Fabre, le Scarabée sacré (extrait) Le Scarabée sacré est l'un des 10 volumes qui composent les Souvenirs entomologiques de Jean-Henry Fabre.
Publié le 27/04/2013
Extrait du document
«
Rien qui mérite attention entre les deux conjoints immobiles.
Enfin ils se séparent, mais pour se rejoindre bientôt de façon plus intime.
Si le pauvret est aimé de la belle comme vivificateur des ovaires, il est aimé aussi comme gibier de
haut goût.
Dans la journée, en effet, le lendemain, au plus tard, il est saisi par sa compagne, qui lui ronge d’abord la nuque, suivant les us et coutumes, et puis méthodiquement, à petites bouchées, le consomme, ne laissant que les ailes.
Ce n’est plus ici jalousie de sérail entre pareilles, mais bien fringale dépravée.
La curiosité m’est venue de savoir comment serait reçu un second mâle par la femelle qui vient d’être fécondée.
Le résultat de mon enquête est scandaleux.
La Mante, dans bien des cas, n’est jamais assouvie d’embrassements et de festins
conjugaux.
Après un repos de durée variable, la ponte déjà faite ou non, un second mâle s’accepte, puis se dévore comme le premier.
Un troisième lui succède, remplit son office et disparaît mangé.
Un quatrième a semblable sort.
Dans
l’intervalle de deux semaines, je vois ainsi la même Mante user jusqu’à sept mâles.
A tous elle livre ses flancs, à tous elle fait payer de la vie l’ivresse nuptiale.
De telles orgies sont fréquentes, à des degrés divers, tout en souffrant des exceptions.
Dans les journées très chaudes, à forte tension électrique, elles sont presque la règle générale.
En des temps pareils, les Mantes ont leurs nerfs.
Sous les
cloches à population multiple, les femelles mieux que jamais s’entre-dévorent ; sous les cloches à couples séparés, mieux que jamais les mâles sont traités en vulgaire proie après accouplement.
Comme excuse de ces atrocités conjugales, je voudrais pouvoir me dire : en liberté, la Mante ne se comporte pas de la sorte ; le mâle, sa fonction remplie, a le temps de se garer, d’aller au loin, de fuir la terrible commère, puisque, dans
mes volières, un répit lui est donné, parfois jusqu’au lendemain.
Ce qui se passe réellement sur les broussailles, je l’ignore, le hasard, pauvre ressource, ne m’ayant jamais renseigné sur les amours de la Mante en liberté.
Il faut que je m’en
rapporte aux événements des volières, où les captives bien ensoleillées, grassement nourries, amplement logées, ne semblent en aucune façon atteintes de nostalgie.
Ce qu’elles font là, elles doivent le faire dans les conditions normales.
Eh bien, ces événements rejettent l’excuse du délai donné aux mâles pour s’éloigner.
Je surprends, isolé, l’horrible couple que voici.
Le mâle, recueilli dans ses vitales fonctions, tient la femelle étroitement enlacée.
Mais le malheureux n’a
pas de tête ; il n’a pas de col, presque pas de corsage.
L’autre, le museau retourné sur l’épaule, continue de ronger, fort paisible, les restes du doux amant.
Et ce tronçon masculin, solidement cramponné, continue sa besogne !
L’amour est plus fort que la mort, a-t-on dit.
Pris à la lettre, jamais l’aphorisme n’a reçu confirmation plus éclatante.
Un décapité, un amputé jusqu’au milieu de la poitrine, un cadavre persiste à vouloir donner la vie.
Il ne lâchera prise
que lorsque sera entamé le ventre, siège des organes procréateurs.
Manger l’amoureux après mariage consommé, faire repas du nain épuisé, désormais bon à rien, cela se comprend, dans une certaine mesure, chez l’insecte peu scrupuleux en matière de sentiment ; mais le croquer pendant l’acte, cela
dépasse tout ce qu’oserait rêver une atroce imagination.
Je l’ai vu, de mes yeux vu, et ne suis pas encore remis de ma surprise.
Pouvait-il fuir et se garer, celui-là, surpris en sa besogne ? Non certes.
Concluons : les amours de la Mante sont tragiques, tout autant, peut-être même plus que celles de l’Araignée.
L’espace restreint des volières favorise, je n’en
disconviens pas, le massacre des mâles, mais la cause de ces tueries est ailleurs.
Peut-être est-ce une réminiscence des temps géologiques, lorsque, à l’époque houillère, l’insecte s’ébauchait en des ruts monstrueux.
Les Orthoptères, dont les Mantiens font partie, sont les premiers-nés du monde entomologique.
Grossiers, incomplets en transformation, ils vaguaient parmi les fougères arborescentes, déjà florissants lorsque n’existait encore aucun des insectes à délicates métamorphoses, Papillons, Scarabées, Mouches, Abeilles.
Les mœurs
n’étaient pas douces en ces temps de fougue pressée de détruire afin de produire ; et les Mantes, faible souvenir des antiques spectres, pourraient bien continuer les amours d’autrefois.
La consommation des mâles comme gibier est en usage chez d’autres membres de la famille mantienne.
Volontiers je l’admettrais générale.
La petite Mante décolorée, si mignonne, si paisible sous mes cloches, ne cherchant jamais noise
à ses voisines malgré population nombreuse, happe son mâle et s’en repaît aussi férocement que le fait la Mante religieuse.
Je me lasse en courses pour procurer à mon gynécée le complément indispensable.
À peine ma trouvaille, bien
ailée, bien alerte, est-elle introduite, qu’elle est le plus souvent griffée et dévorée par l’une de celles qui n’ont plus besoin de son concours.
Une fois les ovaires satisfaits, les deux Mantes ont le mâle en horreur, ou plutôt ne voient en lui
qu’une exquise pièce de venaison.
Source : Fabre (Jean-Henri), le Scarabée sacré, la Cigale, la Mante religieuse, Paris, Hachette, 1980.
Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.
Tous droits réservés..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Souvenirs entomologiques [Jean-Henri Fabre] - fiche de lecture.
- Souvenirs entomologiques [Jean-Henri Fabre] - Biologiste / Naturaliste.
- SOUVENIRS SOUVENIRS Henry Miller (résumé)
- SOUVENIRS ENTOMOLOGIQUES (Résumé et analyse)
- Explication de texte, Extrait, Cahier pour une morale, Jean Paul SARTRE