Euripide, Hécube (extrait).
Publié le 07/05/2013
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ULYSSE (évasif)
Oh ! Tout ce que peut inspirer le désir d’échapper à la mort.
HÉCUBE
Ne commets-tu donc pas une mauvaise action en formant de tels desseins, toi qui, après le service que tu reconnais avoir reçu de moi, loin de me protéger, me fais tout le mal que tu peux ? Ô race ingrate des démagogues, qui ambitionnez
les honneurs populaires ! Puissé-je n’avoir aucun rapport avec vous ! Nuire à vos amis, c’est votre moindre souci pourvu qu’à la masse vous teniez de séduisants discours ! — Mais enfin, comment ont-ils pu penser que ce fût un acte de
savante politique de faire porter sur cette enfant leur sentence de mort ? La nécessité les a-t-elle acculés à un sacrifice humain, sur un tombeau, où génisse et taureau sont des victimes mieux séantes ? Ou, s’il exige par représailles la mort
de ceux qui l’ont tué, Achille a-t-il de justes raisons de la désigner au trépas ? Elle, au moins, ne lui a fait aucun mal.
C’est Hélène qu’il devait réclamer pour sa sépulture en offrande ; car c’est bien celle-là qui l’a fait périr en l’amenant à
Troie.
Et si, parmi les captives, il faut élire une victime de choix, une victime d’une incomparable beauté, ce n’est pas nous qui sommes en jeu ; c’est la fille de Tyndare qui éclipse toutes les autres ; — et l’on vient de voir qu’elle n’est
pas moins coupable que nous.
— J’ai le bon droit pour moi, quand je soutiens cette thèse.
— Et toi, ce que tu dois à ton tour m’accorder, quand je te demande de me payer ta dette, écoute-le.
Tu l’avoues, tu as saisi ma main ; tombant à
mes genoux, tu as touché cette joue flétrie ; aujourd’hui (s’agenouillant) c’est moi qui saisis et ta main et ta joue ; je réclame le salaire de ce que je fis pour toi, je t’adresse ma prière ; n’arrache pas mon enfant à mon étreinte ; ne la tuez
pas ; c’est assez de ceux qui sont morts.
Elle est ma joie, par elle j’oublie mes maux ; pour tant d’autres qui n’y sont plus, elle est ma consolation, la protectrice de mes cheveux blancs, mon soutien, mon guide.
Le puissant ne doit pas
exercer injustement sa puissance ; les vainqueurs ne doivent pas croire que la fortune leur sourira toujours.
J’ai connu le bonheur aussi ; maintenant, je ne suis plus rien ; toute ma splendeur, une seule journée me l’a ravie.
— Oh ! Chère
tête, respecte ma vieillesse, aie pitié ; va trouver les Grecs ; apaise-les ; dis-leur que c’est provoquer la malveillance divine de mettre à mort des femmes que vous n’avez pas massacrées sur l’heure, en les arrachant aux autels, que vous
avez épargnées.
Quand il s’agit de la vie, chez vous, le maître et l’esclave sont régis par la même loi.
Ton autorité, d’ailleurs, dût-elle soutenir une mauvaise cause, la fera prévaloir ; car la même thèse, dans une bouche obscure et sur des
lèvres illustres, est loin d’avoir la même force.
LA CORYPHÉE
Il n’est point d’homme assez cuirassé contre la pitié pour entendre sans verser de larmes tes sanglots et tes longs gémissements plaintifs.
ULYSSE
Hécube, souffre que l’on t’éclaire, et ne va pas, dans ton exaltation, confondre le langage de la raison avec la malveillance.
Certes, toi personnellement, toi qui m’as fait du bien, je suis tout prêt à te sauver, et ce ne sont pas là des paroles
vaines ; mais ce que j’ai publiquement déclaré, je ne le nierai pas : maîtres de Troie, il convient qu’au premier de nos chefs nous abandonnions ta fille, puisqu’il réclame un sanglant sacrifice.
Car c’est bien là la plaie de la plupart des
cités, que les vaillants et les hommes de cœur n’y obtiennent sur les médiocres aucun avantage.
De nos marques d’honneur Achille est digne, ô femme, ce héros qui pour la terre hellénique tomba si noblement.
Ne serait-il pas honteux,
empressés auprès du vivant, de ne l’être plus quand la mort a fermé ses paupières ? Que dira-t-on, alors, si viennent à se lever encore des aubes de mobilisation et si l’ennemi nous appelle au combat ? Irons-nous à la bataille, ou céderons-
nous au désir de vivre, si nous voyons privé d’honneurs le guerrier mort ? Certes, de mon vivant, n’eussé-je que bien juste de quoi subsister au jour le jour, tout me serait bon ; mais mon tertre funèbre, je voudrais qu’il s’offrit aux regards
chargés d’honneurs ; car cette récompense-là n’est point éphémère.
— Ton sort, dis-tu, mérite la pitié ; mais écoute ma réponse ; nous avons, nous aussi, nos vieillards, hommes et femmes, qui ne sont pas moins éprouvés que toi, et nos
vierges privées de valeureux fiancés, dont le cadavre repose sous ces sables du mont Ida.
Résigne-toi donc ; si notre coutume est mauvaise, d’honorer le vaillant, je veux bien qu’on nous taxe de folie ; mais vous autres, Barbares, ne traitez
donc pas en amis vos défenseurs ; n’ayez pour un beau trépas aucune considération ; ainsi la Grèce sera prospère, et vous obtiendrez, vous, des succès en accord avec vos maximes.
LA CORYPHÉE
Hélas ! Quelle misère, toujours, dans la servitude ! Comme elle doit, subjuguée par la force, plier sous l’iniquité !
Euripide, Hécube, in Théâtre complet, tome 2, trad.
par H.
Berguin et G.
Duclos, Paris, Garnier-Flammarion, 1966.
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