Fiche technique : le recours en manquement
Publié le 26/04/2012
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Droit Public
Fiche technique : le recours en manquement
Le 12 juillet 2005, la France fut condamnée par la CJUE (alors CJCE) à la plus importante amende jamais prononcée (20.000.000 euros), exceptionnellement doublée d'une astreinte de 57.761.250 euros pour toute période de six mois à compter de cette date. Cette décision, portant le nom d'Arrêt Merluchon (du nom des petits poissons dont l'interdiction de pêche par l'UE n'était pas respectée par la France), concluait une action de recours en manquement, et marqua les esprits des exécutifs européens par la sévérité et la détermination alors affichées par la CJUE.
L'action en manquement est en effet un mécanisme du droit de l'Union Européenne, défini aux articles 258, 259 et 260 du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) (anciennement articles 226 et 277 CE). Cette procédure est un recours qui peut être engagé contre un Etat membre de l'UE, dans l'hypothèse où ce dernier ne respecterait pas ses obligations découlant du droit de l'UE (des traités et du droit dérivé). Ses protagonistes communautaires sont la Commission Européenne ainsi que la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), en ce qu'elles s'affirment comme gardiennes et protectrices de l'application des règles communautaires et de l'intérêt général.
En quoi consiste donc le recours en manquement, et en quoi est-il un instrument essentiel de l'application effective et uniforme des décisions et du droit de l'UE?
I. La procédure de constitution du recours en manquement
La procédure de recours en manquement se compose de plusieurs étapes, qui peuvent aboutir ou non, et qui font peuvent faire intervenir différents acteurs.
A. Causes constitutives de l’engagement de la procédure
Le manquement d'un Etat à ses obligations communautaires est le point de départ d'un recours en manquement.
La nature du manquement peut prendre des formes diverses. Les manquements peuvent être d'une part le résultat d'un comportement positif de la part de l'Etat (application ou transposition incorrecte d'obligation émanant de l'UE) ou d'un comportement négatif (oubli ou abstention de transposer). D'autre part les manquements peuvent être le résultat d'actes législatifs (lois, lois de transposition), réglementaires (décrets, circulaires, décisions administratives), ou encore de faits avérés (pratiques administratives). Une large variété de comportements de la part des Etats membres peut donc trahir le manquement d'un Etat à ses obligations communautaires. Plus concrètement, la plupart des actions en manquement visent ces situations les plus courantes: lorsqu'un Etat adopte ou refuse d'abroger une mesure interne en contradiction avec le droit communautaire; lorsqu'un Etat s'abstient ou omet de transposer dans les temps une directive (source la plus courante de contentieux); ou enfin lorsqu'un Etat ne prend pas les mesures nécessaires à l'application effective des règles de l'UE, ou bien exerce des pratiques en contradiction avec ces règles.
De plus, le manquement est une faute qui est imputable à un Etat membre, la notion d'Etat devant être entendue au sens large. La CJUE a en effet retenu une vision extensive de la notion d'Etat, afin que les 27 Etats membres ne puissent se dérober à leurs obligations du fait de spécificité institutionnelles internes. L'ensemble des organes et institutions de l'Etat, centralisées, décentralisées ou même indépendantes, sont donc concernées, responsable et garantes de la mise en oeuvre des obligations communautaires. Sont donc ainsi concernés le Gouvernement, le Parlement, les institutions judiciaires, les collectivités territoriales, les entités fédérées, les agences indépendantes, etc. C'est-à-dire que tout organe dépositaire de l'autorité publique peut être fautif de manquement, y compris les institutions ayant constitutionnellement un caractère indépendant.
Ainsi il est entendu par manquement un défaut de transposition et d'application des règles communautaires au sens large: une large variété d'actes (critère matériel) et d'acteurs publics (critère organique) peuvent être impliqués dans cette procédure.
B. Déroulement et acteurs de la phase précontentieuse
On distingue deux phases et différents acteurs dans la procédure de recours en manquement. La première phase, précontentieuse, implique nécessairement la Commission, et éventuellement un autre Etat membre; la seconde phase, contentieuse, implique la Commission mais surtout la CJUE.
