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Fiche de lecture de l'oeuvre Qu'est-ce que l'Occident ? de Philipe Nemo

Publié le 17/08/2010

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Introduction de l’auteur et bibliographie  Philippe Nemo né en 1949, professeur de philosophie politique et sociale ainsi qu’historien des idées politiques françaises à l’ESCP est un écrivain réputé pour ses nombreux ouvrages comme Le Chaos pédagogique, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains et enfin Qu’est-ce que l’Occident ? qui constitue l’œuvre qui sera analysée. Une fois finit ses études à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, il suivra son enseignement universitaire dans l’université de Tours (1978-1982) afin de devenir docteur d’Etat en Lettres et Sciences humaines à l’université de la Sorbonne Paris IV ainsi que maître de conférence à HEC Paris. Il est également directeur du Centre de recherche en philosophie économique à l’ESCP (Ecole Supérieure de Commerce de Paris). Philippe Nemo a outre assuré plus de 300 heures d’émissions radiophoniques sur France Culture sur le sujet de l’histoire de la philosophie et des religions. L’œuvre qui sera étudié a d’ailleurs été traduite en plus de huit langues montrant ainsi le succès mondial de son essaie sur l’Occident.    Synthèse et analyse de l’œuvre  Philipe Nemo voyait dans l’écriture de cet ouvrage la nécessité de donner une idée précise de l’Occident dans un contexte de fragilisation des Etats occidentaux modernes. La mondialisation, tous les progrès qu’elle a permis ainsi que des difficultés d’intégration culturelle des individus dans une nouvelle nation appelle à remarquer l’existence d’une société culturellement plurielle. Tenter de définir clairement ce qu’est l’Occident ainsi qu’analyser l’héritage qu’il a légué aux Etats modernes constitue l’objectif de Philipe Nemo. Il commence donc par donner une définition de la civilisation occidentale qui se résumerait par plusieurs concepts « l’Etat de droit, la démocratie, les libertés intellectuelles, la rationalité critique, la science, une économie de liberté fondé sur la propriété privée « (p7). Il structure ensuite la morphogenèse culturelle de l’Occident en cinq événements :  1) L’invention de la Cité, de la liberté sous la loi, de la science et de l’école par les Grecs  2) L’invention du droit, de la propriété privée, de la « personne « et de l’humanisme par Rome  3) La révolution éthique et eschatologique de la Bible : la charité dépassant la justice, la mise sous tension eschatologique d’un temps linéaire, le temps de l’Histoire  4) La révolution papale des XI et XIIIème siècles qui choisi d’utiliser la raison humaine sous la figure de la science grecque et du droit romain pour s’inscrire dans l’Histoire et réalisant la première véritable synthèse entre Athènes, Rome et Jérusalem  5) La promotion de la démocratie libérale accomplie par ce qu’il est convenu d’appeler les grandes révolutions démocratiques. Le pluralisme état plus efficient que tout ordre naturel ou que tout ordre artificiel dans les trois domaines de la science, de la politique et de l’économie, ce dernier événement a conféré à l’Occident une puissance de développement sans précédent qui lui a permis d’engendrer la Modernité    I – Le « miracle grec «  1) Les traits constitutifs de la cité grecque :  La cité apparaît au milieu du VIIIe siècle avant J.C et provient d’une crise de la souveraineté. Le pouvoir politique divisé devient la chose de tous (res publica). L’agora, qui permet l’expression politique des citoyens devant la cité tout entière a ainsi amené à l’avènement de la rhétorique, l’art du discours. Les premiers textes apparaissent et forment, une fois regroupés, les premiers livres Devant la loi, les citoyens grecs sont donc semblables (homoïoï) et égaux (isoï). La rhétorique et la logique constituent les moyens par lesquels il faut convaincre l’auditoire dans les débats oraux et publics. La modération devient une vertu recommandée (Sophrosyné) alors