Thème : les vices du consentement EXERCICE : CAS PRATIQUE Monsieur LAPOISSE a vendu un tableau au prix de 1000 euros signé CANNETON. Il découvre, après la vente, que les peintures de CANETTON sont néanmoins assez recherchées, et que l’acheteur, qui possède une galerie d’art, propose le tableau au prix de 15000 euros, qu’un expert estime tout à fait correct. Monsieur LAPOISSE peut-il obtenir restitution du tableau par une action en justice, sachant que l’acheteur, loin de lui indiquer la valeur de la toile, s’était contenté de lui proposer un prix. Question se pose, dans un premier temps, de la possibilité d’obtenir l’annulation du contrat pour erreur sur les qualités substantielles de la chose. En effet, étant un vice du consentement, dès lors qu’elle serait reconnue en justice, la sanction de l’erreur serait celle de la nullité du contrat, ce qui conduirait ainsi à la restitution du tableau à LAPOISSE par RETORS, RETORS pouvant lui prétendre au remboursement du prix versé à LAPOISSE. L’erreur sur les qualités substantielles de la chose, en matière d’œuvre d’art, peut porter sur l’authenticité de l’œuvre. Or, ce n’est point cela qui est ici en cause. Il n’est pas discutable que le vendeur savait que le tableau qu’il vendait était signé CANNETON. Ni que ce tableau était, effectivement, un original de CANNETON. Ce qui pose ici difficulté pour le vendeur est le prix qu’il a demandé, bien trop bas à son goût une fois découvert le prix de vente proposé dans la galerie de l’acheteur. Et comme l’erreur sur la valeur n’est pas admise en droit, en toute hypothèse le vendeur ne peut-il obtenir restitution du tableau sur ce terrain. Question se pose alors, dans un second temps, de la possibilité pour LAPOISSE d’obtenir restitution du tableau sur le terrain du dol (art. 1116 du Code civil). Et plus précisément sur le terrain du dol par réticence d’informations, autrement dit par le silence gardé par le cocontractant. La jurisprudence, en effet, admet ce type de dol : Civ. 3ème, 2 octobre 1974 : « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter». Mais la question rebondit, nécessairement, sur l’obligation d’information : ne concerne-t-elle que le vendeur – auquel cas l’acheteur n’y serait pas tenu – ou l’acheteur également ? Si elle concerne l’acheteur, ne concerne-t-elle que l’acheteur professionnel ? En d’autres termes, ce dernier est-il tenu d’informer le vendeur sur la valeur du bien vendu ? Sans préjuger à cet instant de la réponse, il va de soi que répondre de manière affirmative reviendrait à condamner la possibilité pour des acheteurs professionnels de faire une bonne affaire … C’est à la jurisprudence qu’est revenu le soin de prendre position. Elle retient que l’acheteur n’est pas tenu d’informer le vendeur de la valeur du bien vendu. Ainsi dans une première décision du 3 mai 2000 : Cour de cassation chambre civile 1 Audience publique du mercredi 3 mai 2000 N° de pourvoi: 98-11381 Publié au bulletin Cassation. Président : M. Lemontey ., président Rapporteur : Mme Bénas., conseiller rapporteur Avocat général : Mme Petit., avocat général Avocats : la SCP Vier et Barthélemy, M. Choucroy., avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche : Vu l'article 1116 du Code civil ; Attendu qu'en 1986, Mme Y... a vendu aux enchères publiques cinquante photographies de X... au prix de 1 000 francs chacune ; qu'en 1989, elle a retrouvé l'acquéreur, M. Z..., et lui a vendu successivement trente-cinq photographies, puis cinquante autres photographies de X..., au même prix qu'elle avait fixé ; que l'information pénale du chef d'escroquerie, ouverte sur la plainte avec constitution de partie civile de Mme Y..., qui avait appris que M. X... était un photographe de très grande notoriété, a été close par une ordonnance de non-lieu ; que Mme Y... a alors assigné son acheteur en nullité des ventes pour dol ; Attendu que pour condamner M. Z... à payer à Mme Y... la somme de 1 915 000 francs représentant la restitution en valeur des photographies vendues lors des ventes de gré à gré de 1989, après déduction du prix de vente de 85 000 francs encaissé par Mme Y..., l'arrêt attaqué, après avoir relevé qu'avant de conclure avec Mme Y... les ventes de 1989, M. Z... avait déjà vendu des photographies de X... qu'il avait achetées aux enchères publiques à des prix sans rapport avec leur prix d'achat, retient qu'il