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Genette, Palimpsestes (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Genette, Palimpsestes (extrait). Poursuivant sa réinterprétation de la rhétorique classique, Gérard Genette, dans Palimpsestes, propose une réflexion sur l'ensemble des relations qu'un texte entretient avec la notion même de textualité. Le théoricien qu'il est en relève cinq dès le début de son ouvrage, qu'il se propose d'examiner en détail : l'intertextualité (présence -- explicite ou implicite -- d'un (ou plusieurs) texte(s) dans un autre texte et relation qu'ils entretiennent) ; la paratextualité (relation du texte littéraire proprement dit avec son paratexte, c'est-à-dire les titres, les notes, la préface...) ; la métatextualité (rôle du commentaire dans le texte) ; l'architextualité (relation d'un texte aux diverses classes auxquelles il appartient) et l'hypertextualité (phénomènes de transformation ou d'imitation d'un texte par rapport à un modèle antérieur). Tous rapports qui peuvent paraître abstraits mais définissent en fait concrètement l'existence des oeuvres. Palimpsestes de Gérard Genette Il me semble aujourd'hui (13 octobre 1981) percevoir cinq types de relations transtextuelles, que j'énumérerai dans un ordre approximativement croissant d'abstraction, d'implication et de globalité. Le premier a été, voici quelques années, exploré par Julia Kristeva, sous le nom d'intertextualité, et cette nomination nous fournit évidemment notre paradigme terminologique. Je le définis pour ma part, d'une manière sans doute restrictive, par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d'un texte dans un autre. Sous sa forme la plus explicite et la plus littérale, c'est la pratique traditionnelle de la citation (avec guillemets, avec ou sans référence précise) ; sous une forme moins explicite et moins canonique, celle du plagiat (chez Lautréamont, par exemple), qui est un emprunt non déclaré, mais encore littéral ; sous forme encore moins explicite et moins littérale, celle de l'allusion, c'est-à-dire d'un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d'un rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions, autrement non recevable : ainsi, lorsque Mme des Loges, jouant aux proverbes avec Voiture, lui déclare : « Celui-ci ne vaut rien, percez-nous-en d'un autre «, le verbe percer (pour « proposer «) ne se justifie et ne se comprend que par le fait que Voiture était fils d'un marchand de vin. Dans un registre plus académique, lorsque Boileau écrit à Louis XIV : Au récit que pour toi je suis prêt d'entreprendre, Je crois voir les rochers accourir pour m'entendre, ces rochers mobiles et attentifs paraîtront sans doute absurdes à qui ignore les légendes d'Orphée et d'Amphion. Cet état implicite (et parfois tout hypothétique) de l'intertexte est depuis quelques années le champ d'étude privilégié de Michael Riffaterre, qui définit, en principe, l'intertextualité d'une manière beaucoup plus vaste que je ne le fais ici, et extensive en apparence à tout ce que je nomme transtextualité : « L'intertexte, écrit-il par exemple, est la perception, par le lecteur, de rapports entre une oeuvre et d'autres qui l'ont précédée ou suivie «, allant jusqu'à identifier dans sa visée l'intertextualité (comme je fais la transtextualité) à la littérarité elle-même : « L'intertextualité est [...] le mécanisme propre à la lecture littéraire. Elle seule, en effet, produit la signifiance, alors que la lecture linéaire, commune aux textes littéraire et non littéraire, ne produit que le sens. « Mais cette extension de principe s'accompagne d'une restriction de fait, car les rapports étudiés par Riffaterre sont toujours de l'ordre des microstructures sémantico-stylistiques, à l'échelle de la phrase, du fragment ou du texte bref, généralement poétique. La « trace « intertextuelle selon Riffaterre est donc davantage (comme l'allusion) de l'ordre de la figure ponctuelle (du détail) que de l'oeuvre considérée dans sa structure d'ensemble, champ de pertinence des relations que j'étudierai ici. Les recherches de H. Bloom sur les mécanismes de l'influence, quoique menées dans un tout autre esprit, portent sur le même type d'interférences, plus intertextuelles qu'hypertextuelles. Le second type est constitué par la relation, généralement moins explicite et plus distante, que, dans l'ensemble formé par une oeuvre littéraire, le texte proprement dit entretient avec ce que l'on ne peut guère nommer que son paratexte : titre, sous-titre, intertitres ; préfaces, postfaces, avertissements, avant-propos, etc. ; notes marginales, infrapaginales, terminales ; épigraphes ; illustrations ; prière d'insérer, bande, jaquette, et bien d'autres types de signaux accessoires, autographes ou allographes, qui procurent au texte un entourage (variable) et parfois un commentaire, officiel ou officieux, dont le lecteur le plus puriste et le moins porté à l'érudition externe ne peut pas toujours disposer aussi facilement qu'il le voudrait et le prétend. Je ne veux pas entamer ou déflorer ici l'étude, peut-être à venir, de ce champ de relations, que nous aurons d'ailleurs maintes occasions de rencontrer, et qui est sans doute un des lieux privilégiés de la dimension pragmatique de l'oeuvre, c'est-à-dire de son action sur le lecteur -- lieu en particulier de ce que l'on nomme volontiers, depuis les études de Philippe Lejeune sur l'autobiographie, le contrat, (ou pacte) générique. J'évoquerai simplement, à titre d'exemple (et d'anticipation sur un chapitre à venir) le cas de l'Ulysse de Joyce. On sait que, lors de sa prépublication en livraisons, ce roman était pourvu de titres de chapitres évoquant la relation de chacun de ces chapitres à un épisode de l'Odyssée : « Sirènes «, « Nausicaa «, « Pénélope «, etc. Lorsqu'il