Est-il possible de nier l'existence du temps ?
Publié le 05/12/2010
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Le temps, dans ses trois dimensions ne peut être précisément défini, le passé n’étant plus, le présent n’étant que de passage, et le futur n’étant pas encore. Le temps, c’est en quelque sorte comme le disait Saint Augustin, la dimension de ma conscience qui se rapporte à partir de son présent vers l’avenir dans l’attente, vers le passé dans le souvenir, et vers le présent dans l’attention. Peut-on remettre en cause son existence ? Un tel procès ne serait-il pas le symptôme d’un certain déni face à notre irréversible condition mortelle ? Le temps n’est-il qu’un concept proprement humain, ayant pour origine son esprit ? Ainsi il n’existerait que pour l’Homme, dans l’Homme, ne contrariant et n’inquiétant que l’Homme. Il faut alors d’abord tenter de préciser ce que représente le temps pour nous, puis se demander si cette possibilité de le nier n’est pas essentiellement un penchant moral propre à notre espèce, et si elle peut se dire légitime. Quelles pourraient être les conséquences d’un tel refus ? Et enfin, quelles sont les issues possibles à une telle remise en question ?
Le temps est partout le même. En lui se produisent à la fois génération, destruction, accroissement, altération, vieillissement, naissances…Epicure disait : « Nous composons le temps avec les jours et les nuits, avec nos affections et nos états d’impassibilité, avec les mouvements et les repos, concevant en tout cela un certain accident commun d’un caractère spécial, que nous nommons le temps. « Selon Husserl, notre propre identité est de part en part temporelle : Notre conscience est toujours conscience intime du temps. Kant lui ne faisait du temps ni une intuition ni un concept, mais le considérait plutôt comme la forme même de toutes nos perceptions : Le temps serait ainsi partout puisque tout ce que nous percevons est dans le temps, mais aussi nulle part puisque nous ne percevons jamais le temps comme tel. En effet notre esprit ne peut saisir les choses que sous forme de temps et d’espace. Bergson face à ce problème qu’est l’existence du temps disait que ni le passé, ni l’avenir ne sont : seul l’instant présent existe réellement, et le temps n’est que la succession de ces instants ponctuels de l’avenir vers le passé. Il serait alors une série d’instant, comme la ligne est une succession de points. « Une ligne en forme de vagues… « (Aymeric Bouissou). A ce temps spatialisé, homogène et mesurable, il faut opposer notre vécu interne de celui-ci, autrement dit, la durée : elle est le temps tel que nous le ressentons quand nous ne cherchons pas à le comprendre. Tout geste qui s’esquisse est empreint d’un passé et s’enfuit vers l’avenir, ainsi la durée n’est pas ponctuelle, mais continue, puisque notre conscience se tourne déjà vers l’avenir, et se rapporte à son passé. La durée non mesurable, hétérogène et continue est donc en quelques sortes le vrai visage du temps, avant que notre intellect ne le décompose en instants distinct. Mais pourquoi redouter le temps ?
Parce qu’il place notre existence sous le signe de l’irréversibilité…Je crains mon avenir, je porte le poids de mon passé, et comme mon présent sera bientôt un instant révolu sur lequel je n’aurais plus aucune prise, je suis amené à me soucier de ma vie. De plus, il éveille en nous la possibilité d’une conscience morale : Je me reproche mon passé, ne pouvant effacer mes erreurs, et je me tourmente face à mes résolutions sensées corriger ma nature. Selon Heidegger, c’est parce qu’il est de part en part un être temporel consciencieux que l’Homme existe. Le temps serait ce qui le jette hors de lui-même. Etre temporel ce n’est donc pas simplement être soumis au temps, c’est être sans cesse projeté vers un certain avenir, vers du possible, et avoir en permanence à répondre de ses choix. C’est ce qu’Heidegger nomme le souci. Il faut aussi se demander si le temps ne fait pas de la mort notre horizon, car en effet, si je n’avais pas d’avance la perspective de la mort, si je ne savais pas que je mourrais un jour, je me ne me soucierais pas tant de ma vie. « Ce n’est donc pas la mort qui nous vient du temps, mais le temps qui nous vient de la mort.« (Heidegger) Autrement dit, je ne meurs pas parce que je suis un être temporel soumis aux lois du temps, au contraire : Le temps n’existe pour moi que parce que la perspective certaine de ma mort m’invite à m’en soucier ; ma conscience d’exister est solidaire d’une conscience de la mort, soit du temps. En effet, les animaux, inconscients de leur mort, ne connaissent pas le temps. « L’Homme est cet être pour qui il y va de son être de cet être même «. (Heidegger) Il est indéniable que les Hommes semblent s’être toujours attachés à conjurer les effets du temps, dont l’irréversibilité même suscite l’angoisse d’une fin prochaine : l’imminence de la mort. Ceci-dit nous ne pouvons nier l’existence du temps, l’Homme étant son ultime prisonnier. Certes, les animaux subissent son effet, mais sans en avoir aucunement conscience. L’Homme en revanche, souffre du temps qui passe, courant pour le rattraper, se lamentant de ne pas en avoir profité d’avantage, déplorant d’avoir commis des fautes irréparables. De par l’impermanence tragique qu’il suscite, notre hantise du changement perpétuel, un « moi « qui ne cesse de mourir à lui-même, un bonheur nomade et inconstant : Il se pourrait bien que le temps soit notre malheur, expérience du devenir sans retour. Comme l’eu si bien dit Lavelle, « …le propre du temps, c’est de nous devenir sensible moins par le don nouveau que chaque instant nous apporte, que par la privation de ce que nous pensions posséder et que chaque instant nous retire. « Nous pouvons dire que la conscience du temps est une dimension essentielle, mais tout aussi paradoxale de la condition humaine, car en elle, l’Homme se saisit à la fois comme un être impuissant et précaire, et comme une puissance libre et créatrice. Désarmé et fragile car il se heurt à l’irréversibilité, sachant que la flèche du temps le conduit inéluctablement vers la mort, faisant parfois naitre en lui ces sentiments de désespoir, de remords et d’angoisse. Par ailleurs, il se saisit comme une force libre et créatrice, le futur pouvant lui apparaitre comme la promesse de tous les possibles, le champ illimité de tous nos désirs… « Ô temps, suspend ton vol «…En effet, nous souhaiterions tous avoir une certaine maîtrise sur le temps, et ainsi, une prise sur notre vie, bien que notre impuissance face aux saisons de la vie ne nous le permette pas.
