Encyclopédie [Diderot et d'Alembert]. 1 PRÉSENTATION Encyclopédie [Diderot et d'Alembert], entreprise éditoriale, philosophique et scientifique menée par Denis Diderot et Jean Le Rond d'Alembert dans l'esprit de la philosophie des Lumières et parue entre 1751 et 1772. 2 UN PROJET ÉDITORIAL Après la parution en Angleterre de la Cyclopædia or Universal Dictionary of the Arts and Sciences de l'anglais Ephraïm Chambers (publiée de 1728 à 1742), le libraire parisien Le Breton décide en 1745 d'en faire la traduction. Après l'échec d'une collaboration avec l'abbé de Malves, il confie le projet à Denis Diderot qui travaille alors comme traducteur pour une maison d'édition. Ce dernier présente en 1750 dans un Prospectus le projet de l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Il y affiche son ambition de faire l'inventaire des acquisitions de l'esprit humain et y annonce les conditions de souscription. L'objectif de cette encyclopédie est de contrecarrer le Dictionnaire de Trévoux (1704, réédité de 1721 à 1771) des jésuites et de favoriser la diffusion de la philosophie des Lumières. Diderot a recours à des auteurs connus (le baron Montesquieu, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, le comte de Buffon, le sieur Dumarsais, Louis Daubenton) ainsi qu'à des rédacteurs inconnus. Jean Le Rond d'Alembert s'occupe des mathématiques, Denis Diderot de l'histoire de la philosophie, l'abbé Morellet de la théologie, Buffon des sciences de la nature, Paul-Joseph Barthez (1734-1806) de la médecine, François Quesnay et le baron de l'Eaulne Turgot de l'économie. Le chevalier de Jaucourt assiste Diderot dans de nombreuses tâches rédactionnelles et éditoriales. L'Encyclopédie est avant tout marquée par l'intérêt de Diderot pour la technique, même si certaines planches s'inspirent d'autres encyclopédies, ou si certaines conceptions paraissent archaïques. Le destinataire est « le peuple « ; pourtant les souscripteurs sont des gens cultivés, des ecclésiastiques, des nobles et des parlementaires. 3 UN PROJET PHILOSOPHIQUE L'article « Encyclopédie «, rédigé par Denis Diderot et placé en tête du premier volume après le Discours préliminaire de Jean Le Rond d'Alembert, définit le programme d'ensemble de l'ouvrage : le projet de l'Encyclopédie est de rassembler les connaissances acquises par l'humanité, une critique des fanatismes religieux et politiques et une apologie de la raison et de la liberté. Diderot relie le projet encyclopédique à la philosophie, qui trouve en ce XVIIIe siècle son plus grand développement. Les courants philosophiques qui marquent le plus l'Encyclopédie sont le sensualisme et l'empirisme, structure fondamentale de la philosophie des Lumières. Influencé par la lecture d'un ouvrage du pasteur et érudit allemand Johann Jakob Brucker (1696-1770) -- auteur également d'une Histoire critique de la philosophie (1742-1744) de référence -- qui fonde une apologie de la Réforme sur l'idée de progrès de l'humanité, Diderot croit au progrès du savoir : l'Encyclopédie doit faire la synthèse (et le tri) des acquis humains et effectuer une généalogie des connaissances. Diderot emploie à cet effet l'image de l'arbre, chère à René Descartes, et à la scolastique médiévale : des racines aux dernières branches, la connaissance progresse et porte ses fruits. L'image est piquante si l'on songe que cet arbre est l'arbre de la connaissance, cher au christianisme. L'image biblique du livre de la Genèse est renversée, le projet antireligieux devient explicite. Non seulement la connaissance n'est pas interdite, mais elle est construite par l'homme qui doit s'appuyer sur elle pour son bonheur. 4 UNE STRATÉGIE ÉDITORIALE : ORDRE ET CIRCULATION Il s'agit pour Denis Diderot de « tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement «. Il procède à cet effet à une mise en ordre rationnelle (encyclopédie « raisonnée «) alphabétique. Il s'appuie sur la classification des facultés et des sciences établie par le philosophe anglais Francis Bacon. Nouveauté remarquable, Diderot utilise les « renvois « (« de choses « et « de mots «) pour faire circuler le lecteur à travers cette forêt de connaissances. Le trajet raisonné induit par les renvois construit progressivement un discours sceptique : l'analyse des mythologies fait douter de la vérité de la religion chrétienne, l'étude de l'histoire ancienne ou