Douter, est-ce renoncer à la vérité ?
Publié le 17/04/2011
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Douter, est-ce renoncer à la vérité ?
En considérant le doute comme un état de l’esprit correspondant à la suspension d’un jugement et la vérité comme l’aboutissement de la connaissance fondée sur des critères d’objectivité et d’absolu, pouvons-nous réellement affirmer que douter n’est autre que renoncer à la vérité ? Car il semblerait que le doute, remettant en cause les fondements mêmes de toute connaissance, anéantisse l’accès à la vérité puisqu’aucune définition universelle n’est reconnue pour vraie, et qu’aucun jugement n’est permis. Mais affirmer cela n’est ce pas donner au doute une forme trop catégorique ? N’y a-t-il pas une nuance à établir en fonction qu’il s’agisse d’un doute sceptique dans lequel le jugement est suspendu de façon définitive ou d’un doute méthodique qui lui est là pour tenter d’établir une vérité en excluant toute connaissance douteuse, voire fiable afin de tendre vers la connaissance absolue ? De nouveau, la question de la vérité se pose, car n’est il pas déraisonné de ne douter qu’une fois et d’en conclure une vérité indubitable alors que la connaissance est fondée d’abstractions ? Comment avoir la certitude que tous les jugements incertains ont bien été pris en compte et exclus si l’homme ne remet pas en cause à chaque instant cette vérité en doutant ? Le doute serait-il alors le moyen le plus probant de se rapprocher de la vérité la plus pure ? Nous verrons donc dans une première partie, le doute s’apparentant au scepticisme qui, lui, tient pour subjective toute approche de la réalité et ainsi incertaine la connaissance que l’on peut en avoir. Douter c’est alors manifestement renoncer à la vérité car c’est une finalité. Dans une seconde partie nous aborderons la vision cartésienne selon laquelle le doute est un moyen de recherche de la vérité, la suspension du jugement n’est la que pour tenter d’atteindre des connaissances vraies. Puis dans une dernière partie, nous prendrons appui sur la théorie dogmatique afin de mettre en évidence que toute vérité repose sur un travail constant de recherche et de remise en question dont la principale condition est le doute.
En appréhendant la vérité comme une connaissance universelle et absolue de la réalité qui nous entoure, et en assimilant le doute a un état de l’esprit où le sujet ne peut choisir et suspend son jugement de façon définitive, force est de constater que le doute et la vérité sont incompatible de par leur source même. Douter peut se définir comme une incapacité d’accès à la vérité. Lorsque l’on doute, on remet en cause les idées préétablies sans pouvoir apporter une conclusion autre. Si le doute s’installe chez l’homme, on peut à priori le considérer comme un renoncement à la connaissance vraie car le sujet se trouve dans l’impossibilité de fonder son jugement sur les critères absolus et universels qu’il remet justement en cause. Le doute revêt ici une acception bien particulière relevant du scepticisme. Ce courant de pensée réfute la possibilité pour l’homme de parvenir à une quelconque certitude en ce qui concerne la réalité qui l’entoure. Les premiers sceptiques, Pyrrhon et Sextus Empiricus prônaient la théorie selon laquelle, ni par les sens, ni par la raison, nous ne pouvons avoir accès à la vérité. Tout d’abord car les sens sont trompeurs puisqu’ils portent sur l’accidentel et le particulier, et parce que la raison est capable de démontrer des propositions contraires: « à tout argument s’oppose un argument égal » dit alors S. Empiricus dans Hypotyposes pyrrhoniennes. Il est également important de nuancer cette thèse par l’approche plus modérée de Hume. Il part également du principe selon lequel le rapport à la réalité est subjectif car elle est perçue au moyen des sens. Le texte de Hume dans enquête sur l’entendement humain met cette perspective en évidence : « les sens sont seulement des guichets à travers lesquels ces images sont introduites, sans qu’ils soient capables de produire un rapport immédiat entre l’esprit et l’objet. » Notre connaissance du réel est donc bornée car on n’a aucun moyen de savoir si le monde est tel que nos impressions nous le restituent. L’homme a un point de vue qui est relatif, en aucun cas il ne saurait être neutre, et c’est pourquoi nous n’avons accès qu’à la réalité pour nous et non à la réalité en soi qui correspondrait à une connaissance absolue du monde. Et puisque rien ne peut soustraire l’homme à sa subjectivité et qu’il fonde sur la réalité externe et l’expérience ses critères de connaissance, il est condamné à cet aspect tronqué de la réalité. Ainsi son rapport à la réalité ne dépasse pas la croyance, il ne la connait pas véritablement. Le scepticisme est avant tout motivé par la recherche de savoir mais rapidement paralysé par l’impossibilité de conclure et d’arriver à des certitudes. Il ne saurait résister à ce scepticisme que les mathématiques, outil de connaissance des vérités formelles qui est indubitable car l’homme les a de toute pièce créées grâce à la raison. On doit analyser le doute sceptique comme une tentative de connaissance aboutissant à un renoncement lorsqu’il s’agit de la réalité. C’est l’échec face à cette connaissance qui mène finalement au doute. Le renoncement à la vérité qui résulte de la suspension constante et définitive du jugement n’est pas la finalité préférable à une quête philosophique. Il semble donc nécessaire d’aborder une autre forme de doute.
