Étude analytique du poème: Demain, dès l'aube de Victor Hugo
Publié le 27/12/2011
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« Demain, dès l’aube », Victor Hugo
Je propose ici une étude détaillée de ce poème magistral, suivie de prolongements portant sur Les Contemplations ainsi que l’œuvre poétique voire littéraire d’Hugo.
Etude analytique du poème
Tout d’abord, il est bon de préciser que ce voyage au cœur de la campagne est totalement fictif, il fut en effet ardemment désiré mais demeura irréalisé. Le décor est donc plus construit que réellement observé.
Tout au long du poème Hugo nous décrit un itinéraire suivi antérieurement au trépas de sa fille, usant de l’adverbe de temps « Demain » au vers 1 mis en relief par l’usage de la forme emphatique, alors que, bien évidemment, la rédaction des Contemplations date de 1855. Cette ambiguïté temporelle est accentuée par la date inscrite au bas du texte, « 3 septembre 1847 » qui contraste avec celle du décès de Léopoldine, le 4 septembre 1843, faisant du poème une réelle prolepse. Par ailleurs, on peut ajouter que cette indication obsède le poète, étant pour lui telle la césure entre un temps de bonheur indicible et le deuil qui lui succède, opposition entre « Autrefois » -1830-1843- ainsi qu’ « Aujourd’hui » -1843-1856- (les deux parties du recueil). En conclusion, dans ce présent bloqué, « Demain » ne peut symboliser qu’une commémoration, dans un contexte disdiachronique que l’on retrouvera tout au long des Contemplations.
Ainsi, ce futur simple -retrouvé aux vers 2, 3, 5, 8, 9 et 11- nous indique la fermeté et l’irrévocabilité de cette marche entreprise par le poète ; on relève de plus l’anaphore doublée de la parataxe, accentuées par une césure à l’hémistiche « j’irai » au vers 3. En contrepoint, on remarque aisément l’imprécision et l’incertitude des contours du paysage : métaphore du soleil au vers 9 –« l’or du soir qui tombe », c’est notamment grâce à cette figure et à l’indication « dès l’aube » au vers 2 que l’on peut évaluer la durée du voyage : peu ou prou une journée complète-, synecdoque des navires à l’horizon au vers 10 – « les voiles au loin »-, parallélisme indiquant l’insensibilité du poète au vers 6 –« Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit ». En outre, la nature est au vers 3 réduite à sa quintessence même, « la forêt » et « la montagne » sont simplement évoquées. Hugo s’ancre dans le mutisme, l’isolement, de plus, son indifférence totale envers le monde extérieur grandit, notamment dans l’ultime quatrain, où le lecteur comprend que le paysage, pourtant si champêtre et hospitalier, repousse désormais le poète. En effet celui-ci conserve « les yeux fixés sur [ses] pensées ». Son malheur apparaît tel une douleur obsessionnelle dont il ne saurait se séparer.
