Fès

« f::tienne Jodelle .

Photo Roger-V ioll et.

Les critiques des époques passées n'ont pas toujours été ten­ dres pour la Cléo­ pâtre captive , parce que , selon eux, la piè­ ce est dépourvue de toute action .

Cette opinion est inju stifiée ; en effet, le sujet de la pièce n'est pas de savoir si Cléopâtre mourra, mais plutôt si elle mourra captive.

En d'autres termes, acceptera-t -e lle de disparaître humiliée par son vainqueur ou saura-t-elle trouver une voie qui ménage sa dignit é? Le livre La fin de Cléopâtre D ans la Cléopâtre captive d'Etienne Jodelle (1532-1573), pas d'événements extraordinaires, aucun coup de théâtre qui fasse prendre à 1' action une direction inattendue ; la destinée des protagonistes, celle de Cléopâtre avant tout, est scellée dès les premiers vers.

Son pays est occupé par les Romains et les deux protecteurs de la belle impératrice, César et Marc-Antoine , sont morts avant que ne se lève le rideau.

L'ex-amant intervient pourtant régulièrement depuis le royaume des ombres comme pour accélérer le dénouement de la pièce .

Nul espoir n'est permis sur une scène où seules les lamentations funèbres et la nostalgie d'un autre temp s, plus glorieux, se développent en longues tirades.

Les cinq actes qui composent la pièce ne retracent que quelque s heure s d'action : le temps nécessaire à la grande dame orgueilleuse, dont les charmes ont perdu tout leur pouvoir sur les dirigeant s de Rome , de pleurer , ava nt de se dérober à la honte de la défaite en choisissant l'inévitable et courageuse issue du suicide.

Un précurseur des classiques S ' il est vrai que les dramaturge s français du xvne siècle ont s uivi des règles de composition extrêmement strictes , arrêtées bien avant le début de leur activité littéraire -les fameuses unités de temps, de lieu et d'action-, il n 'en reste pas moin s que ces règle s ont été plus ou moins adoptées par quelque s précu seurs du XVI e siècle.

Parmi ces hommes de lettres en avance sur leur temp s, Jodelle, membre de la Pléiade , fait figure de fondateur du théâtre classique.

Bien entendu, à la lumière des chefs-d' œuvre écri ts plus tard par Racine ou Corneille , la Cléopâtre captive pourr ait semb ler comporter nombre de faiblesses .

Pourtant, il faut replacer l'œuvre dans son contexte histor ico- littér aire , ce qui permet de mieux juger la modernité d'un texte où tout un nouvel art dramaturgique se met en place.

Paradoxalement, c'est la perfection à laquelle so nt arrivés les écrivains français classiques, qui n 'a pu se manifester que grâce au talent avant-gardi ste de Jodelle, qui a fait sombrer celui-ci dans l'oubli .. »