Douter de tout n’est pas nécessairement un renoncement à la vérité, ça peut être au contraire une méthode consciencieuse permettant de conclure à une vérité indubitable. Il s’agit ici de considérer le doute comme un moyen de connaissance vraie et non comme une fin en soi comme pour les sceptiques. C’est également considérer la vérité comme ce qui demeure absolu et irréfutable face à toute forme de doute. Ce doute cartésien, mis en œuvre dans Discours de la méthode est donc hyperbolique puisque Descartes va jusqu’à rejeter comme fausse les vérités mathématiques. Il s’agit de douter de tous les principes de la connaissance, et en particulier les sciences universelles car il faut se débarrasser de toutes ces anciennes opinions qu’elles soient vraies ou fausses. Il opère un doute systématique et méthodologique, dont le premier objet est les sens. Ceux la représentant inéluctablement le moyen de connaissance le plus incertain. Considérés alors comme douteux, ils passent du côté du faux. Descartes s’attèle ensuite à faire tomber ce qui semble être la connaissance la plus fiable, les démonstrations mathématiques en partant du principe que des erreurs sont possibles dans les raisonnements mathématiques. Troisièmement, il s’agit de mettre en évidence le fait que les pensées du rêve semblent aussi vraies que celles que j’ai en vrai. Cela pourrait laisser penser que la réalité est elle aussi une illusion. Ces objections reprisent des sceptiques et poussées à l’extrême semblent d’abord soutenir la thèse des sceptique selon laquelle il n’y pas de vérité dont on soit certain, puis l’hypothèse prend une toute autre forme : « je pense donc je suis ». Ainsi le fait même de douter et de penser constitue l’argument indubitable attestant que le fondement de nos connaissances est la pensée et particulièrement que toute argumentation passe par la conscience d’être. Tout tient à une expérience de conscience et de pensée car derrière la remise en doute la plus radicale, demeure un sujet pour effectuer l’opération psychique. Ce doute méthodologique appuie ici une vérité indubitable : l’homme est certain d’exister comme un être conscient. Voila tout l’enjeu de ce doute qui est provisoire et non définitif à l’inverse des sceptiques. Ce doute met en jeu la réflexion nécessaire à toute quête de vérité et permet le rejet des opinions et connaissances incertaines. Le fondement de ma connaissance transcende ainsi les croyances que le doute sceptique met en avant sans pour autant les pallier. En effet alors que les croyances admettent pour vrai une affirmation sans preuve ni raison, le doute méthodologique rejette tout ce qui est incertain pour tendre à une plus grande vérité. C’est donc une opération de la pensée nécessaire pour avoir un jugement fondé. Mais encore une fois, ce doute qui aboutit à des connaissances au plus près de la vérité, n’est valable que le temps de l’opération psychique et la vérité qui en ressort considérée comme acquise. Or, le doute doit être perpétuellement renouvelé, car plus on doute, plus on se rapproche de la vérité.