Dans un second temps, il est fort intéressant d’étudier le lyrisme, incontestable, du poème. C’est bien à juste titre qu’Hugo est considéré comme le chef de file du romantisme français : « Demain, dès l’aube » en est peut-être un des exemples les plus frappants. A l’instar d’Alphonse de Lamartine, Victor Hugo nous expose ici son impuissance, son désespoir, son désarroi, causés par la perte de l’être aimé, si chéri, sa fille adorée… Le poète apostrophe celle-ci au vers 2 – « Vois-tu »- afin de signifier sa tristesse infinie : «Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. » (vers 4). Le « je » du poète s’adressant au « tu », Léopoldine, est caractéristique de l’énonciation lyrique voire élégiaque. En effet il s’agit bien ici d’une plainte profonde et sonore, on y reviendra. Le deuil l’obsède, l’accable, le détruit, Hugo parvient à désirer la mort : le bonheur ineffable d’antan s’en est allé. On peut facilement justifier ceci par la gradation ascendante éloquente du vers 7 qui aboutit à la position immobile du défunt : « Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,/Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. » (vers 7 et 8). Dans ce dernier, on retrouve la fatalité de la mort à travers une comparaison à valeur oxymorique : « le jour » et « la nuit ». Enfin, on peut commenter l’ultime vers : celui-ci est en quelque sorte une chute – en effet jusque là jamais la mort n’est évoquée, pas même par une périphrase, cette sobriété voulue, présente de surcroît dans la ponctuation, implique une relecture du poème dans son intégralité, en outre ce procédé rappelle « L’albatros » de Baudelaire ou bien « Le dormeur du val » de Rimbaud. Il rappelle deux grands symboles de la durée et de l’immortalité – le « houx vert » et la « bruyère en fleur »- que le poète dépose sur la « tombe » (vers 12) de sa fille, cette austérité et cette trivialité contrastent avec la pudeur des premiers vers. Par ailleurs, le poète ne parvint à assimiler l’injustice commise par le Seigneur -Hugo est très pieux- : pour quel motif avoir ramené à Lui sa fille si innocente, pleine de candeur (on probablement faire le lien avec la pureté, le caractère virginal de la « campagne » au premier vers), irréprochable. C’est avec ce sentiment de lassitude infinie qu’Hugo parvient -enfin- à la sépulture de l’être cher. Il ne s’agit ainsi plus seulement d’un voyage initiatique, mais d’un voyage métaphysique (l’effet de ce pèlerinage se redouble au moment de la parution du recueil dès 1856 : l’exilé de Guernesey ne peut fouler le sol français). Pour l’écrivain, son existence est parvenue à son terme, il n’a plus ni espoirs ni idéaux, et d’ailleurs, Hugo le précise dans la préface de ce recueil de plus de cent dix mille vers : « Ce livre doit être lu comme on lirait le livre d’un mort. ».
Avant de conclure, on peut étudier la versification, qui permet de comprendre les multiples intérêts du poème. Dans les deux premiers quatrains, les vers sont majoritairement désarticulés créant ainsi un certain malaise. On peut également relever l’unique rejet du poème au vers 2 - «Je partirai », reprenant la fermeté de la décision du poète, ou bien encore l’enjambement des vers 11 et 12 qui constitue un réel choc pour le lecteur. Le poème se compose de trois quatrains d’alexandrins rimés ; ces rimes sont croisées et en alternance masculines et féminines, ce qui nous indique la volonté d’Hugo de respecter les exigences formelles de la poésie classique. On alterne successivement rythmes ternaire (vers 1et 2), tétramètre (vers 4), trimètre (vers 5). Les sonorités sont dures et accrochent : tout comme les sentiments du poète.
Ces Contemplations ou « Mémoires d’une âme », sont le récit d’une vie. Avec « Demain, dès l’aube » Victor Hugo nous relate finalement l’histoire d’une nature qui deviendra libératrice, qui immortalisera le deuil du poète et sa tendresse pour Léopoldine : l’infini du temps et de l’espace crée une ode à l’amour. Ce texte, qui paraît bref et simple aux premiers abords recèle en réalité de nombreux attraits, et permet dans sa complexité la compréhension des sentiments d’autrui. Le livre quatrième des Contemplations d’où le poème ici analysé est extrait, est intitulé Pauca meae, que l’on pourrait traduire par « trop peu de vers pour ma fille ». Rien « au terrestre séjour » (« L’Isolement », in Méditations poétiques, Lamartine) n’est suffisamment grand et puissant pour traduire ses ressentis, toutefois, la poésie apaise et amène lentement le poète vers la résignation : rédiger ces vers, c’est se libérer d’un lourd fardeau, une renaissance. Cependant avant celle-ci le poète est « En Marche » (livre cinquième) « Au Bord de l’Infini » (livre sixième). Le discours lyrique des Contemplations est à la fois réduction autobiographique (le deuil est exil intérieur) et agrandissement métaphysique (le corps est exil de l’âme). Victor Hugo désire fortement que le lecteur de ses vers saisisse la dimension universelle de l’amour, de la mort, de la fuite du temps et de la vie qu’ils prophétisent, et qu’ainsi il se retrouve dans le miroir que ceux-ci lui tendent. Cette universalité résulte du choix du vocabulaire, de l’incantation obsédante des rythmes, ainsi que de la négation de la réalité.
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