Illusion comique, Corneille: Acte II, 2 « Quoi Monsieur, vous rêvez …vous refuser son coeur »
Publié le 20/09/2010
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Pbatique : Comment se met en place dans ce dialogue une parodie du héros généreux.
I. Valeurs de la noblesse
1. Qualités intrinsèques et qualités visibles du généreux
a. Qualités intrinsèques
mises en évidence par Clindor : « âme hautaine « (221) ; « courage invaincu « (235) -> sens de courage.
Par opposition à Clindor, présenté par Matamore comme un « poltron «, un « traître « (231) ou traité de « veillaque « (245).
b. Mais, surtout, qualités visibles aux yeux de tous -> fama
(225) « nouveaux lauriers « ; (229) « qu’ajouterait leur perte à votre renommée «. Appel d’ailleurs au regard : « regarde, j’ai quitté cette effroyable mine « (249) ; « je vous vois aussi beau que vous étiez terrible « (254).
=> Ainsi Matamore nous est présenté, par le contraste même avec son valet, comme un homme de qualité. Dans quels domaines ? Ceux qui sont valorisés par la société et la littérature du temps, la guerre, propre des bellatores d’abord, l’amour courtois, ensuite.
2. Valeur guerrière
(222) « tant de beaux faits «, + précision (223) « abattre des guerriers «, lexique de la guerre « armée «, « murailles «, « escadrons «, « batailles «, « armer «, « commandement «, « canon «, « soldats «, « ennemis «, « massacre, détruit, brûle, extermine «.
=> saturation de ce vocabulaire. Matamore a d’ailleurs la figure de l’emploi « effroyable mine « (249), confirmé par Clindor (254) « terrible « et il fait figure dans une mythologie nouvelle de « second Mars « (à la rime, 243)
Mais, précisément, tel Mars, il connaît le temps de la guerre et le temps de l’amour (cf. mythe des amours de Mars et Vénus) et Matamore est aussi un valeureux amoureux.
3. Valeur amoureuse
Là encore sous égide mythologique « ce petit archer « ((247), Matamore se définit ainsi dans le vers final de sa tirade : « je ne suis plus qu’amour, que grâce, que beauté «. Confirmation de Clindor qui « ne [croit] point d’objet si ferme en sa rigueur / qu’il pisse constamment vous refuser son cœur «.
Cohérence dans la mesure où l’amour est un combat, l’objet de cet amour, un objet de conquête, même si, dans la tradition médiévale de l’amour courtois, Matamore ne se présente plus comme supérieur à l’ennemi mais comme prisonnier de son « bel œil « (251 : « ce bel œil qui tient ma liberté «).
➢ Ainsi, image d’un véritable héros, supérieur à tous, qui dans les armes comme dans les passions révèle son caractère supra-humain. Cependant, l’absence de modestie du principal intéressé et l’excès de cette présentation permettent d’en mettre en doute la réalité. Matamore, fidèle au programme de son nom (Matamoros : nom espagnol d’un faux brave de comédie qui ne cesse de se vanter de ses prétendus exploits contre les Maures // Capitan de la comédie italienne) n’est qu’un vantard, qu’un fanfaron. NB. Lorsque Corneille donne ce nom à ce personnage en 1636, il est déjà passé en français. C’est donc un indice permettant de percer l’illusion pour le spectateur de l’époque.
II. Une exaltation parodique
Les moyens du baroque au service de la moquerie comique.
1. L’excès rhétorique sonne faux
a. Les hyperboles
¤ « Le seul bruit de mon nom renverse les murailles / Défait les escadrons, et gagne les batailles « (233 /234) : contraste seul + cause infime / effet considérable et dévastateur, soutenu par le rythme ternaire.
Idem dans « D’un seul commandement que je fais aux trois Parques / Je dépeuple l’Etat des plus heureux monarques « (237 / 238)
Ou « d’un souffle je réduis leurs projets en fumée « (241)
« Je vais t’assassiner d’un seul de mes regards « (244)
▪ Seul contre tous, refus de l’armée.
¤ Travail sur la quantité, minime du côté de Matamore, considérable du côté des ennemis :
« Mon courage invaincu contre les empereurs / N’arme que la moitié de ses moindres fureurs « (235-236)
« Je couche d’un revers mille ennemis à bas « (240)
b. Les effets d’accumulation
Multiplication des faits d’armes, appel aux dieux, parmi lesquels Matamore semble figurer en bonne place, + effets rythmiques « qui massacre, détruit, brise, brûle, extermine « (250) soutenu par les jeux d’allitération ([k], [r], [t] -> sons durs) et d’assonance [i] stridents. Cf. aussi longueur de la phrase, au souffle puissant des vers 233 à 244.
2. Le mouvement et sa mise en scène accompagnent cet emballement
Multiplication des évocations de faits d’armes, soutenus par le rythme (interrogatives, exclamatives, rythmes ternaires…) induit une mise en scène énergique, où Matamore met en scène sa puissance guerrière ou sa douceur d’amant.
Cf. d’ailleurs la remarque de spectateur saisi devant tant d’énergie fanfaronne de Clindor, qui en fait n’est pas dupe et ironiquement incite cette vantardise à se déployer : « O dieux ! en un moment que tout vous est possible./ Je vous vois aussi beau que vous étiez terrible «. (253-254).
Le personnage de Clindor, faire-valoir, est d’ailleurs ici l’initiateur de ce mouvement, par ses provocations en apparence naïves cf. v. 230.
3. Matamore, personnage aux masques grossiers
cf. La rupture, d’autant plus perceptible qu’elle s’opère après un rejet au v. 245. Un simple « Toutefois « le fait passer de la colère extrême à la douceur extrême. Il souligne plus qu’un changement d’état d’âme, un changement de visage cf. « mine «, qu’il « quitte « comme on ôte un déguisement. Tout se joue sur un maladroit paraître.
CONCLUSION / Aidé par un Clindor ironique sous des dehors flatteurs, le spectateur a donc la satisfaction de lever une supercherie, de lever le voile d’une illusion. Il ne croit pas en la réalité de la valeur héroïque de Matamore présentée trop grossièrement pour être vraie. Il y voit un masque. Cependant, l’habileté de Corneille est de donner d’emblée des indices pour le coup de théâtre final, qui nous indiquera que ce que nous voyons là est une pièce dans la pièce, mais nous ne sommes pour l’instant en mesure de lever une partie du voile de l’illusion seulement. Nous croyons avoir affaire à un vrai fanfaron et nous découvrirons plus tard qu’il s’agissait, au sein même de la pièce, d’un acteur qui jouait le rôle d’un fanfaron.
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