paraît en volume, Joyce lui enlève ces intertitres, d'une signification pourtant « capitalissime «. Ces sous-titres supprimés, mais non oubliés par les critiques, font-ils ou non partie du texte d'Ulysse ? Cette question embarrassante, que je dédie aux tenants de la clôture du texte, est typiquement d'ordre paratextuel. À cet égard, l'« avant-texte « des brouillons, esquisses et projets divers, peut lui aussi fonctionner comme un paratexte : les retrouvailles finales de Lucien et de Mme de Chasteller ne sont pas à proprement parler dans le texte de Leuwen ; seul en témoigne un projet de dénouement abandonné, avec le reste, par Stendhal ; devons-nous en tenir compte dans notre appréciation de l'histoire, et du caractère des personnages ? (Plus radicalement : devons-nous lire un texte posthume dont rien ne nous dit si et comment l'auteur l'aurait publié s'il avait vécu ?) Il arrive aussi qu'une oeuvre fasse paratexte à une autre : le lecteur du Bonheur fou (1957), voyant à la dernière page que le retour d'Angelo vers Pauline est fort compromis, doit-il ou non se souvenir de Mort d'un personnage (1949), où l'on rencontre leurs fils et petits-fils, ce qui annule d'avance cette savante incertitude ? La paratextualité, on le voit, est surtout une mine de questions sans réponses. Le troisième type de transcendance textuelle, que je nomme métatextualité, est la relation, on dit plus couramment de « commentaire «, qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer), voire, à la limite, sans le nommer : c'est ainsi que Hegel, dans la Phénoménologie de l'esprit, évoque, allusivement et comme silencieusement, le Neveu de Rameau. C'est, par excellence, la relation critique. On a, naturellement, beaucoup étudié (méta-métatexte) certains métatextes critiques, et l'histoire de la critique comme genre ; mais je ne suis pas sûr que l'on ait considéré avec toute l'attention qu'il mérite le fait même et le statut de la relation métatextuelle. Cela pourrait venir. Le cinquième type (je sais), le plus abstrait et le plus implicite, est l'architextualité, définie plus haut. Il s'agit ici d'une relation tout à fait muette, que n'articule, au plus, qu'une mention paratextuelle (titulaire, comme dans Poésies, Essais, le Roman de la Rose, etc., ou, le plus souvent, infratitulaire : l'indication Roman, Récit, Poèmes, etc., qui accompagne le titre sur la couverture), de pure appartenance taxinomique. Quand elle est muette, ce peut être par refus de souligner une évidence, ou au contraire pour récuser ou éluder toute appartenance. Dans tous les cas, le texte lui-même n'est pas censé connaître, et par conséquent déclarer, sa qualité générique : le roman ne se désigne pas explicitement comme roman, ni le poème comme poème. Encore moins peut-être (car le genre n'est qu'un aspect de l'architexte) le vers comme vers, la prose comme prose, le récit comme récit, etc. À la limite, la détermination du statut générique d'un texte n'est pas son affaire, mais celle du lecteur, du critique, du public, qui peuvent fort bien récuser le statut revendiqué par voie de paratexte : ainsi dit-on couramment que telle « tragédie « de Corneille n'est pas une vraie tragédie, ou que le Roman de la Rose n'est pas un roman. Mais le fait que cette relation soit implicite et sujette à discussion (par exemple : à quel genre appartient la Divine Comédie ?) ou à fluctuations historiques (les longs poèmes narratifs comme l'épopée ne sont plus guère perçus aujourd'hui comme relevant de la « poésie «, dont le concept s'est peu à peu restreint jusqu'à s'identifier à celui de poésie lyrique) ne diminue en rien son importance : la perception générique, on le sait, oriente et détermine dans une large mesure l'« horizon d'attente « du lecteur, et donc la réception de l'oeuvre. J'ai délibérément différé la mention du quatrième type de transtextualité parce que c'est lui et lui seul qui nous occupera directement ici. C'est donc lui que je rebaptise désormais hypertextualité. J'entends par là toute relation unissant un texte B (que j'appellerai hypertexte) à un texte antérieur A (que j'appellerai, bien sûr, hypotexte) sur lequel il se greffe d'une manière qui n'est pas celle du commentaire. Comme on le voit à la métaphore se greffe et à la détermination négative, cette définition est toute provisoire. Pour le prendre autrement, posons une notion générale de texte au second degré (je renonce à chercher, pour un usage aussi transitoire, un préfixe qui subsumerait à la fois l' hyper-- et le méta--) ou texte dérivé d'un autre texte préexistant. Cette dérivation peut être soit de l'ordre, descriptif et intellectuel, où un métatexte (disons telle page de la Poétique d'Aristote) « parle « d'un texte (OEdipe Roi). Elle peut être d'un autre ordre, tel que B ne parle nullement de A, mais ne pourrait cependant exister tel quel sans A, dont il résulte au terme d'une opération que je qualifierai, provisoirement encore, de transformation, et qu'en conséquence il évoque plus ou moins manifestement, sans nécessairement parler de lui et le citer. L'Énéide et Ulysse sont sans doute, à des degrés et certainement à des titres divers, deux (parmi d'autres) hypertextes d'un même hypotexte : l' Odyssée, bien sûr. Comme on le voit par ces exemples, l'hypertexte est plus couramment que le métatexte considéré comme une oeuvre « proprement littéraire « -- pour cette raison simple, entre autres, que, généralement dérivé d'une oeuvre de fiction (narrative ou dramatique), il reste oeuvre de fiction, et à ce titre tombe pour ainsi dire automatiquement, aux yeux du public, dans le champ de la littérature ; mais cette détermination ne lui est pas essentielle, et nous lui trouverons sans doute quelques exceptions. Source : Genette (Gérard), Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

