Dissertation: Pensez-vous que les contraintes formelles puissent être pour le poète un obstacle à une expression libre et originale ?
Publié le 23/03/2011
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Dissertation: Pensez-vous que les contraintes formelles puissent être pour le poète un obstacle à une expression libre et originale ?
Les contraintes formelles en poésie s'expriment surtout à travers le sonnet, un genre poétique soumit à des codes très précis. Dans la littérature Française, ce type de poème est largement utilisé par des auteurs d'époques et de courants littéraires divers, à partir du XIVe siècle jusqu'à nos jours. Ces contraintes auxquelles le sonnet se pli peuvent-elle être un obstacle à une expression libre et originale pour le poète? Si les codes rigoureux sont favorables à la création poétique, il n'en demeure pas moins que pour certains courant littéraires, ces contraintes dans le sonnet restreignent la création.
Le sonnet est une forme poétique qui s'impose en Europe au cours des XIVe, XVe et XVIe siècles tout d'abord grâce à François Pétrarque, un poète italien qui se l'approprie et dont le thème essentiel est l'Amour. Pétrarque est d'abord traduit par Marot, qui importe ainsi le sonnet en France où cette forme poétique nouvelle est vite adulée. Elle est reprise en effet par l'École Lyonnaise et par la Pléiade qui en définit les règles très précises qui ne sont plus jamais changées et qui font son succès. Le sonnet doit ainsi être formé de 4 strophes, 2 quatrains et 2 tercets. Les 14 vers composant le sonnet sont tous des alexandrins et l'alternance des rimes masculines/féminines est obligatoire. Ces rimes ont une disposition bien précises qui est ABBA ABBA CCD EED, ou ABBA ABBA CDC EDE. Entre le 2ème quatrain et le 1er tercet, on doit trouver une charnière et à la fin du poème, on obtient un effet de chute. L'unité syntaxique et thématique dans les quatrains et les tercets est indispensable. Avec la Pléiade, le sonnet ne porte plus uniquement sur le thème de l'amour pour les femmes mais les sujet se diversifient. Ainsi Joachim du Bellay exprime-t-il dans Les Regret son attachement pour son pays natal ou Jules Laforgue traduit-il son spleen dans Le Sanglot de la terre. Les contraintes sont donc stimulantes pour les poètes puisqu'ils les élaborent eux-même.
Ces codes rigoureux ont effectivement pour intérêt d'encourager les créations. Les écrivains les utilisent pour favoriser leur expression, en s'appuyant sur les contraintes formelles pour faire jaillir leur imaginaire. Boileau écrit ainsi un Art Poétique qui n'est pas un sonnet mais qui énonce les «rigoureuses lois» du sonnet et qui expose la nécessité des règles. Baudelaire, dans son poème Fusées, déclare lui, que «parce que la forme est contraignante, l'idée jaillit plus intense» ; il fait l'éloge de la forme poétique du sonnet. Au XXe siècle, Gide déclare de la même façon, à propos du sonnet et de ses contraintes exigeantes, que «l'art nait de la contrainte, vit de la lutte, meurt de la liberté». Puis le courant littéraire de l'Oulipo s'empare de ces contraintes et les transforme en jeux littéraires. Raymond Queneau, dans Bâtons chiffres et lettres affirme que «cette inspiration qui consiste à obéir aveuglément à toute impulsion est en réalité un esclavage» et que par conséquent, les contraintes obligent le poète à travailler son style et rendent le poème plus intéressant et plus beau. La beauté des poèmes doit de plus être concise afin de ne pas dépasser un longueur de 14 vers.
Le sonnet est certainement un poème court, les poètes sont donc obligés de rassembler leurs idées en peu de mots, ce qui rend le style plus riche et plus dense. En effet, Boileau dans L'Art Poétique affirme qu' «un sonnet sans défaut vaut seul un long poème». Baudelaire blâme également les longs poèmes en écrivant dans Fusées qu'ils sont «la ressource de ceux qui sont incapables d'en faire de courts. Tout ce qui dépasse la longueur de l'attention que l'être humain peut prêter à la forme poétique n'est pas un poème». Cette concision obligatoire aboutit parfois à des poèmes très brefs mais à la beauté fulgurante. On peut ainsi citer le petit texte de Verlaine «Chanson d'automne» qui en 18 vers de 4 ou 3 syllabes seulement exprime tout à la fois la mélancolie de l'automne et la douleur du poète. La brièveté du poème oblige à une concentration des sentiments qui en assure l'intensité. L'exigence de concision amène le poète au choix précis de ses termes et le conduit à un travail très précis sur le style, que ne favorise pas pareillement les longs textes que sont, par exemple, l'épopée ou l'ode. Les contraintes rigides sont pour certains poètes favorable à la création littéraire mais elle peuvent aussi devenir un obstacle à une expression libre et originale et à l'inspiration que certains poètes privilégient.