savait donc qu'en achetant de nouvelles photographies au prix de 1 000 francs l'unité, il contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l'art, manquant ainsi à l'obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant et que, par sa réticence à lui faire connaître la valeur exacte des photographies, M. Z... a incité Mme Y... à conclure une vente qu'elle n'aurait pas envisagée dans ces conditions ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune obligation d'information ne pesait sur l'acheteur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 décembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens. Ainsi également dans une décision du 17 janvier 2007 : Cour de cassation chambre civile 3 Audience publique du mercredi 17 janvier 2007 N° de pourvoi: 06-10442 Publié au bulletin Cassation M. Weber , président M. Rouzet, conseiller rapporteur M. Guérin, avocat général SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique : Vu l'article 1116 du code civil ; Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 octobre 2005), que M. X..., marchand de biens, bénéficiaire de promesses de vente que M. Y... lui avait consenties sur sa maison, l'a assigné en réalisation de la vente après avoir levé l'option et lui avoir fait sommation de passer l'acte ; Attendu que pour prononcer la nullité des promesses de vente, l'arrêt retient que le fait pour M. X... de ne pas avoir révélé à M. Y... l'information essentielle sur le prix de l'immeuble qu'il détenait en sa qualité d'agent immobilier et de marchand de biens, tandis que M. Y..., agriculteur devenu manœuvre, marié à une épouse en incapacité totale de travail, ne pouvait lui-même connaître la valeur de son pavillon, constituait un manquement au devoir de loyauté qui s'imposait à tout contractant et caractérisait une réticence dolosive déterminante du consentement de M. Y..., au sens de l'article 1116 du code civil ; Qu'en statuant ainsi, alors que l'acquéreur, même professionnel, n'est pas tenu d'une obligation d'information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR LES MOTIFS SUIVANTS : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 octobre 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; Condamne M. Y... aux dépens ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille sept. Dans cet arrêt, comme dans le précédent, l'obligation d'information de l'acheteur est exclue. Mais dans le second, la Cour de cassation précise que l’obligation d’information est exclue quand bien même serait-il professionnel. De prime abord, cette dernière décision peut surprendre : en l’occurrence, il semble que le vendeur était sans doute mal informé de la valeur de son pavillon et en situation personnelle difficile, et que le marchand de biens connaissait la valeur du bien compte tenu du marché. Toutefois, on voit mal comment l’on pourrait imposer à un acheteur professionnel l’obligation d’informer le vendeur de la valeur du bien : en effet, le prix est librement débattu entre les parties et fixé par elles. Dès lors qu’il y a accord sur la chose et sur le prix, la vente est «parfaite» selon l’article 1583 du code civil. Il n’est donc pas interdit, pour un acheteur, y compris un acheteur professionnel, de faire des affaires en payant un objet en deçà de sa valeur marchande. N’oublions, en outre, que dans certains cas, le vendeur dispose d’un recours s’il est « lésé ». (La lésion est admise dans certains – point tous - contrats commutatifs : vente d’immeuble en cas de lésion de plus des 7/12e subie par le vendeur (art. 1674 du Code civil), vente d’engrais en cas de lésion de plus d’1/4 au détriment de l’acheteur ou au profit de certaines personnes (mineur ou majeur incapable). La jurisprudence a toutefois étendu ces hypothèses légales de rescision pour lésion aux honoraires des mandataires et professions libérales. Les juges bénéficient alors d’un pouvoir de réduction des honoraires lorsqu’ils sont jugés excessifs au regard de la prestation accomplie et que leur montant a été contractuellement arrêté par les parties au moment de la conclusion de l’accord. Il est donc fort à craindre que Monsieur LAPOISSE ne puisse obtenir l’annulation de la vente et, par conséquent, la restitution de son tableau. Il lui appartiendra, à l’avenir, de se renseigner sur la valeur des objets qu’il souhaite vendre avant de conclure le contrat de vente.