que les valeurs aristocratiques sont associées à l’hybris, source de désordre. Nait alors la figure du citoyen, n’ayant bien évidemment pas les mêmes composants que dans nos sociétés démocratiques actuelles car le démos athéniens excluait, notamment, les femmes ainsi que les méthèques. La religion en tant que source du pouvoir n’a plus sa place et se voit ainsi privée d’une influence directe sur la politique des cités. Apparaissent alors des religions « privées « caractérisées par leur séparation de la sphère publique, qui sont plus proches de ce que nous connaissons aujourd’hui. La cité grecque introduit l’idée de changement dans l’ordre social et politique et qui se traduit parfaitement par la possibilité par tous citoyens de proposer un probouleuma (équivalent d’un décret). Tandis que le milieu naturel (le physis) répond à des règles inaccessibles et invariables, le corps social (le nomos) se constitue autour de conventions qui évoluent par le biais l’intervention humaine et fait l’objet d’une procédure particulier appelé Graphe Paranomon consistant à ce que chaque citoyen puisse engager la responsabilité d’un citoyen ayant soumit un probouleuma accusé d’être en contradiction avec le nomos (dont les fondateurs sont notamment Solon, Clisthène et Dracon.  2) L’égalité des citoyens et la liberté sous la loi :  La cité grecque est le lieu de la loi et de la liberté individuelle. Ces principes forment l’Etat de droit qui permet à chacun (citoyens ou non) d’adapter son comportement pour éviter les litiges et les mesures de coercition qui en découlent. Cette faculté d’anticipation rend l’être humain capable de se prendre en charge, et crée un espace de liberté individu. Le citoyen a vocation à s’appliquer à tous. La formule civique inventée à Athènes est donc la première qui ne soit pas fondée sur la communauté d’origine, à l’inverse des sociétés archaïques où l’appartenance est subordonnée au lignage et à l’ethnie.  3) La science :  Elle est le fruit de la libération de la parole et de la raison, et ne pouvait donc pas apparaître sous la monarchie sacrée précédant la république. La science résulte de la distinction entre le physis et le nomos, et de la primauté du second sur le premier. Le citoyen cherche dans la cité les lois abstraites, universelles et impersonnelles qui doivent s’appliquer à tous. De même, l’homme grec applique cette démarche à l’univers pour le comprendre dans son ensemble, et non plus pour dresser un catalogue de descriptions isolées à la manière des mésopotamiens. L’esprit scientifique résulte de cette volonté de construire des théories, destinées à décrire des principes s’appliquant au tout cosmique.  4) L’école :  Sous Alexandre le Grand et Aristote, l’accumulation des connaissances conduit à la publicisation de l’enseignement notamment sous forme privée (avec les sophistes) puis devient à la fois public et pluridisciplinaire. L’école devient un facteur de continuité sociale.    II – L’apport romain : le droit privé, l’humanisme  1) Un droit universel dans un Etat pluriethnique :  L’Etat romain est cosmopolite (multiculturel) et le droit romain régit les seuls rapports entre patriciens. Or, les étrangers n’ayant pas les mêmes coutumes, ni même un vocabulaire juridique de la même complexité que celle du droit romain, restent soumis à ce droit qui deviendra source de litige. Les préteurs vont alors développer des notions accessibles à tous et détachés, pour l’essentiel, d’attaches finies pour se porter sur des concepts qui « tombent sous le sens « de l’ensemble des individus. De là vient la pratique d’un droit prétorien, appliquant des procédures formulaires et constamment amélioré par l’interprétation des différents préteurs. L’institution juridique est née et ces concepts, dont chacun s’accordent sur l’évidence, se résume par la« loi naturelle fondamentale « que Cicéron décrit dans De Republica : «Le règne de la loi est préférable à celui d’un seul des citoyens pris individuellement et […] vouloir le règne de la loi c’est, semble t il, vouloir le règne de Dieu et de la raison «. Nait ainsi un droit dit « commun « car il concerne toutes les populations. L’occident hérite directement de ce droit, sous la forme du droit civil tel qu’il fut codifié par les romains.  