« J’ai délibérément différé la mention du quatrième type de transtextualité parce que c’est lui et lui seul qui nous occupera directement ici.

C’est donc lui que je rebaptise désormais hypertextualité. J’entends par là toute relation unissant un texte B (que j’appellerai hypertexte ) à un texte antérieur A (que j’appellerai, bien sûr, hypotexte ) sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire.

Comme on le voit à la métaphore se greffe et à la détermination négative, cette définition est toute provisoire.

Pour le prendre autrement, posons une notion générale de texte au second degré (je renonce à chercher, pour un usage aussi transitoire, un préfixe qui subsumerait à la fois l’ hyper— et le méta— ) ou texte dérivé d’un autre texte préexistant.

Cette dérivation peut être soit de l’ordre, descriptif et intellectuel, où un métatexte (disons telle page de la Poétique d’Aristote) « parle » d’un texte (Œdipe Roi). Elle peut être d’un autre ordre, tel que B ne parle nullement de A, mais ne pourrait cependant exister tel quel sans A, dont il résulte au terme d’une opération que je qualifierai, provisoirement encore, de transformation, et qu’en conséquence il évoque plus ou moins manifestement, sans nécessairement parler de lui et le citer.

L’ Énéide et Ulysse sont sans doute, à des degrés et certainement à des titres divers, deux (parmi d’autres) hypertextes d’un même hypotexte : l’ Odyssée, bien sûr.

Comme on le voit par ces exemples, l’hypertexte est plus couramment que le métatexte considéré comme une œuvre « proprement littéraire » — pour cette raison simple, entre autres, que, généralement dérivé d’une œuvre de fiction (narrative ou dramatique), il reste œuvre de fiction, et à ce titre tombe pour ainsi dire automatiquement, aux yeux du public, dans le champ de la littérature ; mais cette détermination ne lui est pas essentielle, et nous lui trouverons sans doute quelques exceptions. Source : Genette (Gérard), Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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