrale indifférente.
Au printemps, le roi fit monter les enchères en subordonnant la reprise des négociations de paix à l'allégement du blocus imposé - dans le cadre des sanctions infligées à l'Irak - au seul débouché maritime du royaume, le port d'Aqaba. En mars dernier, il obtint que l'inspection des navires, qui se faisait en mer, provoquant des délais considérables et pénalisant la Jordanie, se fasse désormais à quai. Dès le mois de juin, les négociations avec Israël se débloquaient d'autant plus facilement que l'Etat juif acceptait enfin de discuter du tracé de la frontière entre les deux pays.
Le roi, qui n'excluait pas une rencontre avec M. Rabin le moment venu, l'a précipitée après avoir reçu des assurances américaines sur une assistance financière à son pays, notamment l'annulation de la dette et la fourniture d'armes modernes au royaume.
A la différence du Liban, dont les pourparlers avec l'Etat juif ne peuvent progresser sans au moins un feu vert du grand et tout-puissant voisin syrien, la Jordanie pouvait s'offrir le luxe de progresser dans ses négociations avec les Israéliens, au risque d'être critiquée pour avoir brisé la coordination entre les parties arabes concernées. Farouk Chareh, le ministre syrien des affaires étrangères, ne s'est pas privé de le faire savoir dimanche, après que la Syrie eut renvoyé à une date indéterminée les travaux de la commission mixte syro-jordanienne. Mais les exégètes du discours syrien jugent la réaction de Damas plutôt modérée à ce stade.
La grande question demeure aujourd'hui de savoir si les " avancées historiques " palestinienne et jordanienne auront un effet de contagion sur la Syrie, comme le souhaitent Israël et les Etats-Unis ou si, au contraire, elles sont un excellent moyen d'amener le président El Assad à se cabrer, refusant de se voir imposer le moment et le contenu d'un accord avec Israël.
MOUNA NAIM Le Monde du 26 juillet 1994
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