2) Le droit privé romain, source de l’humanisme occidental :  Rapidement, l’outil juridique gagne une précision telle qu’il devient possible de clarifier la limite du tien et du mien, et de garantir cette distinction dans le temps. Ainsi le droit romain crée la notion de propriété privée, qui modifie la notion de personne humaine : le moi se différencie des autres par ce qu’il possède. Cette émancipation de l’individu laisse ainsi place à l’ego. Cicéron définit la persona comme l’agrégation de la nature humaine et d’une « nature personnelle «. Désormais, chaque homme possède une nature qui lui est propre et qui justifie la satisfaction de motivations privées. Selon Philippe Nemo, l’occident est la seule civilisation qui connaisse le résultat de cette synthèse.    3) Le personnalisme latin en sculpture et en littérature :  Les arts témoignent du processus d’individualisation de la personne humaine à l’œuvre à Rome. Le théâtre met en scène des personnes, c’est-à-dire qu’il construit des situations qui s’appuient sur la vie privée des personnages et sur leur ego. Dans les pièces romaines, la vie politique passe au second plan, ce qui reflète l’émergence d’un espace où la liberté est institutionnellement reconnue. De même, la sculpture est individualisante : les artistes réalisent de véritables portraits en trois dimensions, dont le but est de révéler les qualités intrinsèques du modèle.  III – L’éthique et l’eschatologie bibliques :  1) L’éthique biblique :  Elle est fondée sur une morale de la compassion. Ce parti pris idéologique rend la souffrance des autres insupportable à tout croyant. Une telle vision des choses construit une relation dissymétrique irrésoluble : le croyant doit faire toujours plus pour son prochain, sans espoir d’être un jour quitte de cette dette morale. Cette idéologie ne peut être mieux illustrée que par la morale développée dans le Sermon sur la montagne. De là découle une culpabilité infinie, symbolisée par le péché originel dans la Bible. Selon Lévinas, à l’inverse, nous ne sommes humains que dans cette responsabilité pour autrui, ce qui entre corrélation avec la définition de dignité de la personne humaine retracée par Kant qui consiste à considérer qu’un homme ne peut faire l’objet d’une quelconque réification ou vivisection : l’identité de l’homme s’apprécie dans son ensemble et ne peut ainsi faire l’objet d’une distinction qui tendrait à prouver une supériorité. Les premiers prophètes réclament en conséquence au pouvoir politique une justice qui fait bien plus que maintenir l’ordre des choses : il est nécessaire de l’améliorer.  2) L’eschatologie biblique :  Une telle vision du monde construit un temps linéaire, et non plus cyclique : le récit biblique part de la création et finit à la « fin des temps «. Ce n’est pas un choix philosophique, mais une nécessité imposée par la morale judéo-chrétienne. Il s’agit d’une véritable révolution éthique : il y a désormais urgence d’extirper le mal du monde. Ainsi l’humanité ne peut plus se concevoir que dans une historicité qui s’impose à elle. La variable temporelle intervient à partir de ce moment comme une contrainte omniprésente. Le temps est le cadre de la transformation nécessaire du monde. Il appelle l’action réelle de l’homme, qui doit changer le monde présent par des moyens concrets, et non plus réparer un arrière-monde par des moyens magiques. Cette eschatologie biblique va donner naissance à la nouvelle conception de l’action de l’homme sur l’humanité et son accès au paradis et à la venue de Jésus sur Terre.    