DU CONDOMINIUM FRANCO-BRITANNIQUE DES NOUVELLES-HEBRIDES A LA REPUBLIQUE DU VANUATU : ENTRE CONTRADICTION ET FUSION DES TRADITIONS ETATIQUES FRANÇAISE ET ANGLAISE
Publié le 22/01/2011
Extrait du document
« If the Condominium represented an administrative absurdity, a colonial headache, and a human rights indignity, perhaps only a social scientist can extract some benefit, albeit conceptual, from it.” (Williams F.S. Miles)
Après avoir évincé les Espagnols de la région, la France et la Grande-Bretagne procèdent à une neutralisation du territoire des Nouvelles Hébrides (Terra Nullis avec statut quo politique), avant de commencer à exercer une fonction politique qui se formalise en 1906.
Le Condominium est alors perçu comme une aberration institutionnelle, un « dinosaure juridique »[1] complexe et mal adapté, reflétant un refus franco-anglais de céder leur souveraineté sur le territoire.
Comment s’est organisée la coexistence de ces deux régimes institutionnels, et quelle synthèse a été opérée lors de la formation de l’Etat ni-Vanuatu ?
Le condominium, un « pandémonium » ?
La schizophrénie du pouvoir colonial
Anglais et Français organisent un système de protection conjointe et un régime de personnalité des lois pour leurs ressortissants. Le ton est donné par le « Foreign Jurisdiction Act » britannique de 1890, suivi sept ans plus tard par le législateur français ; et ce décalage se fait le miroir de l’évolution de la structure étatique en Europe. En effet, les deux pays connaissent alors la mise en place progressive d’un Etat libéral qui légifère, règlemente et développe une bureaucratie puissante, avec un certain retard pour la France, réticente de par son histoire constitutionnelle et sa méfiance traditionnelle à l’égard de l’administration.
Les accords de 1906 parachèvent cette structure en établissant le régime de condominium, lequel établit une influence égale des deux pouvoirs coloniaux sur le territoire des Nouvelles-Hébrides. Se met alors en place ce que Nicolas Politis appelle un triple domaine d’action. Un domaine de compétences partagées, au travers d’un organe conjoint, les contraint à une action commune pour ce qui relève du territoire : légiférer, lever les taxes, gérer la police et contrôler l’armée, soit les traditionnelles fonctions régaliennes d’un Etat. Un domaine de compétences réservées est alloué à chacun des pays, et on assiste alors à un dédoublement de personnalité des Nouvelles-Hébrides via l’apparition de deux administrations parallèles aux modalités distinctes.
La difficile théorisation du condominium
Le terme de souveraineté est absent du discours du condominium, même si dans le fond celui-ci se veut un régime de « souveraineté par indivision » dans lequel l’archipel devient un « territoire d’influence commune »[2]. Le problème d’une telle analyse est que l’approche en termes de souveraineté étatique a un caractère exclusiviste, de non-partage du pouvoir, qui ne trouve à s’appliquer ici. C’est d’ailleurs un des éléments pour lesquels le condominium ne peut pas être considéré comme un Etat.
Par ailleurs, il est impossible de considérer les Nouvelles-Hébrides comme une communauté internationale partielle car chaque puissance souveraine à en charge ses propres nationaux, qui relèvent strictement des autorités judiciaires et administratives de leur pays. « Pour les Français, l’archipel est territoire français, pour les Anglais, territoire anglais ».
On retient alors la définition donnée par Laterpacht[3], c'est-à-dire celle d’un « exemple clair soit de division de souveraineté, soit de l’exercice en commune de la souveraineté sur un terrain donné, ou encore des deux modalités à la fois ».
Vers un Etat à la recherche d’une identité propre
Les mélanésiens, « apatrides institutionnels »[4]
Le système institutionnel procède d’une double opposition : entre Français et Anglais qui luttent pour la souveraineté, mais aussi entre colonisateurs et colonisés. Les mélanésiens sont des oubliés d’un condominium qui s’est fait au bénéfice des deux puissances, puisque ceux-ci, bien que soumis aux coloniaux, ne disposent d’aucun Etat. Le condominium est un instrument de la confrontation franco-britannique plutôt qu’un véritable outil efficace d’organisation territoriale.
Ce bras de fer franco-anglais semble se poursuivre jusqu’à l’indépendance, leurs deux visions divergeant quant à l’orientation à donner au territoire. Si les Anglais sont en faveur de l’indépendance, tel n’est pas le cas des Français qui cherchent à empêcher une unification de l’administration bicéphale du condominium. Ils refusent la fusion des lois et procédures, mais aussi des deux polices, des systèmes judiciaires et pénitentiaires, des services de santé et systèmes éducatifs, des monnaies, etc.
La triple racine de l’Etat
La formation de l’Etat au Vanuatu s’appuie sur les apports institutionnels des deux puissances et sur un trait identitaire spécifique aux mélanésiens. Exclu par le condominium, ce groupe pourtant hétéroclite se rejoint autour d’une conscience nationale qui s’opère par un retour à la kastom [5] et donc une remise en cause du modèle étatique européen. Pourtant, lors de sa formation, l’Etat en conserve les grandes lignes et effectue une sorte de syncrétisme entre coutume et Etat de droit libéral d’inspiration franco-anglaise.
Il en découle un régime politique endémique au Vanuatu, sur la base d’un consensus sur le principe du régime parlementaire avec déclaration des droits fondamentaux. Une constitution hybride est mise en place ; mais l’avantage en est donné au modèle britannique non seulement par son pragmatisme et sa clarté, mais aussi par l’effet d’une sanction des Français qui ont refusé de tenir compte des aspirations locales à l’indépendance. Il s’agit ainsi d’une république parlementaire multipartite avec un président au pouvoir faible et un premier ministre fort, ainsi qu’un parlement Westminster présentant un monocaméralisme original. Son système judiciaire combine droit écrit anglais et français et droit coutumier local. Quant aux contradictions qui en découlent, celles-ci sont réglées par l’introduction de la figure de l’ombudsman.
Quel Etat aujourd'hui ?
Le Vanuatu éprouve encore des difficultés à trouver un équilibre démocratique à cause des différentes forces légitimes qui cherchent à coexister sur son territoire. Si la structure étatique est d’inspiration libérale occidentale, le système des chefferies a été maintenu, de même que persistent des éléments de dualité franco-anglaise. Il s’agit d’un Etat qui se cherche encore et ne se veut pas la pâle copie d’une tradition étatique extérieure que seul un ethnocentrisme flagrant permettrait de qualifier de meilleure.
– 5320 caractères –
Bibliographie
v Charles Zorgbibe, Vanuatu, naissance d’un Etat, éditions Economica, 1981
v Nicolas Politis, Le Condominium franco-anglais des Nouvelles-Hébrides, A. Pedone, 1908
v William F. S. Miles, Bridging Mental Boundaries in a Postcolonial Microcosm : Identity and Development in Vanuatu, University of Hawaii Press, 1998.
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