Gogol, Nikolaï - écrivain. 1 PRÉSENTATION Gogol, Nikolaï (1809-1852), écrivain russe d'origine ukrainienne dont les pièces, les nouvelles et les romans font partie des plus grands chefs-d'oeuvre de la littérature russe du XIXe siècle. 2 L'HOMME Issu d'une famille de hobereaux, Nikolaï Vassilievitch Gogol naquit à Sorotchintsy, dans la province de Poltava. Orphelin à l'âge de seize ans, il resta quelque temps auprès de sa mère, femme dévote et pieuse de laquelle il ne se détacha jamais. Il acheva de médiocres études au lycée de Niéjine et, dévoré de rêves de gloire, « monta «, en 1828, à Saint-Pétersbourg, dont il attendit beaucoup et qui le déçut aussitôt : cherté de la vie, difficulté d'y trouver un emploi, solitude et anonymat de l'armée des petits fonctionnaires avec qui il partagea la modeste condition. Déçu aussi par l'échec de sa première publication, une idylle romantique en vers (Hans Küchelgarten, 1828), dont il brûla, en secret, tous les exemplaires non vendus, il fuit brusquement à l'étranger (Lübeck, Travemünde, Hambourg). Cette expérience -- espoir, orgueil, déception, fuite à l'étranger -- se répéta plusieurs fois dans sa vie. De retour à Saint-Pétersbourg, il obtint un poste de professeur dans un institut pour jeunes filles d'officiers nobles : la publication d'alertes nouvelles ukrainiennes, les Soirées au hameau près de Dikanka (1831-1832), lui apporta d'emblée renommée et triomphe (réédition dès 1836) auprès du public qu'enchantèrent ces histoires de campagnards ukrainiens, leurs croyances, les légendes, le folklore d'une Ukraine exotique et mythique, où surgissaient diable et sorcières. Leur spontanéité et leur nouveauté séduisirent notamment Pouchkine, qui fut son conseiller et son ami. En plein essor littéraire, Gogol acheva brillamment le cycle ukrainien avec Mirgorod (1836), nouvelles en deux volumes où figure notamment Tarass Boulba, épopée bariolée de la lutte héroïque des Cosaques ukrainiens contre les Polonais : le ton optimiste du récit est une exception dans l'ensemble de l'oeuvre ; l'engouement qu'il suscita auprès du public et de la critique montra à quel point ceux-ci n'étaient pas préparés à apprécier les thèmes ultérieurs de Gogol. Plusieurs nouvelles introduisirent déjà un thème qui parcourt la totalité de l'oeuvre, celui de la pochlost, la vulgarité satisfaite d'elle-même ; s'y lisent simultanément la perception humoristique de la réalité et l'intuition du tragique de l'existence. La même année (1836) vit la parution d'un cycle de nouvelles inspirées de Péterbourg et réunies dans Arabesques. Composé du Portrait, de la Perspective Nevski, du Journal d'un fou et du Nez dans son édition de 1836, et ultérieurement du Manteau (voir Récits de Pétersbourg), ce cycle décline, d'une nouvelle à l'autre, dans le cadre unique de la ville de Pétersbourg, les thèmes de l'irréalité, de l'étrangeté, du déracinement. Dès l'automne de 1835, Gogol composa le chef-d'oeuvre du théâtre russe, le Revizor, dont le thème lui fut suggéré par Pouchkine : un jeune fonctionnaire de Pétersbourg, Khlestakov, désargenté, s'attarde dans une auberge de province, où les notables du cru le prennent pour un inspecteur ; exploitant sans vergogne la méprise, la servilité et l'inimaginable corruption des notables, Khlestakov quitte la ville en triomphe, fiancé à la fille du maire et nanti de pots-de-vin. Le rideau tombe sur l'annonce de l'arrivée du vrai inspecteur. Jouée le 18 avril 1836 devant le tsar Nicolas Ier, la pièce déclencha l'enthousiasme des uns, l'indignation des autres. Nul n'y vit le véritable dessein de Gogol : dénoncer les vices et non les institutions. Déçu par cette méprise, Gogol choisit, une nouvelle fois, la fuite et, de 1836 à 1841, erra à travers toute l'Europe, séjournant le plus souvent à Rome : le climat religieux de la ville, la nouvelle de la mort de Pouchkine (1837), la hantise de sa propre mort déclenchèrent une crise morale et religieuse (« mon âme se meurt d'épouvante au seul pressentiment de la majesté de l'au-delà «), dont l'aboutissement fut la conviction que tout homme, à la place que lui a assignée Dieu, devait faire le bien et, par son exemple, inciter son prochain à suivre cette voie. S'agissant de son oeuvre, celle-ci devait refléter le monde du beau et du vrai, amender les hommes, d'abord par le rire, puis par la démonstration en forme de prêche. C'est à ce grand dessein, moral et littéraire, que Gogol consacra ses dernières années et sa grande oeuvre, les Âmes mortes, dont la première partie fut publiée en 1842. Pouchkine encore lui avait suggéré le sujet : un propriétaire terrien doublé d'un escroc, Tchitchikov, parcourt la province russe pour acheter à vil prix des paysans-serfs