En quel sens pouvons dire que l'homme n'est pas un être naturel
Publié le 06/10/2013
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En quel sens peut-on dire que l'homme n'est pas un être naturel ? Introduction rapide L'homme est un être naturel parmi les autres. « L'espèce humaine « est le résultat d'une lente évolution qui nous a conduit lentement à devenir si différent des autres êtres que l'on peut s'interroger sur cette quasi-exception dans l'évolution des espèces naturelles. Mais si l'homme est bien un être naturel comme le démontre nos besoins vitaux, « en quel sens peut-on dire qu'il n'est pas un être naturel ? « Derrière cette question il faut remarquer un souci qui concerne non seulement notre évolution biologique mais surtout le sens que nous attribuons à cette différence ou cette négation. PARTIE I. Bilan rédigé de l'analyse des « éléments « de la question Dans un premier temps, il est facile d'établir le fait de la singularité de l'homme parmi tous les autres êtres. Les constats sont nombreux qui permettent d'attester une différence essentielle : ne serait-ce déjà que par ce qu'il est seul à s'interroger sur le sens des différences, en général, et de la sienne par rapport à tout être. L'homme est l'être pour lequel l'être fait sens. Il ne lui suffit pas d'être là, factuellement, vivre au monde. Il veut y participer. Il y a toujours, présent à ses côtés, la puissance du monde, qui l'appelle à devenir différent des autres êtres. Mais, dans un 2ème temps, il est décisif d'approfondir la négation : n'être pas naturel, et de s'interroger sur le sens qu'elle reçoit. Qu'est-ce qui est nié à travers le terme de "nature" ? Est-ce la nature en général ou sa propre nature, son animalité ? Enfin, pour proposer une réponse, ne faudrait-il pas revenir au pouvoir de dire ? En effet, nous pouvons bien accepter que l'animal s'exprime et « parle «, mais peut-être est-il réservé à l'homme de pouvoir dire quelque chose en lui donnant du sens. Montrer à quelle condition il est possible de dire ce sera du même coup montrer en quel sens l'énoncé « l'homme n'est pas un être naturel « doit être ressaisi, compris avec plus de force. A priori, on admet la différence entre l'homme et l'animal mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'elle peut toujours être contestée. Si le fait que l'homme se distingue de l'être naturel est communément établi, par contre, le sens de cette différence qui permet de le dire « non naturel « fait problème. La question, relancée à chaque époque, semble ne pas trouver de réponse et, chaque fois, il faut en reconquérir le sens. C'est donc bien le sens dans lequel on peut dire & poser l'énoncé : « l'homme n'est pas un être naturel « qui reste problématique et non le fait en lui même. D'abord, le concept d'être naturel ne va pas de soi. Il se trouve sans cesse remanié, vu que les conceptions de la nature varient. Il en résulte que le sens de l'énoncé négatif : « l'homme n'est pas un être naturel « ne va pas de soi non plus. Pour autant, ce n'est pas l'être naturel qui fait question mais bien l'homme en tant qu'il se définit lui-même contre la nature, ou en refusant d'être ramené à ce statut d'être naturel. Qu'est-ce qui dans l'homme est contre nature et lui permet de s'y opposer ? D'où lui vient cette force qui serait autre que naturelle et comment l'interpréter ? II. LE FAIT DE LA SINGULARITÉ DE L'HOMME, C'EST SA CULTURE Qu'est-ce qui distingue l'homme au point que l'on puisse dire qu'il n'est pas un être naturel ? (Lire corrigé Annales 96-97, p. 160-163, mais la conclusion reste insuffisante). On découvre beaucoup de réponses qui concernent la différence spécifique de l'homme et elles se ramènent toutes à l'idée de culture. Or, cette idée justement fait problème parce que la culture ne peut pas être assimilée à une nature. On oppose les deux, mais ce n'est pas comme l'inné et l'acquis car l'on pourrrait dire que l'homme est à la fois 100% naturel et 100% culturel. Naître et mourir, c'est naturel mais la naissance est surtout l'entrée dans une vie familiale qui est déjà sociale et la mort est totalement investie par des cérémonies. On s'interroge sur une nature qui est étrangère à l'ordre naturel. Tout être a son origine dans la nature mais l'homme tire la sienne encore d'une autre source : laquelle ? Une solution est donnée dans notre tradition. 1° ce n'est pas dans la nature sensible, le fait qu'il a un corps physique, désirs & besoins, mais dans un autre lieu, l'esprit : l'intelligible, le fait qu'il pense, qu'il a une vie sociale, politique & morale. La réponse est là au titre d'une opposition entre nature & culture. 2° Ce qui permet d'articuler la vie naturelle (nue, immédiate, sensible) et la vie spirituelle (mondaine, cultivée, civilisée) est la fonction du travail : travailler n'est pas seulement changer l'ordre naturel, le transformer à son profit, mais se transformer soi-même. Le travail permet à l'homme d'advenir à lui-même, de s'accomplir en niant sa propre nature primaire en vue d'un monde social et d'une élévation morale. Dire que l'homme n'est pas un être naturel revient à dire qu'il est un être de culture et que ce qui importe chez lui n'est pas le naturel sensible, la vie nue et immédiate, mais le culturel historique, la vie sociale et politique : la vie acquise sur le fond d'une culture ou civilisation. Le sens de notre humanité n'est pas donné mais il doit être conquis à chaque fois. C'est la reconquête du sens qui caractérise l'homme au premier chef, non l'ensemble des données qui permettraient de le comparer aux autres êtres. OR, L'HOMME PEUT-IL VRAIMENT