Gracq, le Rivage des Syrtes (extrait).
Publié le 07/05/2013
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Gracq, le Rivage des Syrtes (extrait). Histoire du long endormissement de la Seigneurie d'Orsenna face au vide de la mer des Syrtes, d'où pourrait venir un hypothétique envahisseur, mais aussi histoire d'un amour rongé par l'attente et l'incertitude de l'avenir -- celui d'Aldo pour Vanessa, tous deux de vieille famille orsenienne --, le Rivage des Syrtes est un somptueux poème romanesque, nourri d'images qui donnent au décor, aux personnages et à l'intrigue une dimension d'irréalité. Au centre de l'oeuvre, le sommeil de Vanessa en son palais entouré d'« eau mouvante « entraîne Aldo en un long rêve éveillé. Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq [...] Je ne me sentais jamais tout à fait seul avec Vanessa ; au contraire, couché contre elle, il me semblait parfois de mes doigts pendants au bord du lit dans ma fatigue défaite sentir glisser avec nous l'épanchement ininterrompu d'un courant rapide : elle m'emportait comme à Vezzano, elle mettait doucement en mouvement sur les eaux mortes ce palais lourd -- ces après-midi de tendresse rapide et fiévreuse passaient comme emportés au fil d'un fleuve, plus silencieux et plus égal de ce qu'on perçoit déjà dans le lointain l'écroulement empanaché et final d'une cataracte. Parfois, à mon côté, je la regardais s'endormir, décollée insensiblement de moi comme d'une berge, et d'une respiration plus ample soudain prenant le large, et comme roulée par un flot de fatigue heureuse ; à ces instants elle n'était jamais nue, mais toujours, séparée de moi, ramenait le drap d'un geste frileux et rapide jusqu'à son cou -- son épaule qui soulevait le drap, toute ruisselante de sa chevelure de noyée, semblait écarter d'elle l'imminence d'une masse énorme : la longue étendue solennelle du lit l'enfouissait, glissait avec elle de toute sa nappe silencieuse ; dressé sur un coude à côté d'elle, il me semblait que je regardais émerger de vague en vague entre deux eaux la dérive de cette tête alourdie, de plus en plus perdue et lointaine. Je jetais les yeux autour de moi, tout à coup frileux et seul sous ce jour cendreux de verrière triste qui flottait dans la pièce avec la réverbération du canal : il me semblait que le flux qui me portait venait de se retirer à sa laisse la plus basse, et que la pièce se vidait lentement par le trou noir de ce sommeil hanté de mauvais songes. Avec son impudeur hautaine et son insouciance princière, Vanessa laissait toujours battantes les hautes portes de sa chambre : dans le demi-jour qui retombait comme une cendre fine du rougeoiement de ces journées brèves, les membres défaits, le coeur lourd, je croyais sentir sur ma peau nue comme un souffle froid qui venait de cette enfilade de hautes pièces délabrées ; c'était comme si le tourbillon retombé d'un saccage nous eût oubliés là, terrés dans une encoignure, comme si mon oreille dressée malgré moi dans l'obscurité eût cherché à surprendre au loin, du fond de ce silence aux aguets de ville cernée, la rafale d'une chasse sauvage. [...] Source : Julien Gracq, le Rivage des Syrtes, Paris, Librairie José Corti, 1951. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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