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Fin de partie - vision de l'humanité et de l'humanisme

Publié le 08/02/2011

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humanisme

Le théâtre de Beckett, écrit après la Seconde Guerre mondiale et le traumatisme de la Shoah, questionne sérieusement les valeurs de l'humanisme, nées à la Renaissance et qui célèbrent une vision positive du monde et un espoir en la capacité de l'Homme à comprendre et à avancer harmonieusement vers la connaissance. Or, les valeurs de l'humanisme n'ont pas réussi à empêcher la Shoah. C'est pour cette raison que les écrivains d'après 1945 en critiquent fortement l'héritage et offrent une représentation de l'humanité totalement différente. Aussi, quelle vision de l'Homme et de l'humanité Beckett nous propose t-il dans Fin de Partie ? En quoi met-il à mal l'humanisme ? I] Une humanité mutilée et souffrante Les personnages de Fin de partie sont pour trois d'entre eux incapables de se mouvoir. Hamm est dépendant de Clov pour déplacer son fauteuil. Nagg et Nell, enfermés dans des poubelles, sont privés de leurs jambes depuis un accident de tandem survenu dans les Ardennes. Ils ne parviennent même plus à se pencher l'un vers l'autre pour s'embrasser. Seul Clov tient encore debout, non parce qu'il est vaillant, mais parce qu'il ne peut plus s'asseoir.  Non seulement les personnages sont presque tous contraints à l'immobilité, mais leurs sens sont également en souffrance. Hamm est aveugle, Nagg devient sourd. Les personnages sont obsédés par la perte de leurs sens et se demandent à plusieurs reprises des nouvelles de leurs yeux, de leurs jambes, de leurs oreilles, lesquels déclinent dans le temps même de la pièce. Clov, lui aussi, à en croire la prophétie de Hamm, est à terme condamné à devenir aveugle et à ne plus pouvoir se lever. C'est donc une humanité mutilée et souffrante que nous peint Beckett dans Fin de partie. Il est question des moignons et des pleurs de Nagg, mais aussi de la douleur physique de Clov, qui peine à se déplacer. A travers ces quatre personnages, Beckett nous fait donc le portrait d'une humanité vieillissante, décadente, mais aussi en voie de disparition.  II] Une humanité en voie de disparition A travers la pièce, Beckett donne de nombreux indices qui laissent à penser que Hamm, Clov, Nagg et Nell, dans ce qu'ils nomment « le refuge », sont les derniers représentants de l'humanité. Personne ne téléphone. Quand Hamm demande à Clov pourquoi il reste avec lui, celui-ci répond qu' « il n'y a pas d'autre place », tandis que Hamm ne voit « personne d'autre » à embaucher à son service. Quand Hamm, dans un moment de lyrisme dont il est coutumier, parle de construire un radeau et de s'évader, il est question d'aller, non vers d'autres Hommes, mais vers « d'autres ... mammifères ». Les points de suspension traduisent l'hésitation au cours de laquelle il se remémore la situation qui est la leur, à savoir d'être les derniers représentants de l'humanité au milieu d'autres mammifères tels que les squales ou les rats. Le peintre fou, dont Hamm évoque le souvenir de la rencontre, fait ainsi figure de prophète : face à une nature généreuse, il ne voyait que des cendres et était persuadé d'être le seul rescapé d'une catastrophe. Quelques années plus tard, Hamm, Clov, Nagg et Nell se retrouvent seuls dans un « refuge », derniers représentants de l'espèce humaine.  Si Hamm, Clov, Nagg et Nell se retrouvent seuls, c'est que tout le monde autour d'eux est mort. Ainsi, la Mère Pegg, mentionnée par Hamm et Clov, est morte sans que personne, sinon Clov qui s'y est refusé, n'ait pu l'enterrer. Enfermée dans sa poubelle qui lui sert de cercueil, Nell aussi meurt. Les femmes sont évincées. Les puces également parce qu' « à partir de là, l'humanité pourrait se reconstituer ». Ne reste qu'un jeune garçon qui apparait dans la lunette braquée par Clov sur la terre environnante : il est assis, « adossé à quelque chose » et regarde son nombril. Figure mystérieuse dans ce paysage dévasté, symbolisant l'espoir d'un renouveau qui n'en est pas vraiment un puisque ce jeune garçon est seul, replié sur lui-même, entre la vie et la mort. Hamm, Clov, Nagg et Nell sont les derniers représentants d'une humanité sur le point de disparaitre, si bien que, dans les moments où ils sont conscients d'être des personnages de théâtre, ils posent la question du public dans le désert qui est le leur. Seule « une intelligence revenue sur terre » pourrait les « observer » et tenter de donner sens à leurs gesticulations. De plus, cette humanité décadente a oublié ses valeurs fondamentales.  III] Une humanité sans pitié et sans Dieu A un moment particulièrement incongru, à la fin du premier grand moment du « roman » de Hamm, alors qu'il s'interroge sur la possibilité de poursuivre son histoire, il déclare : « Prions Dieu ». Juste après, Nagg réclame une fois encore la dragée que Hamm lui a promise, et Clov revient sur scène en annonçant qu'il y a un rat dans la cuisine. La prière, loin de recentrer les personnages sur ce que Pascal définit comme l'essentiel, la quête de Dieu et de la transcendance, est ici une nouvelle forme de divertissement. Clov comme Nagg s'y résignent et annoncent le Notre-Père avec un débit précipité. Finalement, c'est Hamm qui le premier abandonne. Suit un échange de jurons tels « Bernique », « Macache », et Hamm déclare : « Le salaud ! Il n'existe pas ! ». Et Clov d'ajouter : « Pas encore ». La formule est frappante, qui inverse le traditionnel « Il n'y a plus de... » qui domine la pièce. Dieu apparait donc comme un objet de prières sans contenu, et surtout comme une figure à inventer. Sa création est comparée à un désastre du pantalon du tailleur de la blague favorite de Nagg. Mais « Milord [dit le tailleur à son client], regardez le monde, et regardez mon pantalon». Fin de partie met à mal l'image d'un Dieu transcendant, dont la création serait souveraine. Et l'Homme fait partie de cette création.  Qu'est-ce qui pourrait sauver cette humanité sans transcendance sinon le lien des êtres entre eux ? Or les valeurs humaines sont mises à mal. Si Hamm demande pardon à Clov de la souffrance qu'il a pu lui faire endurer, il ne s'agit que d'une posture dans la comédie qui les lie. Quand Hamm demande à Clov de lui dire quelques mots de son cœur avant de le quitter, celui-ci lui chante une bergerette où l'amour est « emmerdé ». La pitié, la compassion qui relie les Hommes, car elle autorise chacun à souffrir de la souffrance de l'autre, à reconnaitre en l'autre un autre que soi, a disparu. Si Hamm reproche à Clov de n'avoir « eu pitié de personne », et le condamne à un sort pire que le sien pour cette raison même, il est le premier à faire cruellement mourir ses parents en les enfermant dans des poubelles, comme des ordures prêtes à être jetées à la mer. Il semble que la compassion meurt avec Nagg qui pleure la mort de Nell.  En conclusion, dans un monde où Dieu n'est qu'une plaisanterie, les valeurs humaines s'émoussent et laissent place à des figures isolées, décadentes, qui signifient la fin d'une vision optimiste de l'Homme. De facto, le monde sans Dieu n'est-il pas un monde sans espoir ni morale ? 

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