Georgetown (Guyana)
Extrait du document
«
Montherlant anticipe les possibles réactions du public par des épithètes émotionnelles :
passion étrange, sentiment si peu ordinaire, invraisemblable , odieux , comique .
La comparaison
avec la contrainte totalitaire ne semble résister que si elle est rapportée à la liberté à laquelle
Pasiphaé, elle aussi, aspire mais de tout autre point de vue elle nous paraît surprenante sinon
déplacée.
L’argument de l’écrivain qui défend sa pièce se rapporte à l’actualité de celle- ci.
Son
argument a également la valeur d’un avertissement par la certitude qu’il exprime sur la fatalité d’un
drame similaire dans la vie de chaque homme à un moment quelconque de sa vie .
Rappelons-nous
que Montherlant allait écrire six ans plus tard l’essai intitulé La Déesse Cypris où il revient sur les
convictions des Grecs qu’il approuvait entièrement :
Le monde antique, à sa fin, n’adorait plus que trois divinités : le Soleil, la Fortune et
Cypris.« Potens diva Cypris ».
( E., p.
1572)
Voilà quelques unes des multiples questions qu’un tel texte peut encore poser.
A notre avis,
sa force réside notamment dans la construction du personnage de la reine Pasiphaé, caractérisée par
une morale de la solitude, et dans son discours théâtral à grand impact sur le lecteur ou le
spectateur.
Le XX
e siècle, qui s’inscrit comme une période éminemment tourmentée, pleine
d’inquiétude et d’interrogations que l’homme ne cesse de formuler sur le sens de son existence, sur
les problèmes éthiques et sur son intégration dans une communauté qui lui est souvent hostile et ne
le comprend pas, se retrouve dans la conscience lucide et angoissée de la reine, dans le regard
attentif et détaché à la fois qu’elle porte sur son devenir ainsi que dans le souci de son image aux
yeux des autres.
Octavio Paz surprend dans des termes directs et simples le devenir humain :
Entre naître et mourir coule notre vie.[…] Naître et mourir sont des expériences de solitude.
[…]
La solitude est le fond ultime de la condition humaine.
2
C’est dans cette solitude que s’inscrit l’histoire de Pasiphaé.
Le sentiment de la solitude
traverse le XVIII
e, le XIX e et le XX e siècle.
Relié à l’individualisme, ce concept accompagne, sous
diverses formes, le mal du siècle romantique, l’angoi sse de Camus, le spleen baudelairien, la nausée
sartrienne, l’ennui chez Flaubert ou le mal d’ être de Montherlant.
Comme beaucoup d’autres écrivains du XX
e siècle (Jean Giraudoux, George Bernard Shaw,
Jean -Paul Sartre, Jean Anouilh, Bertold Brecht, Albert Camus, Marguerite Yourcenar, Eugene
O’Neill etc.), il se laisse charmer par les mythes perpétuellement riches et inépuisables de la Grèce,
surtout ceux de Pasiphaé, de Minos, du Minotaure, d’Ariane, de Phèdre et de Thésée.
Il y trouve des
questions que l’ homme se pose depuis toujours sur le sens de son existence et qui restent actuelles.
Ces histoires exemplaires font revivre des temps immémoriaux et une civilisation antérieure
d’environ cinq cents ans à celle décrite par Homère dans l ’Iliade et l ’Odyssée.
Grâce aux fouilles
archéologiques et aux reconstructions (parfois contestées) de dizaines d’années initiées par
l’archéologue anglais sir Arthur John Evans et reprises par le spécialiste grec Marinatos, des
édifices comme la Villa Ariadna ou la Villa des lys qui constituent des témoignages étonnamment
bien conservés de la civilisation minoenne , peuvent être admirés et mis en valeur aujourd’hui.
Ils
sont la preuve palpable d’une civilisation qui avait traversé l’histoire plutôt par des mythes et par
leur f açonnement littéraire que par les vestiges historiques proprement dits.
Cette terre des légendes par excellence qu’est la Crète n’a pas encore révélé tous ses secrets
et n’arrête pas de susciter l’intérêt et la vive curiosité du monde contemporain.
Il n’est pas dépourvu
de signification de rappeler, dans ce sens, que l’écriture des tablettes mino ennes (écriture appelée
2.
Octavio Paz, Le labyrinthe de la solitude , Paris, Gallimard, 1997, pp.
166 -167
108.
»
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