IV – La « révolution papale « des XIe - XIIIe siècles  1) La « révolution papale « :  Cet événement prend forme à la fin du XIème siècle et constitue l’aboutissement d’une réforme plus générale, véritable révolution dans les faits car elle concerne non seulement l’église, mais aussi les lois et les institutions de la société européenne de l’époque. Tandis que le système féodal est à son point culminant, plongeant le territoire européen dans la misère, gaspillant les énergies dans des conflits internes, l’église prend l’initiative de proposer une « paix de Dieu « aux autorités temporelles. Par ailleurs, le pape Grégoire VII proclame son plenitudo potestatis dans les Dictatus papae de 1704 à 1775, par lesquels il s’octroie un pouvoir législatif absolu sur l’église, et indirectement sur les royaumes séculiers. Le spirituel possède ainsi une forte influence sur le temporel, sujet très conflictuel comme en témoigna la querelle entre Philippe Lebel et Bonniface VIII . Ces réformes ont plusieurs conséquences de grande portée :  -Des règles strictes sont imposées à l’institution cléricale : le célibat des prêtres est requis, la dévolution des charges ecclésiastiques est sévèrement contrôlée, l’investiture de nouveaux membres de l’église est réservée aux seuls membres de l’église. L’objectif est de faire de l’église un corps social indépendant concentré sur sa tâche pastorale.  -Le droit canonique romain est codifié, et de nouvelles dispositions sont édictées par les papes successifs : les Décrétales. En parallèle, Grégoire VII fait réétudier le droit romain, et fonde dans ce but la première université de droit européenne, à Bologne, vers l’an 1080. Les grands conciles (Latran, Lyon…) sont convoqués. Finalement c’est une refonte complète de la législation canonique qui est organisée, avec pour vocation d’encadrer la société civile dans son ensemble. C’est l’objet du Corpus juris canonici de Gratien, institué par le décret de 1440.  -Toutes ces mesures sont décidées et exécutées par un véritable parti, qui orientera l’église catholique dans une forte continuité temporelle et idéologique. Une meilleure stabilité politique sera alors de mise permettant des dévolutions urbaines, démographiques, économiques et géopolitiques. Les Etats connaîtront ainsi une forte expansion territoriale, comme la Reconquista en Espagne ou le Drang Nach Osten du Saint Empire Romain Germanique.  2) Les nouvelles conditions de la parousie :  Elément essentiel de l’eschatologie biblique, le second avènement du Christ revenu sur terre est un objectif explicite de la chrétienté. Mais après un millénaire sans signe annonciateur, la morale judéo-chrétienne devient marquée par l’intuition que le monde est trop mauvais pour que le Christ puisse revenir. Il faut alors christianiser le monde, afin de créer les conditions de la parousie. Les hommes de la révolution papale décident donc que l’homme d’église ne doit pas être absent de la société civile, car il a le devoir d’œuvrer en faveur du bien dans le monde (le clergé ne doit plus être régulier mais véritablement s’inscrire dans la société, dans le siècle, à travers le clergé séculier). Les Dictatus papae grégoriens répondent précisément à cette injonction. La doctrine augustinienne oppose cependant un obstacle sérieux à cette réforme : elle postule que la nature humaine, détruite par le péché originel, est impossible à racheter. Sans la grâce divine, l’action humaine n’a aucune valeur. Comme il est impossible de savoir qui sera élu, il est alors plus « rentable « dans l’économie de la salvation de rester dans une attente contemplative : c’est encore la meilleure manière de ne pas compromettre ses chances d’entrer au paradis, ou dans le pire des cas de ne pas aggraver les malheurs terrestres.  