morts après le dernier recensement, mais encore imposables par le fisc (les « âmes mortes «), et use de ce stratagème pour acquérir de nouvelles terres accordées aux propriétaires possédant un certain nombre de serfs. La deuxième partie, maintes fois corrigée, remaniée et finalement brûlée par l'auteur, prévoyait la rédemption de Tchitchikov. À partir de 1843, Gogol, à nouveau en constant déplacement à travers l'Europe, fut tout entier absorbé par sa mission -- devenir meilleur et convertir son prochain. Celle-ci envahit sa vie, vouée à la lecture et à la pratique religieuses, et ses écrits : Règles pour vivre en paix, À propos de nos défauts et des dispositions d'esprit qui produisent en nous le trouble et nous empêchent de demeurer en paix (textes inédits jusqu'en 1965), et surtout Passages choisis de ma correspondance avec mes amis (1846), tentative pour expliquer ses idées religieuses et morales mais qui jetèrent le désarroi parmi ses admirateurs. Victime de sarcasmes (Bielinski le qualifie de « curé de village «, d'autres de « Tartuffe Vassilievitch «), incompris tout au long de sa carrière, jusque dans le succès, Gogol entreprit un voyage en Terre sainte qui ne put l'apaiser. Tour à tour en proie au doute ou à une exaltation extrême, il se livra à l'ascèse, et mourut à Moscou le 20 février 1852, après avoir prononcé ces derniers mots : « L'échelle ... vite l'échelle ! ... «. 3 L'OEUVRE Gogol fut hâtivement considéré comme le premier véritable représentant du réalisme russe, ou comme l'initiateur de l'« école naturelle «, notamment par Bielinski. Sa technique narrative, reposant sur une profusion de détails concrets, burlesques ou triviaux, la peinture du peuple, un continuel va-et-vient de personnages, la dénonciation des vices sociaux de la Russie, contribua en partie à établir cette réputation. Pourtant l'oeuvre est plus ambiguë et plus complexe. L'irruption du diable, l'intervention de forces occultes dans le cycle ukrainien (les Soirées près du hameau de Dikanka), ressortissent au romantisme fantastique. Mais c'est à l'élément folklorique, aujourd'hui considéré comme l'un des moins caractéristiques de l'art de Gogol, que le cycle ukrainien dut son succès auprès des lecteurs. Dans Mirgorod, le mélange de sujets et de ton devient plus marqué : les récits sont reliés entre eux par leur couleur réaliste, mais le ton humoristique est largement présent. Les nouvelles pétersbourgeoises (Arabesques) appartiennent au fantastique. La transition des diableries au fantastique correspond au passage de l'Ukraine à Saint-Pétersbourg. La ville excentrique, hors de Russie et d'Europe, peuplée d'Allemands russifiés, de Russes européanisés, illuminée en son centre, misérable et glauque à sa périphérie, apparaît à Gogol comme une ville étrange, sans racine. Fruit de son imagination, le Pétersbourg de Gogol devient le lieu privilégié où se mêlent le fantastique et le quotidien, la trivialité et le néant. D'étranges, de burlesques destins s'y dénouent : ainsi dans le Nez, histoire d'un nez qui, séparé de son propriétaire par un malencontreux coup de rasoir, devient un important fonctionnaire, l'absurde, l'invraisemblable est double : ce n'est pas la transgression de l'ordre naturel qui obnubile les personnages, mais l'infraction à l'ordre social. En greffant du fantastique sur le réel, Gogol veut nous montrer que le réel est fantastique. L'intention de Gogol n'est pas de peindre fidèlement la réalité, elle n'est pas non plus de faire une caricature, une satire dénonçant les tares du régime. Le héros du Manteau, Akaki Akakievitch, est présenté comme une créature dépourvue de sensibilité, d'autonomie, de sexualité, un « brave animal « qui trouve sa jubilation dans la calligraphie. Pourtant cet être aliéné suscite la compassion à mesure que s'amplifie la force du trait satirique : à la satire se mêle la tendance humanitaire, tendance qui devait inspirer de nombreux futurs talents, et notamment le Dostoïevski des Pauvres Gens, à qui fut attribuée la célèbre formule : « Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol «, mais qui fut en fait prononcée par Tourgueniev. Le Revizor et les Âmes mortes confirment le dessein, non perçu par ses contemporains, de Gogol -- sauver la Russie -- mission dont la nécessité grandit à mesure que s'amplifie sa crise spirituelle. L'oeuvre de Gogol est d'une importance sans précédent (exception faite de celle de Pouchkine) dans l'histoire des lettres russes : sa technique de création des personnages, ses innovations linguistiques, son humanitarisme influencèrent Dostoïevski, Saltykov-Chtchedrine, Biély, Boulgakov et de nombreux autres. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.