La première phase, précontentieuse, peut être initiée soit par la Commission, soit par un Etat membre. Néanmoins, il est à noter que le premier cas est le plus répandu: la Commission agit en ce sens en tant que gardienne des traités, tandis qu'il est plus délicat pour un Etat membre d'en \"dénoncer\" un autre (ce cas de figure où un Etat est requérant ne s'est en tout présenté que cinq fois jusqu'à 2007). Il est à noter qu'un citoyen ne peut pas demander à initier la procédure de recours en manquement; néanmoins, plus récemment la Commission a déclaré qu'elle pouvait être incitée à engager une procédure suite à des questions de députés européens, ou bien suite à des positions parlementaires qui feraient suite à une pétition citoyenne.
Lors de cette phase précontentieuse, la Commission adresse une lettre de mise en demeure à l'Etat fautif, en établissant les griefs qui lui sont reprochés. Une chance est ainsi donnée à l'Etat, pour qu'il se mette au plus vite en règle sur ce qui lui est reproché (ce qui se produit fréquemment: la procédure est alors conclue si l'Etat se met en conformité). S'il ne la saisit pas, il doit alors exposer ses observations et démontrer à la Commission qu'il respecte ses obligations. Après la présentation des observations, la Commission présente un avis motivé, ce qui constitue l'acte final et la dernière étape de la phase précontentieuse. Dans cet avis, si elle n'a pas été convaincue par l'Etat, elle lui enjoint pour la dernière fois de se mettre en règle avec ses obligations. Cet avis motivé est un document important dans la mesure où il définit l'objet du litige, et indique un délai au terme duquel l'Etat est sommé de remplir ses obligations. Si à l'issue de ce délai cela n'est pas le cas, la phase précontentieuse s'achève, et la Commission saisit la CJUE.
II. La portée du recours en manquement
- Contentieux et conclusion de la procédure
Seule la Cour de justice est compétente pour connaître des recours en manquement introduits par un État membre ou par la Commission européenne.
Ainsi c'est elle qui examine l'objet du litige entre l'Etat membre et la Commission (à noter que cette dernière n'a pas à démontrer un intérêt à agir dans ce cas de litige, puisqu’elle agit pour l’intérêt général et en qualité de garante du respect du droit communautaire). Un procès pour recours en manquement s'ouvre donc; la charge de la preuve incombe à celui qui a été le requérant du recours: l'Etat tiers ou la Commission. La CJUE étudie le litige à la lumière des informations et arguments qui lui sont présentés; à noter que l’existence du manquement est appréciée en fonction de la situation de l'Etat membre telle qu'elle se présentait au terme du délai mentionné dans l'avis motivé (les changements intervenus par la suite n'étant pas pris en compte, même si au moment de l'examen de la situation l'Etat membre s'est mis en règle). Néanmoins, les recours en manquement n’ont pas d’effet suspensif, c'est-à-dire qu'en théorie, durant la phase contentieuse du recours, l'Etat en tort n'est pas dispensé de se conformer à ses obligations; s'il est avéré qu'il est coupable de manquement, la durée du litige comptera dans la durée de non application du droit communautaire.
Au terme du contentieux, c'est donc la CJUE qui statue sur la responsabilité de l'Etat dans le manquement qui lui a été imputé. Elle somme alors l'Etat membre de se conformer au plus vite à ses obligations. Néanmoins, elle ne peut que constater l'existence du manquement: elle ne peut pas prendre elle-même de mesures visant à remédier à la situation de manquement. Par exemple, elle ne peut abroger de lois nationales contraires au droit de l'UE, ni suggérer ni prendre les mesures qui auraient été nécessaires à la transposition ou au respect des règles de l'UE.
B. Effet dissuasif et respect du droit communautaire
Néanmoins, la CJUE a fait preuve d'un volontarisme politique, dont la finalité est l'application effective des règles de l'UE par tous les Etats membres. Pour que ses jugements soient respectés, elle dispose en effet du pouvoir d'infliger des sanctions. Les sanctions ont pour objet de forcer l'Etat à être fidèle à ses obligations et tirer les conséquences du jugement de la CJUE ; pour ce faire, les sanctions sont dissuasives, c'est-à-dire pécuniaires.
