Henry de Montherlant, Les Olympiques : AMIS-PAR-LA-FOULÉE

AMIS-PAR-LA-FOULÉE NOUS avons couru côte à côte, deux beaux chevaux à un même char. J'avais ma foulée qui enfonce, ma foulée de chargeur de bataille. Les deux souffles partaient à la fois : une seule vapeur d'une seule machine. Quand nous avons accéléré, j'ai eu tant de plaisir que j'ai souri. La vitesse montait en nous comme de l'eau dans un conduit. Dans les virages inclinés, j'étais un peu appuyé sur lui. Ralentir avec la même décroissance a une douceur qui vous clôt les yeux. O mort exquise du mouvement ; quand le buste tire sur lui comme des rênes, Quand les bras s'abaissent et pendent comme dans la bonace des voiles retombées... Pour les Chinois, d'un accord d'instruments naissait entre les musiciens une sympathie. Comme nous disons : amis de collège, ils disaient d'un mot : amis-par-la-musique. Quel mot pour ceux qui ont couru ensemble dans l'accord de la foulée ? Henry de Montherlant, Les Olympiques, 1924.

Ce texte se subdivise, en apparence en deux instances inégales : la description d'une course, occupant les neuf premiers vers libres. Puis une réflexion générale, la recherche comparative d'une formule neuve pour qualifier l'harmonie d'un type nouveau née de l'effort commun des jeunes gens (les trois derniers). Cela dit, ce commentaire « off » (comme les pensées qui meublent le repos après l'effort) est inséparable, par la nature même de son interrogation comme par le jeu des images et métaphores dans l'ensemble du champ lexical, d'une thématique générale de la fusion, perceptible dès le début, mais qui culmine (et devient proprement voluptuaire) avec le début de la décélération (vers 7). On pourrait remarquer, d'ailleurs que, dans la segmentation du vers libre, la première partie des sept premiers vers, jusqu'à la césure (ou la césure épique) tend à « reconstituer » un octosyllabe, même non classique — à l'exception du troisième vers, mais pour un effet particulier, sur lequel nous reviendrons :