RENIER LE NATUREL EN LUI ET TOUJOURS TRIOMPHER DE SA NATURE, SES DÉSIRS, PULSIONS ? L'homme reste, tant qu'il vit, un être désirant. Sans désirs, que serait l'existence ? Rousseau pense que l'homme doit rester un être passionné. Le désir cependant est très ambigu car, s'il peut devenir conscient de soi, il plonge aussi ses racines dans des pulsions contradictoires comme le montrent les faits de l'existence. En ce cas, le naturel en lui est certes combattu par la culture, à renfort de lois et d'interdits, mais il n'est pas supprimé. L'homme ne puise-t-il pas toutes ses énergies dans cette nature passionnelle et pulsionnelle ? Comment pourrait-il en triompher ? Il faut donc encore approfondir cette affirmation : « l'homme n'est pas un être naturel «. III. C'EST PAR-DELÀ TOUTE NATURE, QU'IL FAUT RECHERCHER LE SENS DE NOTRE HUMANITÉ : LE SENS N'EST PLUS « SIGNIFICATION « MAIS « VALEUR «. Ce qui fait que l'homme n'est pas un être naturel est, en même temps, ce qui fait de lui un être politique : il ne se rassemble pas pour « être ensemble « mais pour décider ensemble d'une action : comment allons-nous gouverner ? Selon quelles priorités ? Quelles valeurs faut-il privilégier ? et ce que l'on peut opposer n'est plus la nature et « la culture « mais la nature et « le monde «. L'homme n'est pas un être qui a nié, au sens de supprimé, sa nature car il la porte toujours en lui. Il l'a seulement surmontée en l'intégrant à des valeurs et ces valeurs font de l'existence du « monde « un autre monde que celui de la nature. Le sens est à rechercher du côté du monde et non du côté des diverses cultures. Il n'y a de vie humaine que politique, intégrée dans l'ordre du monde. Refuser de rester un être naturel, nier en soi-même l'élément immédiat est ainsi la condition sine qua non pour entrer en vie humaine. Nier la nature n'est pas un accident pour l'homme mais une exigence. Si l'homme doit être homme, il doit nécessairement nier en lui toute vie naturelle = biologique, et ne s'établir que sur une vie politique & morale. Tel est le sens qui permet de dire, au fond, que l'homme n'est pas un être naturel. Mais ce sens est une position de valeurs, et de valeurs conflictuelles. L'homme doit exercer sa force en décidant des valeurs. La négation de la nature est la négation de la nature immédiate en nous. Non la destruction des autres êtres naturels, l'exploitation des ressources, etc. c'est la destruction de ce qu'il y a en nous de naturel immédiat afin de pouvoir se porter soi-même au stade plus élevé d'un être libre & volontaire, pour être fondé à participer à une vie politique. Ceci est le côté valorisant et positif. Mais il y a aussi le côté négatif. L'homme va au-delà de la nature, et même dans la sauvagerie, car il a le pouvoir de nier non seulement toute nature en lui mais aussi toute culture, pour se déchaîner sans aucune mesure. Sophocle écrit en ce sens que l'homme est l'être le plus redoutable qui existe. Son pouvoir de destruction paraît infini, tant pour les autres que pour lui-même. Il porte en lui une négation absolue. S'il excède la nature, c'est dans le bien et dans le mal. L'énoncé "n'être pas naturel" est à entendre à la fois au sens d'une élévation au-dessus de sa propre nature et au sens d'une sortie de l'humanité, vers le mal, la perversion, ou vers le bien, la sainteté. C'est au sens où il est l'être à la fois le plus destructeur et le plus imaginatif qu'il n'est pas « naturel «. L'homme a le pouvoir d'engendrer les conditions de sa propre destruction et en même temps celles de sa plus haute élévation. Le sens de notre humanité n'est pas donné, mais loin d'être acquis, il doit être conquis contre une tendance vers le mal et la destruction. C'est la reconquête du sens qui caractérise l'homme, non l'ensemble des données qui permettraient de le comparer aux autres êtres. Pascal disait que la grandeur de l'homme consiste dans sa misère et que toute notre dignité consiste dans la pensée : « Travaillons donc à bien penser voilà le principe de la morale. « C'est dire que l'univers qui nous surpasse est aussi surpassé. Notre humanité, c'est de pouvoir penser et surtout de travailler à bien penser. C'est de s'élever à une dimension qui a d'avance laissé sur place toute comparaison avec les formes naturelles. Un temps bref ou très long n'y change rien. Il y a un saut qualitatif. L'univers, le plus vaste et même infini, ne se donne pas un sens à lui-même : seule la vie intelligente est en mesure de l'évaluer. Le sens de la différence n'est pas une simple signification mais une évaluation. Le fait humain est caractérisé par la position de valeurs : l'essentiel réside dans la position de valeurs : de choix volontaires et conscients. Nous ne devons jamais oublier après tout que "la nature" n'est que l'idée et la conception qu'on s'en fait selon les informations qu'on en a. Si bien que prétendre que l'homme ne serait qu'un être naturel revient à s'aveugler soi-même, puisqu'il n'y a que lui qui puisse comprendre un tel énoncé et se représenter « la nature «. Il résulte de ceci que le sens de notre humanité est à tenir à l'écart de toute forme de comparaison. Le sens de notre différence n'est ni un degré dans la même nature ni non plus « une autre nature « mais réellement une exception. Le sens de notre différence est celui d'une exception : c'est une singularité. L'homme est-il ou non un événement sans exemple ? Peut_être pas. L'important est de comprendre que le sens est une invention de l'homme et que c'est seulement la valeur qu'on lui donne qui lui apporte de la réalité.
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