La CJUE peut donc associer des sanctions à son jugement, qui peuvent prendre la forme d'amendes ou d'astreintes. Les amendes visent à dissuader les Etats de réitérer de tels manquements à l'avenir; alors que les astreintes (en réclamant par exemple un certain montant par mois de retard de transposition) visent à obtenir l'exécution rapide d'une transposition. Initialement, les traités donnaient la possibilité à la CJUE d'assortir ses jugements \"d'amendes ou d'astreintes\". Mais une interprétation extensive de ce \"ou\" (le transformant en \"et/ou\") a donc donné le pouvoir à la CJUE de combiner ces deux sanctions, ce qui renforce donc son pouvoir de dissuasion.
Ainsi se déroule l'action de recours en manquement. Les enjeux d'un tel mécanisme sont évidemment l'application effective du droit de l'UE sur le territoire de ses 27 Etats membres, sans exception. On peut souligner le caractère assez strict, mais nécessaire de ce mécanisme: par exemple, pour se défendre d'un délai de transposition trop long d'une directive, un Etat ne peut se prévaloir de l'encombrement du calendrier parlementaire, ni de la nécessité de réviser préalablement sa Constitution, ni d'une dissolution inopinée du Parlement (comme l'a tenté la France en 1998 après la dissolution de 1997).
Les domaines où le plus de recours en manquement sont initiés sont assez clairement les domaines où l'intégration communautaire suscite le plus de réticences de la part des Etats membres: la libre circulation des personnes et des marchandises, la libre prestation des services, l'agriculture, l'environnement et la fiscalité.
Enfin il est notable que des pays méditerranéen détiennent le record du nombre de recours en manquements, tels l'Italie, suivie de la France puis de la Grèce. Par exemple, de 2000 à 2005, la CJUE a condamné la France à 73 reprises, sur un total de 77 actions de recours en manquement initiées par la Commission. Et cela à la différence de pays réputés eurosceptiques, tels le Danemark ou le Royaume Unis, qui ont cumulent un nombre relativement faible de condamnation pour recours en manquement.
JACQUE, JP; Droit institutionnel de l'Union Européenne. Dalloz; 4e Edition (2006).
Rideau Joël, Droit institutionnel de l'Union et des Communautés européennes, LGDG, Paris, 6e éd., 2006.
Sites officiels de la Commission Européenne et de la CJUE pour les actualisations dues au Traité de Lisbonne.
TCUE:
Article 258
(ex-article 226 TCE)
Si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations.
Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne.
Article 259
(ex-article 227 TCE)
Chacun des États membres peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne s'il estime qu'un autre État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités.
Avant qu'un État membre n'introduise, contre un autre État membre, un recours fondé sur une prétendue violation des obligations qui lui incombent en vertu des traités, il doit en saisir la Commission.
La Commission émet un avis motivé après que les États intéressés ont été mis en mesure de présenter contradictoirement leurs observations écrites et orales.
Si la Commission n'a pas émis l'avis dans un délai de trois mois à compter de la demande, l'absence d'avis ne fait pas obstacle à la saisine de la Cour.
Article 260
(ex-article 228 TCE)
1. Si la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, cet État est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arręt de la Cour.
2. Si la Commission estime que l'État membre concerné n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arręt de la Cour, elle peut saisir la Cour, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Elle indique le montant de la somme forfaitaire ou de l'astreinte à payer par l'État membre concerné qu'elle estime adapté aux circonstances.
Si la Cour reconnaît que l'État membre concerné ne s'est pas conformé à son arręt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte.
Cette procédure est sans préjudice de l'article 259.
3. Lorsque la Commission saisit la Cour d'un recours en vertu de l'article 258, estimant que l'État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer des mesures de transposition d'une directive adoptée conformément à une procédure législative, elle peut, lorsqu'elle le considère approprié, indiquer le montant d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte à payer par cet État, qu'elle estime adapté aux circonstances.
Si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l'État membre concerné le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission. L'obligation de paiement prend effet à la date fixée par la Cour dans son arręt.
«
La première phase, précontentieuse, peut être initiée soit par la Commission, soit par un Etat membre.
Néanmoins, ilest à noter que le premier cas est le plus répandu: la Commission agit en ce sens en tant que gardienne des traités,tandis qu'il est plus délicat pour un Etat membre d'en "dénoncer" un autre (ce cas de figure où un Etat estrequérant ne s'est en tout présenté que cinq fois jusqu'à 2007).
Il est à noter qu'un citoyen ne peut pas demanderà initier la procédure de recours en manquement; néanmoins, plus récemment la Commission a déclaré qu'ellepouvait être incitée à engager une procédure suite à des questions de députés européens, ou bien suite à despositions parlementaires qui feraient suite à une pétition citoyenne.