3) La solution passe par un remaniement complet de la théologie morale, avec la doctrine anselmienne de l’expiation et du purgatoire :  On considère désormais que le Christ, par son calvaire, a racheté le péché originel de l’Homme (caractérisé par le baptême du nouveau né censé expier les fautes d’Adam et Eve) Mais il reste encore à racheter les péchés actuels de chacun car chaque individu part avec un bilan neutre, quitte à lui de compenser son passif avant sa mort et même après. Les bonnes actions expiant les mauvaises, l’action la plus insignifiante est désormais utile pour sauver l’humanité. Ce revirement doctrinal complet est prolongé par la possibilité de continuer son œuvre de rachat au purgatoire, si elle n’a pas été terminée sur terre. Cette conception nouvelle de la morale chrétienne ne permet pas le défaitisme, et favorise une conception plus optimiste de l’existence. L’action humaine est efficace, et contribue réellement au retour du Christ sur terre et même s’il eut été avancée qu’une foi avoir trop péché, compte tenue du laps de temps à vivre que des bonnes actions soient inutiles, Philippe Nemo répond qu’il fut même développé une valeur supérieure de l’action engagée sur Terre, comparée à celle exécutée au Ciel « dans l’agir humain, rien, décidément, ne se ped, tout « mérite surérogatoire « trouve sa récompense « (p54).  4) Le salut est devenu une entreprise humaine :  L’homme est ainsi responsabilisé dans ses actions et Jésus le Christ devient un médiateur : humanisé par des représentations plus expressives de la souffrance, il est une image exemplaire et édifiante plutôt qu’une figure mystique. L’imitatio Christi est un appel à transformer le monde qui, selon Max Weber, fait que le travail humain n’est plus une punition divine mais le moyen de gagner son salut. Ici intervient une véritable scission entre la conception occidentale et orientale du rapport des hommes à Dieu. Les chrétiens orthodoxes voient dans l’attachement à l’action temporelle un oubli de Dieu, et un renoncement à la transcendance. Cette divergence morale achève d’exacerber les différences géographiques et politiques qui séparent les deux communautés chrétiennes. Le schisme orthodoxe qui s’ensuit tiendra l’Europe de l’Est à l’écart des grands développements techniques et économiques qu’a connu l’Europe de l’Ouest.  5) La science grecque et le droit romain sont mis au service de l’eschatologie biblique :  La raison est sanctifiée par les chrétiens d’Occident, car elle est l’élément de la nature humaine qui rend possible le salut car, en effet, peser le pour et le contre du bienfait d’une action nécessite déjà une pensée et donc l’utilisation de la raison. Dans cette démarche, la science et le droit sont des outils indispensables. Le droit romain donne la mesure de la raison, assimilée à une propriété de l’homme. La science grecque, transplantée dans les Facultés des Arts, aboutira au rationalisme. C’est une méthode scientifique qu’utilise Pierre Lombard pour écrire la Somme théologique. Dans cet ouvrage, il examine sous un angle religieux et de manière systématique et rationnelle toutes les grandes questions de son époque. Un tel procédé annonce la démarche hypothético-déductive moderne et qui sera repris dans le contexte de la Vérité des connaissances avec sons concept de « doute méthodologique «.  6) Cause formelle, cause matérielle : la question de la transmission des textes :  Maintenant que la mentalité est celle de l’évolution par l’action de l’homme, et non plus l’inaction caractéristique de l’ancienne conception de la religion où tous croyants étaient contemplatifs, les textes grecques ainsi que ceux du droit romain se trouvent dépoussiérés. En effet, dans le droit romain, notamment, les concepts juridiques à la fois précis et compréhensif développés par les préteurs deviennent une formidable source de l’expérience des hommes sur le droit mais également les sciences. Désormais, l’ignorance et la superstition deviennent des péchés, puisqu’ils ne servent pas le dessein de la parousie. Selon Philippe Nemo, la cause matérielle, c'est-à-dire la simple possession du corpus des grands manuscrits antiques, ne suffit pas pour lancer une telle évolution. La civilisation Arabe, par exemple, ne l’a pas compris. Il déduit cela de l’absence de notion de progrès eschatologique dans l’Islam. La cause formelle, c’est-à-dire la volonté de changer l’état des choses, est donc essentielle, et découle d’une vision du monde spécifique à l’Occident.    