L'inspiration est une notion issue de l'Antiquité et destinée à expliquer les capacités poétiques des écrivains. Elle est considérée comme un souffle provenant des dieux ou des muses et se charge d'un caractère sacré. L'idée que, pour écrire, le poète doive recevoir l'inspiration prévaut longtemps. Elle signifie que c'est une part extérieure à lui-même et libre de toute contrainte qui guide l'activité poétique. L'inspiration, en effet, venant de Dieu, ne peut ni être régie, ni être commandée. La reçoivent les poètes élus, qui se mettent à son service. C'est ainsi qu'à l'ouverture de L'Odyssée, Homère s'adresse à la Muse pour lui demander l'inspiration : «Ô Muse, conte-moi l'aventure de l'Inventif», dit-il. Et il semble ainsi se soumettre à la Muse pour l'écriture de son épopée. Plus tardivement, les Romantiques font primer l'inspiration et l'émancipation de l’imagination et de la langue dans le style poétique. Au XXe siècle, les Surréalistes eux aussi, avec l'écriture automatique par exemple, montrent que la liberté est primordiale dans l'écriture : le poète ne saurait être contraint, il lui faut au contraire être dégagé de toute règle. André Breton illustre parfaitement cette théorie puisqu'il est le chef de file du mouvement surréaliste et l'auteur de nombreux poèmes ne respectant en rien les codes du sonnet. Ainsi, l'inspiration est à l'opposé des contraintes qui forcent le poète à une concision qui peut rendre la pensée moins claire.
Dès lors, même si certaines règles suscitent la création poétique, certaines peuvent paraître difficiles à bien appliquer. C'est le cas des codes de concision, qui ne permettent pas toujours d'énoncer un discours clair. Par la concision même, le sonnet est un type de poème qui cisèle la parole : la pensée est moins claire lorsqu'elle est contrainte de s'exprimer en 14 vers. Le mouvement symboliste tente de stimuler l'imaginaire et la sensibilité des gens. Le vers libre est une de leurs innovations pour s'affranchir de la rime et de la métrique régulière. Les poètes symbolistes cherchent aussi un langage fluide, musical et pur qui ne peut être obtenu dans la brièveté du sonnet.
A travers cette recherche de musicalité poétique, Mallarmé aboutit d'ailleurs L’Après-Midi d’un faune, une poème en cent dix alexandrins qui est une œuvre de délassement, libérée de l'angoisse des contraintes.
Or, les contraintes sont stérilisantes pour de nombreux mouvements littéraires, dont le Dadaïsme puisqu'il met en avant le jeu avec les convenances et les conventions, le rejet de la raison et de la logique, l'extravagance, la dérision et l'humour pour une plus grande liberté de créativité dans le langage. Les Dadaïstes repoussent donc complètement l'idée de code qu'apporte le sonnet à la poésie en laissant libre cours à leur inspiration. C'est aussi ce qu'affirme Tristan Corbière dans son poème parodique Un sonnet avec la manière de s'en servir, où il tourne en ridicule l'idée qu'il suffirait de suivre quelques règles pour aboutir à une œuvre poétique:
«Je pose 4 et 4 = 8! Alors je procède,
En posant 3 et 3! Tenons Pégase raide :
'Ô lyre ! Ô délire : Ô...» Sonnet – Attention !»
L'écriture poétique n'est pas un exercice mathématique. Les codes du sonnet qui peuvent bloquer et empêcher la liberté du poète sont alors totalement récusés au profit de la créativité. De la même manière, la progression de la poésie, au fil des siècles, procèdent davantage par suppression des règles que par la création de nouveaux codes : les Calligrammes d'Apollinaire, qui proposent de dessiner la poésie, ou les textes qui travaillent sur le silence dans la phrase comme dans la typographie des poètes plus récents que sont Ségalen ou Du Bouchet montrent le désir d'aller vers une liberté toujours plus grande. La recherche sur le langage qu'est la poésie s'effectue en dehors de règles imposées. Elle cherche, par des biais qui sont propres à chaque poète, l'émotion esthétique et la beauté. Par exemple, la poésie en prose qui se développe au XIXe siécle, refuse de se plier à toute forme de règle. Les contraintes, au fil du temps, disparaissent donc peu à peu pour laisser au poète une expression totale et libre.
Les contraintes formelles peuvent être une source d'inspiration et stimuler la création du poète en l'obligeant à un certain travail du style mais elles peuvent également devenir stérilisantes et restreindre l'inspiration, essentielle pour de nombreux auteurs. Pourtant, elle deviennent indispensables lors de certaines occasions, quand le poète s'empare de ces contraintes pour les transgresser et en faire autre choses. C'est ainsi que Cendrars, dans Sonnet denaturés, détourne cette forme poétique qu'est le sonnet de manière à le transformer en une sorte de jeu poétique. Par exemple, il ne respecte pas la typographie du sonnet, il n'y a plus de quatrains, de tercets, mais à la place, une juxtaposition de vers irréguliers. Il n'y a aucune de rime. Cendrars se moque des contraintes en détruisant les règles imposées.
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