Lors de cette phase précontentieuse, la Commission adresse une lettre de mise en demeure à l'Etat fautif, enétablissant les griefs qui lui sont reprochés.
Une chance est ainsi donnée à l'Etat, pour qu'il se mette au plus vite enrègle sur ce qui lui est reproché (ce qui se produit fréquemment: la procédure est alors conclue si l'Etat se met enconformité).
S'il ne la saisit pas, il doit alors exposer ses observations et démontrer à la Commission qu'il respecteses obligations.
Après la présentation des observations, la Commission présente un avis motivé, ce qui constituel'acte final et la dernière étape de la phase précontentieuse.
Dans cet avis, si elle n'a pas été convaincue par l'Etat,elle lui enjoint pour la dernière fois de se mettre en règle avec ses obligations.
Cet avis motivé est un documentimportant dans la mesure où il définit l'objet du litige, et indique un délai au terme duquel l'Etat est sommé de remplirses obligations.
Si à l'issue de ce délai cela n'est pas le cas, la phase précontentieuse s'achève, et la Commissionsaisit la CJUE.
II.
La portée du recours en manquement
Contentieux et conclusion de la procédure 1.
Seule la Cour de justice est compétente pour connaître des recours en manquement introduits par un État membreou par la Commission européenne.
Ainsi c'est elle qui examine l'objet du litige entre l'Etat membre et la Commission (à noter que cette dernière n'a pasà démontrer un intérêt à agir dans ce cas de litige, puisqu’elle agit pour l’intérêt général et en qualité de garante durespect du droit communautaire).
Un procès pour recours en manquement s'ouvre donc; la charge de la preuveincombe à celui qui a été le requérant du recours: l'Etat tiers ou la Commission.
La CJUE étudie le litige à la lumièredes informations et arguments qui lui sont présentés; à noter que l’existence du manquement est appréciée enfonction de la situation de l'Etat membre telle qu'elle se présentait au terme du délai mentionné dans l'avis motivé(les changements intervenus par la suite n'étant pas pris en compte, même si au moment de l'examen de la situationl'Etat membre s'est mis en règle).
Néanmoins, les recours en manquement n’ont pas d’effet suspensif, c'est-à-direqu'en théorie, durant la phase contentieuse du recours, l'Etat en tort n'est pas dispensé de se conformer à sesobligations; s'il est avéré qu'il est coupable de manquement, la durée du litige comptera dans la durée de nonapplication du droit communautaire.
Au terme du contentieux, c'est donc la CJUE qui statue sur la responsabilité de l'Etat dans le manquement qui lui aété imputé.
Elle somme alors l'Etat membre de se conformer au plus vite à ses obligations.
Néanmoins, elle ne peutque constater l'existence du manquement: elle ne peut pas prendre elle-même de mesures visant à remédier à lasituation de manquement.
Par exemple, elle ne peut abroger de lois nationales contraires au droit de l'UE, nisuggérer ni prendre les mesures qui auraient été nécessaires à la transposition ou au respect des règles de l'UE.
B.
Effet dissuasif et respect du droit communautaire
Néanmoins, la CJUE a fait preuve d'un volontarisme politique, dont la finalité est l'application effective des règles del'UE par tous les Etats membres.
Pour que ses jugements soient respectés, elle dispose en effet du pouvoir d'infligerdes sanctions.
Les sanctions ont pour objet de forcer l'Etat à être fidèle à ses obligations et tirer les conséquencesdu jugement de la CJUE ; pour ce faire, les sanctions sont dissuasives, c'est-à-dire pécuniaires.
La CJUE peut donc associer des sanctions à son jugement, qui peuvent prendre la forme d'amendes ou d'astreintes.Les amendes visent à dissuader les Etats de réitérer de tels manquements à l'avenir; alors que les astreintes (enréclamant par exemple un certain montant par mois de retard de transposition) visent à obtenir l'exécution rapided'une transposition.
Initialement, les traités donnaient la possibilité à la CJUE d'assortir ses jugements "d'amendes oud'astreintes".
Mais une interprétation extensive de ce "ou" (le transformant en "et/ou") a donc donné le pouvoir à laCJUE de combiner ces deux sanctions, ce qui renforce donc son pouvoir de dissuasion..
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