ÉCOLOGIE POLITIQUE
Publié le 22/02/2012
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À Stockholm est réunie en 1972, à l'initiative de l'Organisation des Nations unies (ONU), une conférence internationale sur l'homme et son milieu. Aboutissement des inquiétudes et des interrogations de scientifiques et de fonctionnaires internationaux, originaires des pays les plus divers, celle-ci propose un plan de lutte contre les pollutions et pour une protection vigilante de la nature. Elle suggère en outre un plan d'action contre le sous-développement fondé sur un transfert significatif de ressources techniques et financières en faveur du tiers monde. Une nouvelle stratégie est proposée : l'écodéveloppement, fondé sur l'utilisation judicieuse des ressources humaines et naturelles à l'échelle locale et régionale.
En parallèle à la conférence officielle, des milliers de jeunes se réunissent et lancent ce qui deviendra le premier grand mot d'ordre de l'écologisme : « Nous n'avons qu'une seule Terre ! » Jeunes issus des campus où a soufflé la révolte étudiante, représentants d'associations de défense de la nature ou d'ethnies écrasées par la colonisation, scientifiques critiques de la big science, tous témoignent des dangers d'un développement destructeur des plantes et des animaux, et surtout des humains. Au slogan « Une seule Terre ! » de la conférence officielle, ils ajoutent le non moins fondamental « Un seul peuple ! ». À Stockholm, l'écologie politique est née à l'échelle internationale.
L'émergence d'une conscience planétaire.
Les deux courants qui se sont affrontés à Stockholm, celui des experts et celui des citoyens, vont évoluer sur une ligne de front mouvante et complexe. D'une part, les réflexions sur les limites physiques de la croissance comme celles du Club de Rome (dans son rapport de 1972), politiques de protection de l'environnement par des mesures étatiques réglementaires, fiscales, s'appuyant sur une analyse technico-scientifique des seuils écologiques à risque. De l'autre, nouveaux mouvements sociaux, remettant radicalement en cause le cadre économique et social de l'industrialisation et s'inscrivant dans des démarches politiques d'ensemble pour aboutir, dans plusieurs pays, à la constitution de partis Verts ou écologistes. Né aux États-Unis, le débat sur les grands thèmes écologiques, qui avait traversé l'Atlantique au milieu des années 1960, se radicalise dans les mouvements européens. Nés en Amérique du Nord en 1969, les Amis de la Terre s'implantent au Royaume-uni puis en France, ainsi que dans la plupart des pays d'Europe du Nord pendant la décennie 1970. Dans les années 1980, certains militants de l'écologie choisissent de créer des partis se situant délibérément sur le terrain électoral, comme les Grünen en Allemagne et les Verts en France.
Le constat est commun. Le développement du capitalisme mondial trouve ses fondements dans une exploitation sans précédent de la nature. Il aurait sans aucun doute été impossible sans la destruction massive de ressources naturelles, sols, espèces animales et végétales, sans l'installation de poisons dans les chaînes alimentaires pour des siècles, sans la consommation frénétique de combustibles fossiles, responsable de la modification globale de l'atmosphère et, peut-être, de changements climatiques globaux ; impossible sans infliger massivement aux humains l'entassement dans des villes de déraison, sans un total mépris de leur santé mentale et physique. D'une façon plus générale, comment expliquer que l'époque la plus florissante de production matérielle qu'ait connue l'humanité soit aussi celle qui connaisse la misère la plus extrême, celle des plus grandes et des plus injustes disparités des conditions d'existence ? Par quel paradoxe notre époque, celle des plus grands succès de la connaissance scientifique, est-elle aussi celle d'une déstabilisation sans précédent historique des conditions mêmes de la vie ? Les analyses divergent.
Repenser la civilisation.
D'un côté, l'expertise est bien souvent la caution des politiques étatiques et technocratiques. En ne soulignant que les risques encourus par la détérioration des conditions naturelles de l'accumulation du capital, elle ouvre le chemin à l'ecobusiness, elle prépare la modernisation écologique du capitalisme. Elle repose sur un postulat simpliste : les bases naturelles de la vie pourraient être entretenues artificiellement par une éco-industrie répondant à des critères de rentabilité identiques à ceux qui ont abouti à inonder nos sociétés d'un flot de marchandises éphémères. Il faudrait donc toujours plus de technique et de science pour résoudre les problèmes créés par la technoscience. Cette logique de la société marchande est-elle en mesure d'ouvrir les possibilités d'une gestion durable et équitable des ressources de la Planète ? C'est bien là l'objet d'une controverse centrale avec les mouvements écologiques.
D'un autre côté en effet, ces derniers développent une argumentation forte s'appuyant sur un double constat. D'abord, plus des trois quarts de l'humanité vivent dans des conditions matérielles difficilement tolérables. Ensuite ces conditions ne peuvent être changées en généralisant à la Planète la civilisation de gaspillage qui a triomphé de longue date dans les pays industrialisés. Les limites des ressources planétaires et des techniques disponibles l'interdisent. L'american way of life, fondée sur le gaspillage des ressources communes de l'humanité, ne peut être partagée que par les minorités dominantes des pays dominés. Sa généralisation aboutirait à une sorte de suicide collectif pour l'humanité.
Dans ses formes les plus avancées, la conscience écologique est donc passée du constat de la crise à l'affirmation de la nécessité d'un véritable changement de civilisation, d'un nouveau projet universaliste respectueux tout à la fois de l'unicité du genre humain et de la diversité de ses cultures, dont l'avenir est indissociable de celui de la biosphère. L'écologie devenue politique s'efforce de penser, en des termes neufs, non seulement notre appartenance à la nature, mais encore les rapports sociaux injustes et les régulations politiques archaïques qui pèsent sur les humains. En bref, de penser l'alliance avec la nature, le contrat social, la souveraineté politique et au-delà le système de valeurs qui surplombe l'ensemble des régulations sociales et garantissent leur stabilité.
En refusant de confier le destin commun de la Planète aux seuls savants et experts, l'écologie politique renouvelle radicalement le principe de la citoyenneté. Citoyenneté de proximité bien sûr, comme forme privilégiée d'intervention sur le monde vécu de chaque collectivité, mais plus encore citoyenneté planétaire, seule en mesure d'instaurer une gouvernabilité de la Terre mise à l'ordre du jour par la conférence de Rio en juin 1992.
Jean-Paul DELÉAGE
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