Guillaume Apollinaire - Les Colchiques, commentaire composé
Publié le 14/06/2011
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Guillaume Apollinaire est l'un des plus grands poètes du début du XXe siècle. Il pratiquait le calligramme (terme de son invention désignant ses poèmes écrits en forme de dessins et non de forme classique en vers et strophes). Il fut beaucoup inspiré par ses relations et déceptions amoureuses dans l'écriture de ses poèmes. C'est dans une de ses lettres en 1917 qu'apparaît pour la première fois la notion de surréalisme. Ami avec Picasso, il fut le chantre du cubisme, notamment. En novembre 1914, Apollinaire s’engage dans la Grande Guerre. Blessé, il meurt en 1918 emporté par une grippe infectieuse. Il fut inhumé au cimetière du Père Lachaise.
« Les Colchiques » est extrait du recueil de poèmes Alcools publié en 1913. Ce recueil, qu'Apollinaire mit 15 ans à élaborer, annonce la quête de modernité, de jeu avec la tradition, de renouvellement formel de la poésie de l'auteur. Il explore de nombreux aspects de la poésie, allant de l'élégie au vers libre, mélangeant le quotidien aux paysages rhénans dans une poésie qui se veut expérimentale. Alcools montre le poète déchiré sentimentalement par la rupture amoureuse, que l'histoire littéraire a retenue à travers des poèmes tels que Les Colchiques et, surtout, La Chanson du Mal Aimé. Son recueil poétique est d'inspiration autobiographique où le mystère est une constante.
« Les Colchiques » est un sonnet déstructuré. Tous les grands thèmes lyriques figurent dans le poème: l'amour, la fuite du temps et la nature, à travers le thème de l'automne. Comment ce poème est-il un sonnet lyrique? Nous montrerons dans un premier temps qu'il s'agit d'un sonnet déstructuré. Puis, nous verrons qu'il est dominé par le registre lyrique.
Tout d'abord, Apollinaire a volontairement brisé le cadre strict du sonnet pour parvenir à une structure impaire : 7 - 5 – 3. En effet, ce poème n'offre nullement à l'œil la physionomie d'un sonnet: il n'en a ni la disposition typographique, ni le nombre de vers (15 au lieu de 14). Cependant le retour des rimes automne/s'empoisonne et de la rime en a (lilas/fleur-là/fracas/harmonica) met en évidence une importante régularité. Mais les vers 2 et 3 sont choquants par leur brièveté. Pour retrouver la forme originale du sonnet, il faut réunir d’abord les vers 2 et 3, séparés pour suggérer plus de lenteur, faisant écho à l'adverbe de manière « lentement ». On obtient alors un alexandrin parfaitement régulier. Et le poème compte maintenant 14 vers. En le restituant, on retrouve la forme matricielle du poème, la forme du sonnet encore discernable malgré ses métamorphoses. Seul vestige très visible de la forme du sonnet traditionnel: le tercet maintenu à la fin du poème. Le jeu des rimes plates tourne le dos au système du sonnet ; pourtant la reprise des mêmes rimes sur les huit premiers vers rappelle l'homologie des rimes des quatrains. La forme de l'alexandrin subit des métamorphoses analogues : le modèle alexandrin s'impose dans les premiers vers tout à fait conformes à la norme. Puis il se défait, par exemple aux vers 9, 11, 14, qui ont un excès de syllabes. C'est donc l'ensemble du poème qui joue sur les formes poétiques traditionnelles, en les faisant sortir de leurs normes. De même, il néglige la ponctuation et ne choisit pas un mètre unique. Cependant, le non respect de la forme traditionnelle du sonnet constitue paradoxalement un certain respect pour celui-ci. Le changement de structure peut être mis en corrélation avec le thème du sonnet. La forme complète le sens du poème, reflète ses sentiments amoureux mortifères.
En effet, le poème d'Apollinaire est un poème lyrique sur un thème que l'on retrouve chez certains poètes : le poète pris au piège du regard de la femme aimée. Nous pouvons par exemple penser à Aragon et « Les yeux d'Elsa ». Apollinaire s'inspire ici de son amour pour une femme : la gouvernante anglaise Annie Playden. « Les colchiques », fleurs vénéneuses qui donnent leur nom au poème, servent de métonymie pour cette femme. Apollinaire reprend ainsi un des « lieux communs » ou topoï de la poésie : la femme fleur. Ce thème est cependant renouvelé de manière moderne. Apollinaire n'utilise pas le printemps mais l'automne saison où la nature commence à dépérir, mais où cette fleur vénéneuse, le colchique, fleurit. La comparaison du vers 10, qui se poursuit « fille de leur fille » évoque symboliquement l'anormalité du colchique dont le cycle vital est inversé. Le poète compare les yeux d'Annie à cette fleur. On a la présence de nombreuses comparaisons qui les qualifient, aux vers 5,6 et 11, connotations négatives, couleur sombre péjorative. Ses yeux sont comme les colchiques, celui qui subit leur regard « s'empoisonne » vers 7. On trouve également l'introduction surprenante d'un animal qui fait partie de la réalité quotidienne : la vache. L'originalité du poème réside dans le fait que les vaches, animaux prosaïques, deviennent des symboles car leur destin est comparé a celui du poète. Le meuglement de la vache, souligné par l'assonance en [an] au vers 14, est comparé à l'expression lyrique de la douleur du poète. En effet, son amour pour Annie Playden est un amour à sens unique comme le montre le rejet au dernier vers « pour toujours ». C'est un amour irréalisable. Les « enfants », qui marquent une rupture typographique et thématique, empêchent la relation amoureuse. Ils sont peut être les enfants dont s'occupe Annie, et derrière qui elle se cache pour se protéger d'Apollinaire. En effet, le poète suggère un dérangement bruyant brutal et grossier avec le champ lexical du bruit, amplifié par les allitérations. Les enfants viennent interrompre le charme maladif de la strophe précédente. La dernière strophe montre un retour à la normalité du sonnet : c'est l'isolement, la solitude du poète. « le gardien du troupeau », reflétant la présence du registre bucolique, peut faire référence au poète. Il « chante », seul, ce qui constitue un acte poétique. C'est l'abandon définitif de toute espérance amoureuse.
Ce poème pourrait donc être considéré comme un sonnet lyrique. Il s'agit cependant d'un savant mélange entre cette tradition et la modernité. En effet, à partir d'une forme stricte ancienne, le sonnet, Apollinaire créé une nouvelle forme, qui contribue également au sens du poème. Ce poème est en effet dominé par le lyrisme, s'appuyant sur la tradition poétique de la femme fleur qu'Apollinaire modernise pour illustrer une déception amoureuse.
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