V – L’avènement des démocraties libérales  L’avènement des démocraties libérales nait dans le contexte de l’émancipation du pluralisme politique. Friedrich August Hayek le définit comme une organisation sociale qui émerge sous l’impulsion des membres de la société, sans rapport avec des structures préexistantes dans la nature ou imposées par les autorités. C’est dans ce saut évolutionnaire que Nemo trouve l’origine du libéralisme intellectuel, économique et politique qui caractérise l’Occident.  1) Le libéralisme intellectuel :  Tout commence avec la Réforme donnant lieu à une scission religieuse, entre catholiques et protestants. C’est pour l’instant un pluralisme par défaut, qui résulte d’une démarche vers plus de tolérance. Philippe Nemo dit à ce propos qu’« il faudra un nouvel effort pour que l’on passe du concept de tolérance à celui de pluralisme critique, c'est-à-dire de la thèse selon laquelle interdire le pluralisme produit plus de mal que de bien à la thèse selon laquelle le pluralisme produit par lui-même toujours du bien « p(69). Loin de créer le désordre, le pluralisme critique tend par sa nature même à la division et à la confrontation des opinions, théories permettant d’établir une connaissance momentanée qui sera légitimé ou non par les autres théories. Le principe de réfutabilité, décrit par Karl Popper en 1934 dans sa Logique de la découverte scientifique incite au relativisme et au scepticisme. La liberté de penser favorise la probité intellectuelle et peut se voir légitimer, dans le sens de l’ouvrage de Philippe Nemo, par le fait qu’elle coïncide avec la monté de l’ego, de l’individualisme. Un Etat libéral fonctionne selon les modalités du pluralisme critique : le rejet absolu de la preuve d’autorité, une visée encyclopédique etc.  2) La démocratie :  Selon Philippe Nemo, la démocratie « est le nom spécial donné au libéralisme politique, c’est à dire la liberté et au pluralisme dans les procédures de nomination des gouvernants et de prise de décision politique « .Ce modus operandi est propre à l’Occident. En effet, le constitutionnalisme se propage et laisse place aux valeurs fondatrices que sont le caractère unique de chaque personne, l’Etat de droit, mais aussi la faillibilité irréductible de la raison humaine, qui rend le pluralisme nécessaire. Cette dernière précision ôte de fait toute légitimité à un monarque se réclamant de la théorie du droit divin . Le pouvoir politique est donc désacralisé. Cette désacralisation ne sera pas sans rappelé la distinction entre temporael et spirituel et le conflit Philippe Lebel et Bonniface VIII. Ainsi des pratiques comme le contrôle du pouvoir, sa responsabilité devant les institutions représentant le peuple, le suffrage universel au cours d’élections périodiques et tous les dispositifs anti-absolutisme. L’origine de ce bouleversement démocratique se trouve, selon l’auteur, dans la morale judéo-chrétienne et l’eschatologie biblique.  3) Le libéralisme économique :  Le libéralisme économie est à l’origine de l’économie de marché dont Saint Thomas fut le premier à en défendre l’utilité en légitimant le prêt à intérêt et la variation des prix. Turgot démontrera qu’une forte croissance peut résulter du libéralisme économique. Jean-Baptiste Say prolonge ce propos par le concept d’industrialisme, qui implique que la création de richesse ex nihilo pacifie la société. L’économie de marché bénéficie alors d’un rapport décomplexé au profit : loin d’être destructeur, le libéralisme économique apparaît plus efficace que la charité. La satisfaction d’intérêts égoïstes à travers l’échange marchand est donc au service de l’éthique chrétienne. Peu à peu, le caractère auto-organisé de l’économie ressort. Elle est en effet régulée d’une part par le droit et d’autre part par les prix. Pris entre ces deux contraintes, l’agent économique optimise l’allocation des ressources dont il dispose : il produit ce qui est rare en utilisant ce qui est abondant. Ce système décentralisé et équilibré par ses acteurs conduit aux révolutions industrielles, qui lanceront une forte croissance.    