François JACOB (1920-) Évolution et émergence des êtres vivants
Publié le 19/10/2016
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François JACOB (1920-)
Évolution et émergence des êtres vivants
Ce qui caractérise [...] la théorie de l'évolution, c'est la manière d'envisager l'émergence des êtres vivants et leur aptitude à vivre ou à s'adapter au monde qui les entoure. Pour Lamarck, quand se formait un être nouveau, sa place était déjà marquée dans la chaîne ascendante des êtres. Il devait par avance représenter une amélioration, un progrès sur tout ce qui avait existé jusque-là. La direction, sinon l'intention, précédait la réalisation. Avec Darwin, l'ordre relatif entre l'apparition d'un être et son adaptation est inversé. La nature ne fait que favoriser ce qui existe déjà. La réalisation précède tout jugement de valeur sur la qualité de ce qui est réalisé. N'importe quelle modification peut naître de la reproduction. N'importe quelle variation peut apparaître, qu'elle représente une amélioration ou une dégradation par rapport à ce qui était déjà. II n'y a aucun manichéisme dans la manière utilisée par la nature pour inventer des nouveautés, aucune idée de progrès ou de régression, de bien ou de mal, de mieux ou de pire. La variation se fait au hasard, c'est-à-dire en l'absence de toute relation entre la cause et le résultat. C'est seulement après son émergence que l'être nouveau se trouve confronté aux conditions d'existence, C'est seulement une fois vivants que les candidats à la reproduction sont mis à l'épreuve [...].
L'équilibre du monde vivant se réalise à travers une sorte de dialectique, celle de la permanence et de la variation, de l'identique et du différent. On a parfois critiqué le terme de sélection employé par Darwin à propos de l'évolution, par analogie avec l'élevage. Car à l'idée de choix s'associe celle de l'intention qui pousse l'éleveur à trier, dans son bétail, les formes qui lui paraissent le mieux servir son dessein. II y a aussi un tri dans la nature, mais il se fait automatiquement. Tout ce qui peut interférer avec la reproduction vient en quelque sorte l'ajuster. Parmi les candidats à cette reproduction, aucune intention ne vient présider au choix des élus qui se fait après coup, au banc d'essai, d'après les seules qualités, les seules performances des individus. L'adaptation devient le résultat d'une partie subtile entre les organismes et ce qui les entoure. Car si le pouvoir de se reproduire est une qualité inhérente à l'organisme, sa réalisation dépend étroitement de toutes les variables du milieu. Ce qui est « choisi », c'est autant le milieu par l'organisme que l'organisme par le milieu. Dans l'adaptation, la reproduction ne fonctionne que comme un amplificateur. Elle ne fait qu'accentuer les déviations qui se forment spontanément. À force de tirer dans le même sens, la reproduction en arrive à faire dériver une population dans des voies bien précises. Survenues à l'aveugle, les variations s'orientent dans la direction que leur impose le tri sans pitié de la sélection naturelle. Pour Darwin, un être vivant, dès sa naissance, fait partie de cet immense système organisé que constitue la terre avec tout ce qu'elle porte. La sélection naturelle représente un facteur de régulation qui maintient le système en harmonie. On considère aujourd'hui qu'un système de ce genre ne peut se perpétuer que dans la mesure où des boucles de « feed-back » ou de rétroaction viennent automatiquement en ajuster le fonctionnement, L'évolution devient alors le résultat de la rétroaction exercée par le milieu sur la reproduction.
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