des moeurs des pays lointains conduit à porter un autre regard sur la politique et les moeurs, selon un procédé cher aux Lumières -- à l'oeuvre par exemple dans l'Antiquité dévoilée par ses usages, ou Examen critique des principales opinions, cérémonies et institutions religieuses des différents peuples de la terre (posthume, 1766) de Nicolas Antoine Boulanger (1722-1759) -- et à Voltaire. La convocation « encyclopédique « (en un cercle) du savoir vise alors bien plus à provoquer une réflexion et une relativisation politique qu'à seulement instruire. Toute la ruse et l'idéologie de l'Encyclopédie sont dans ces renvois, discrets mais efficaces. Les chapitres sur les techniques artisanales et les métiers visent quant à eux à informer sur des choses dont on ne peut douter ou à dissimuler la vocation philosophique antireligieuse de l'entreprise. 5 LA « BATAILLE « DE L'ENCYCLOPÉDIE Le premier volume, tiré à 2 000 exemplaires, est adressé aux souscripteurs le 28 juin 1751. Dans l'article « Autorité politique «, Diderot attaque Jacques Bénigne Bossuet et la théorie de la monarchie de droit divin. Très vite, l'entreprise reçoit le soutien de Malesherbes, de Montesquieu, de Voltaire et de Mme de Pompadour. L'Encyclopédie connaît un succès européen : la Suisse, l'Italie, l'Angleterre, la Russie l'acquièrent. En 1752 la parution du tome II fait scandale et la publication est suspendue. Diderot entreprend de se cacher, Voltaire propose de continuer l'entreprise à Berlin, mais Diderot refuse. En 1753 paraît le troisième tome ; il fait l'objet d'une condamnation du Conseil du Roi. Les tomes IV, V et VI paraissent néanmoins en 1754, 1755 et 1756. En 1757, l'Encyclopédie fait l'objet de 4 200 souscriptions. Une « bataille « se déclenche alors à partir de l'article « Genève «, rédigé par d'Alembert, qui suscite une réponse virulente de Rousseau. L'Encyclopédie est l'objet de railleries : Moreau surnomme les encyclopédistes les « cacouacs «, Palissot rédige une Petite lettre sur de grands Philosophes, qualifiée par Voltaire de « fatras «. En 1759, l'Encyclopédie est interdite à la suite de la publication de De l'Esprit (1758) écrit, sous couvert d'anonymat, par un des rédacteurs de l'Encyclopédie, Claude Adrien Helvétius -- ce traité de « morale expérimentale « est le fruit d'un immense scandale, l'auteur est condamné tant par l'Église que par l'État et son ouvrage brûlé. Le privilège de 1748 est annulé ; ordre est donné de rembourser les souscripteurs. Pour les dédommager, Le Breton édite deux volumes de planches séparées, qui bénéficient d'un privilège spécial et sont envoyés aux souscripteurs. D'Alembert, Marmontel et Duclos se retirent du projet. Diderot poursuit l'entreprise seul durant sept années. En 1766 paraissent les dix derniers volumes de textes et, en 1772, un dernier volume de planches. Un supplément (4 volumes de textes, 1 volume de planches) et une table des matières analytique (2 volumes) voient le jour respectivement en 1776-1777 et 1780. Mais les volumes, à partir du tome VIII, font l'objet d'une censure de l'éditeur Le Breton, à l'insu de Diderot, qui laisse néanmoins paraître les volumes. 6 POSTÉRITÉ L'entreprise de Diderot et de ses collaborateurs permet l'essor de la production encyclopédique. Elle reste également le symbole de l'esprit des Lumières. On tente encore dans les milieux catholiques, au milieu du XIXe siècle, d'en effacer les traces par des monuments plus importants encore. L'abbé Jacques-Paul Migne (1800-1875), fondateur de la Bibliothèque universelle du clergé et éditeur des monumentales collections de textes des Pères de l'Église, Patrologie grecque et Patrologie latine, fait ainsi paraître une Encyclopédie ecclésiastique (1851-1859) en soixante-six volumes afin de reléguer la « funeste « Encyclopédie de Diderot et d'Alembert à n'être qu'« un pygmée de science et d'utilité «. La postérité de l'oeuvre de Diderot a aussi un autre versant : l'Encyclopédie des sciences philosophiques (1817), réalisée par les philosophes allemands Georg Wilhelm Friedrich Hegel et Johann Gottlieb Fichte, héritiers de la philosophie des Lumières et de la Révolution française. Synthèse des savoirs autant que du savoir philosophique, l'Encyclopédie de Diderot, mystification polémique, catalogue ou Grand OEuvre, reste une oeuvre unique. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.