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Honoré Gabriel de MIRABEAU (1749-1791) Le commerce des esclaves est inhumain

Publié le 19/10/2016

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Honoré Gabriel de MIRABEAU (1749-1791)

Le commerce des esclaves est inhumain

Vous l'avez vu, nos adversaires soutiennent que la traite des Nègres n'est pas inhumaine. Voyez le modèle d'un navire chargé de ces infortunés et tâchez de ne pas détourner vos regards. Comme ils sont entassés les uns sur les autres ! Comme ils sont étouffés par les entreponts, ne pouvant se tenir debout ni même assis, ils courbent la tête. Bien plus, ils ne peuvent ni mouvoir leurs membres étroitement garrottés, ni leurs corps mêmes, car soumis à tous leurs besoins, à tous les maux de celui dont ils partagent les fers, chaque homme est attaché à un homme, parfois à un mourant, quelquefois à un cadavre. Voyez comment le vaisseau qui se roule, les meurtrit, les mutile, les brise les uns contre les autres, les déchire par leurs propres chaînes. Se couchent-ils, tout l'espace est rempli et l'insensée cupidité qui les voudrait secourir n'a même pas prévu qu'il ne restait plus de passage et qu'il faudrait fouler aux pieds ces corps de suppliciés vivants. [...] Comme ils s'attachent, comme ils se collent à ce treillis. Écoutez ces hurlements, voyez ces derniers efforts de ces malheureux qui se sentent suffoquer [...].Vous n'entendez plus que le silence. Cet air mesuré par la barbarie, imprégné de douleur et de sang, n'est plus qu'une homicide atmosphère et malgré vous la mort de la moitié de ces victimes va faire de la place aux autres. [...] L'horrible cachot mouvant se dépeuple de plus en plus, Nègres et matelots moissonnés, les maux les plus affreux naissant les uns des autres, trompent par leur ravage l'avarice même qui les a enfantés ; l'avarice qui trouve l'or pour acheter des hommes et qui n'en a pas eu pour acheter l'air. Et ce commerce n'est pas inhumain... Mais ne serait-il pas possible de prévenir ces accidents affreux en chargeant moins de Nègres sur chaque vaisseau ? Non ; la traite alors deviendrait impraticable ; le marchand d'esclaves violerait alors je ne sais quel atroce et stupide règlement ; il ne peut tourner à son avantage ce commerce si hasardeux qu'autant qu'il entasse les Nègres comme des objets de cargaison. Ces malheureux qu'à terre on considérera tour à tour comme des hommes ou comme des animaux, ne semblent au moment du transport que des êtres inanimés, un véritable lest [...]. La cupidité humaine se joue à leur faire parcourir tous les règnes de la nature [...]. Et ce commerce n'est pas inhumain... Du moins, contents de dompter à force d'inhumanité les esclaves voyageurs, leurs conducteurs sauront-ils leur pardonner les tentatives qu'ils font, trop souvent en vain, pour se réfugier dans la mort, ou se procurer la liberté ? Non : cette dernière équité, on la rencontre parfois dans les âmes les plus féroces, mais l'inexorable cupidité l'interdit à ses agents. Tous les vaisseaux négriers abondent en instruments de supplice, non pas de mort mais de vie, et le croiriez-vous ? Un de ces instruments est destiné à faire prendre de force des aliments aux esclaves qui veulent mourir ! On les contraint ainsi à prolonger leur vie et leur misère [...]. Et ce commerce n'est pas inhumain... Mais je me trompe ; quelquefois les Nègres doivent le bienfait de la mort à leurs conducteurs. Chaque navire négrier emporte une provision de poison. II est utile dans les révoltes ; il est nécessaire, si le calme accueille ce vaisseau où l'avarice a mesuré la place des aliments. Par le poison l'équipage se délivre de l'esclave impétueux que les chaînes auraient peine à contenir et dont le généreux exemple inviterait ses compagnons à la révolte. Le poison supplée à la disette de vivres, d'eau [...].Vous frémissez, le fait est certain, il est avoué, il n'est pas contestable. C'est un des procédés nécessaires de la traite. On vous demande de décréter les meurtres, les brigandages, les atrocités qu'elle enfante. Rendez encore légal l'empoisonnement ; sans lui le trafic des esclaves ne saurait se maintenir ! Et ce commerce n'est pas inhumain... 

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