Ayant maintenant démontré que le doute est indispensable à une pensée structurée et fondée sur des connaissances vraies, il s’agit de prolonger ces analyses en affirmant que douter c’est se rapprocher au plus près de l’universel et de l’absolu. Le doute ne doit pas être abandonné sitôt que l’on a trouvé ce que l’on cherchait, il doit être sans cesse dans chacune de nos réflexions, il doit être nourri pour développer notre esprit critique. Agir ainsi, c’est considérer la vérité comme complexe. Sa quête ne peut être menée qu’en confrontant les opinions entre elles, afin de faire évoluer notre pensée et pouvoir ainsi considérer les choses sous des perspectives nouvelles, tendre à une objectivité. Il est intéressant ici d’exposer la théorie dogmatique en totale opposition avec le doute sceptique évoqué plus haut. Ce courant de pensée est animé par la conviction inébranlable de posséder la vérité, et de cela découle le rejet de ceux qui pensent différemment. On parle par exemple du « dogme de la Trinité » chez les chrétiens. Les adeptes croient et acceptent sans discuter la doctrine qu’il propose. Cette conviction est évidemment bien loin de la considération du doute comme outil nécessaire à la connaissance que nous évoquions précédemment. Or, comme Platon l’explique dans La caverne de par la métaphore des prisonniers qui vivent dans une illusion complète à cause du soleil et des ombres, connaitre c’est s’arracher à nos croyances, nos opinions subjectives. Pour atteindre le vrai, on doit user de la raison car c’est la seule à nous faire accéder à des connaissances universelles et absolues. L’intérêt de l’approche dogmatique à ce stade du développement n’est pas seulement dans l’opposition des théories marquant l’intérêt du doute ; cette approche nous permet de comprendre que le doute ne doit pas être une finalité à la manière des sceptiques ni un moyen que l’on abandonne dès lors que l’on a trouvé la vérité comme Descartes l’affirme : Le doute doit être un travail constant de l’esprit dans sa quête du savoir. Si la pensée se fige sur une connaissance qu’elle considère vraie indéfiniment, c’est alors à ce moment là que l’on dérive sur le dogmatisme. Le doute méthodique peut, s’il n’est pas renouvelé, déboucher finalement sur une forme de dogme que l’on s’impose à soi-même, prônant pour vrais des arguments qui ne sont plus jamais remis en cause. Une pensée figée est une pensée qui part de connaissances vraies mais qui perd sa nuance au fil du temps, finissant par stigmatiser la réalité. Le doute acquière ici une valeur très particulière, il est la conséquence de la théorie selon laquelle la vérité indubitable ne peut être connue avec exactitude. Douter, est une action déterminante dans le cheminement menant à la connaissance, car finalement plus on remet en cause ce que l’on pourrait appeler des arguments présupposés, plus on se rapproche de la vérité la plus pure. Douter inlassablement c’est tendre au plus près à la connaissance vraie car c’est un processus de définition constant de la réalité ; on part d’arguments tous divergents et particuliers, puis le doute exclue peu à peu ceux qui sont incertains et même fiables pour rechercher l’absolu. Toutes les connaissances doivent être le fruit de cette remise en question permanente. Ainsi, douter c’est renoncer à l’idée que l’on peut atteindre une fois pour toutes une vérité indubitable, mais c’est à la fois l’opération de l’esprit qui rend l’homme le plus à même de s’en rapprocher.
Il faut considérer le doute moins comme une finalité, comme le font les sceptiques, que comme le seul processus, la seule opération de l’esprit permettant la recherche même de la vérité. Assimiler le doute à un acte de suspension définitive du jugement c’est renoncer à toute philosophie et toute vérité. Il est donc nécessaire d’accorder au doute cette capacité de rejet des opinions et des connaissances incertaines qui permet par la suite de développer un esprit d’examen du monde qui nous entoure ; il ne faut néanmoins pas considérer la pensée qui en résulte comme absolue car la vérité est complexe et sa remise en cause constante et méthodique est la façon la plus probante de tendre à une vérité pure. Cette vérité est insaisissable et la considération inébranlable de la posséder à la façon des dogmatique n’a d’autre effet que de s’en éloigner tout autant. Le doute est ainsi la condition de la vérité.
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