4) L’ordre auto-organisé et ses adversaires :  Nemo démontre que l’ancienne distinction physis/nomos subsiste dans l’idéologie des réactionnaires de droite et des révolutionnaires de gauche, qui s’opposent au libéralisme économique avec une position en faveur respectivement de l’ordre naturel ou artificiel. Les régressions produites par les régimes fascistes et communistes s’appréhendent mieux ainsi. La construction Européenne, basée sur ce principe, révèle au passage un ensemble de valeurs qui sont en fait communes à tout l’Occident. En ce sens, Francis Fukuyama a raison sur un point : il n’y a pas d’alternative au libéralisme démocratique, ce principe est bien universel.    VI – Un aspect universel de la culture occidentale  1) La démocratie libérale et la division du savoir et de la productivité :  La spécialisation des savoirs a joué un grand rôle dans le succès du libéralisme sous toutes ses formes. Elle conduit à l’augmentation des connaissances mais dépend directement de la capacité de la société à organiser des échanges. À l’inverse, une société unanime a pour effet pervers de briser cette dynamique. La pratique des échanges commerciaux fait appel à des valeurs culturelles précises. Les échanges s’opèrent selon des dispositions qui régissent le droit commercial et s’optimise par les sciences. Philippe Nemo, lorsqu’il déclare que l’échange n’est possible que dans un antécédent occidental, résume à la fois l’ensemble de son ouvrage « L’échange, en effet, suppose des règles de juste conduite morales et juridiques : non seulement un droit commercial réglant l’échange économique lui-même, mais, plus généralement, un droit civil garantissant la propriété privée et réglant les contrats…Cela n’’est possible, à son tour, que dans un univers moral où la personne humaine individuelle et la liberté sont hautement estimées… et c'est-à-dire l’homme comme un partenaire légitime avec lequel on peut et on doit respecter les mêmes règles morales et juridiques fondamentales « (p95) .  2) L’explosion démographique et sa signification :  Nemo cite Haye qui pose un constat créant un véritable remoud dans les classes politiques qui usent à tord et à travers de la pauvreté de la population : la concomitante de la croissance démographique, n’est pas qualitative mais quantitative : les pauvres ne sont pas plus pauvres qu’avant, mais plus nombreux. L’économie plus forte rend leur survie plus facile, alors qu’une société traditionnelle ne disposerait pas des ressources nécessaires pour les maintenir en vie, ni même leur permettre de voir le jour. De ce constat, on peut ainsi dire le libéralisme politique et économique est à l’origine d’une augmentation de la qualité de vie et que, de part la diffusion de la culture et des sciences dans les pays colonisés, ces derniers ont bénéficiés d’un saut évolutionnaire flagrant. Cependant, comme ils n’ont pas connus les différentes périodes tel la révolution papale, ils leurs est difficile pour le même d’intégrer complètement la culture occidentale et donc l’avancée qu’elle soutient.  3) La valeur universelle de la société de droit et de marché :  Nemo emprunte la pensée de Jean Baechler, dans son œuvre Esquisse d’une histoire universelle, qui voit un processus d’unification de l’histoire , où la pensée humaine joue un rôle moteur. Il réfute toute interprétation psychologisante, qui attribuerait aux Européens un désir malveillant d’emprise sur le monde (Sophie Bessis selon Nemo). Par ailleurs, il existe peut-être des versions non occidentales de la modernité. Nemo cite les valeurs confucéennes, aussi universelles et plus respectueuses de l’équilibre social et écologique. Il faut cependant reconnaître l’aspect pluraliste consubstantiel à la modernité, qui est résolument une invention de l’Occident.  