Devant cette atrophie, l’Homme a cherché des échappatoires pour tenter d’oublier sa misérable condition. On en vient à cette notion de divertissement qui apparaît dans Les pensées de Blaise Pascal : Selon lui, devant la fuite du temps, l’Homme a deux choix, trouver une posture qui lui permette soit de l’oublier vainement dans l’illusion de la distraction continuelle, en « tuant le temps «, soit de trouver par la grâce un chemin hors du temps, un chemin vers une éternité rassurante. Ceci dit il y a lieu de se demander si ces deux attitudes énoncées par Pascal ne sont pas toutes deux des formes de déni du temps. L’éternité par la grâce, nous donne l’espoir d’un autre monde, un monde qui échapperait au temps puisqu’il se situerait au-delà du temps, au-delà de la mort…Mais une foi pareille est elle vraiment fondée et raisonnable ? Ne repose t’elle pas enfaite sur notre appréhension des ravages du temps, et sur notre détresse face à notre fatal destin ? Sur la recherche d’une condition éternelle qui nous sauverait de la mort… Ne ferions-nous pas mieux d’adhérer au temps pour mieux lutter contre sa puissance d’érosion, et ainsi de créer, dans la matière même de notre temporalité, les éléments d’un bonheur envisageable… ? Peut-être devrions nous accepter le temps comme étant ni notre malheur ni notre bonheur, mais ce qui ce qui nous structure, nous permet d’exister et donne un rythme à notre vie… Le fameux Carpe diem est il possible ? Plutôt que de nier le temps, nous devrions peut-être forger en nous une morale de l’instant et du bon usage des plaisirs, dans l’espoir de gouter à l’ivresse de la jouissance et de la volupté…Pour en revenir à Bergson, penseur de l’idée que nous sommes des êtres absolument temporels, l’éternité comme image fixe du temps, et non pas le temps comme image mobile de l’éternité, semble être semble être la plus sûre garantie de stabilité qu’il soit. En effet, en y adhérant, nous ne serions plus confrontés avec les abîmes de l’avant et de l’âpres, mais flotterions dans une sorte de finitude. Qu’est-ce qui fait que je suis présent à moi-même et que j’ai la possibilité me déterminer ? Le temps. Il nous permet d’organiser et de construire notre vie, et plus particulièrement dans le cadre d’une société comme la notre dans laquelle nous nous devons d’être à l’heure, et devons nous régler tel des machines, galopant derrière le temps, en oubliant qu’il est préférable de prospérer dans, et avec le temps, et de jouir de notre vie dans le présent. « Le temps nous égare, le temps nous étreint, le temps nous est gare, le temps nous est train. « (Jacques Prévert), « Il y a deux sortes de temps, le temps qui attend, et le temps qui espère «. (Jacques Brel)…N’est ce pas à force de nier le temps et de courir à ses trousses à contre cœur, que comme l’eu dit Montesquieu, « il y est trop peu d’intervalle entre le temps où l’on est trop jeune, et le temps où l’on est trop vieux. «… ?
Ainsi, oui, il est possible, en tant que « tout est possible «, de nier l’existence du temps, en le « tuant « comme s’il s’agissait de notre plus redoutable ennemi, en le déniant dans l’espoir d’une éternité fantasmée. « Ils se contentent de tuer le temps en attendant que le temps les tue « (S. de Beauvoir). La perspective de notre mort étant l’amorçage de notre conscience du temps, les Hommes dans leur grande majorité, s’acharnent à conjurer ces effets. Crème anti ride, chirurgie esthétique, teinture, maquillage…Il semble que l’Homme souffre du temps qui passe, cherchant à gommer tous les symptômes et indices de l’âge, et s’alarmant à chacune des gares desservies par son train de vie, redoutant intimement le terminus fatal. Cependant, faire le déni constant d’un phénomène résidant au cœur de notre condition n’est point confortable. Il est possible de nier l’existence du temps, mais il y a de quoi douter quant à l’intervention de la raison dans ce type réfutation, d’autant plus que pas un instant ne passe sans que nous ayons à nous soucier de l’heure. Il est du moins très rare de profiter pleinement de sa vie en se laissant aller, en se désunissant de l’heure, jusqu'à douter de l’existence du temps. Enfin, il serait plus sage de vivre en accord avec les aiguilles certes tranchantes du temps, et ainsi, de savourer notre propre existence. Il vaut mieux profiter du temps qu’il nous reste plutôt que de se reprocher le temps qui n’est plus.
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