VII – Pour une Union occidentale  1) Les frontières de l’Occident :  Elles sont à la fois territoriales et conceptuelles. Elles marquent la séparation entre les pays qui ont connu les cinq sauts évolutionnaires décrits dans le présent ouvrage, et les autres. Il se peut que certains pays n’aient pas encore achevé cette « morphogenèse « de l’Occident et stagne encore au stade de transition démographique. Selon ce critère, l’Occident comprend l’Europe démocratique catholique et protestante, et l’Amérique du Nord :  - L’Europe des quinze, à laquelle il soustrait la Grèce puis ajoute la Suisse, l’Irlande et la Norvège.  - Les Etats-Unis et le Canada sont des héritiers directs de la culture nord-européenne, tout comme les dépendances territoriales de cet ensemble. L’Australie, la Nouvelle-Zélande en font partie, mais l’auteur hésite à aller jusqu’à intégrer l’Afrique du Sud.  Cet Occident est fondé sur un substrat de valeurs qui font consensus, sur des traits civilisationnels communs qui dépassent les différences régionales.  Les pays qui peuvent être considérés comme proches de l’Occident sont ceux qui n’ont pas connu un ou deux des cinq événements fondateurs :  - Les pays orthodoxes comme la Russie et les Balkans n’ont pas pu connaître la révolution papale : le schisme orthodoxe les a éloignés des réformes qui ont conduit à la naissance du libéralisme.  - Israël ne partage qu’une partie des valeurs occidentales. La diaspora Européenne et Américaine a réellement contribué à la morphogenèse de l’Occident, mais la réticence à la sécularisation et la persistance du traditionalisme religieux font persister en Israël un risque de théocratie.    2) L’extension des frontières, la question de l’éducation :  Malgré sa fonction transformatrice, la mondialisation n’est pas un mélange général des cultures. Si Friedrich Von Hayek a eu raison d’écrire que les relations de marché sont le premier lien social, il faut néanmoins souligner qu’à elles seules elles ne suffisent pas à créer une culture commune. L’appareil éducatif familial, scolaire et social est en cela essentiel. L’église, l’école, la presse, l’université et les arts mettent en place et perpétuent les dispositifs démocratiques qui structurent les mentalités. Pour cette raison, les critères de Copenhague, qui sont essentiellement économiques, ne sont pas un moyen de promotion efficace de l’intégration européenne.    3) L’Union occidentale :  C’est l’entité politique que Philippe Nemo propose de créer pour incarner et promouvoir l’identité occidentale. Une association de pays partageant la même forme culturelle pourrait se construire à partir des pays de l’Europe des quinze – toujours sans la Grèce. Les pays musulmans et orthodoxes n’y figurent pas, pour ne pas fragiliser une entité prévue comme homogène. Il faut au contraire rapprocher l’Europe et l’Amérique du Nord, et pour cela calmer les dissensions de part et d’autre de l’Atlantique. L’actuelle politique des deux bords, qui accentuent leur séparation politique et idéologique, est une fausse bonne idée. En premier lieu, la volonté hégémonique américaine, dont la réalisation se révèle plus compliquée que prévu, est créatrice de désordre.  Critique de l’œuvre  Le dernier point dont traite Philippe Nemo reste évidemment figée à la date de la publication de son ouvrage, c’est-à-dire en 2002. Nemo ne l’a donc pas complété avec les évolutions de l’Union Européenne, que ce soit au niveau de son élargissement (Europe des 25) et au niveau de ses institutions et des traités en vigueur (Traité de Lisbonne dont l’article 50 dispose la possibilité pour tout Etat de quitter l’UE sans aucun motif ni délais). Il n’est évidemment pas fait état de la crise économique de la fin 2008, événement révélateur d’une grande fragilité des Etats-Unis et donc de l’Amérique ni de la totale désillusion de la politique du gouvernement en Grèce. Toutes ces données auraient majoritairement influencées la question d’une Union occidentale dont il est fait débat. Qu’est ce que l’Occident ? de Philippe Nemo reste néanmoins un essai incontournable, tant par sa clarté que par sa conception de l’évolution et des principes occidentaux.

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