Dissertation Littéraire : Le Décor C'est Les Mots, Dans En Attendant Godot
Publié le 22/02/2012
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Dans En Attendant Godot, le décor ce sont les mots. Samuel Beckett fut le premier surpris du succès remporté par sa pièce, En attendant Godot, publié en 1953. Visible allégorie de l'inutile espérance humaine, la pièce aida le public à saisir la volonté du Nouveau Théâtre de parler de l'essentiel – et qui pourtant n'a pas de nom : le néant, le rien, le noir. Que reste-t-il de l'homme quand il ne lui reste plus que l'existence ? Tout a disparu : famille, projets, travail, soucis ; il n'y a plus d'avenir, rien à faire, personne. Que reste-t-il quand on a tout perdu ? Des mots, des plaintes, un regard, et dans En attendant Godot, il reste un arbre. Un arbre qui borne l'espace minime dans lequel les hommes se définissent. Cet arbre, c'est le décor : une représentation du monde réel qui entoure les personnages. Sur cette scène, vide d'objets et de sens, quels éléments, mis à part l'arbre que contemple Didi et Gogo, sont-ils susceptibles d'apporter cette représentation du monde extérieur, rôle habituellement joué par le décor ? Dans En attendant Godot, seuls les mots semblent pouvoir compléter cet arrière-plan. C'est en tout cas ce qu'on me propose d'étudier. Peut-on dire que le décor dans la pièce de Beckett ; En attendant Godot, est représenté par les mots ? Au théâtre, le décor est généralement construit dans le but de « faire vrai » et dans l'optique de poser des repères. Or ici, dans En attendant Godot, Beckett a volontairement limité le décor à un arbre et une route. Quelques objets, utilisés par les personnages tels que le pliant de Pozzo ou encore la chaussure d'Estragon, viennent, au cours de l'histoire, s'ajouter à ce décor minimaliste. Or, sans référence, l'homme ne peut que difficilement exister. Beckett a mis en scène ces personnages de manière à ce qu'aucun sens ne se dégage de la pièce. Restreindre à ce point le décor plonge les personnages dans l'incertitude. Or pour tenter d'échapper à ce non-sens de la vie, Didi et Gogo n'ont que la parole. Sans cette fonction de contact, Didi et Gogo ne sont rien. La parole les définit : ESTRAGON : « […] Tu avais quelque chose à me dire ? (silence. Autre pas en avant.) Dis, Didi… » (p.20). La parole et les mots jouent-ils réellement le rôle de décor dans cette histoire où ne sont-ils pas un simple moyen de passer le temps en attendant Godot ? La parole pose-t-elle les repères que pose habituellement le décor dans le théâtre traditionnel ? Peut-on substituer le décor matériel par une succession de mots dans le but de donner du sens à cette pièce dépourvue de repères spatiaux ? Selon moi, les mots sont un décor dans le sens où ils permettent aux deux personnages principaux d'exister. Pour Didi et Gogo, recevoir la réponse de l'autre permet d'obtenir une reconnaissance et de survivre. Les mots jouent en quelque sorte le rôle de repère par rapport à l'autre. Dans cette histoire, mots et objets forment ensembles « le décor ». J'ajoute que j'ai l'impression que l'acte de parler est plus un spectacle a lui-même, qu'un simple élément du spectacle. On peut se demander si dans les « dialogues » regroupant les deux protagonistes, Didi et Gogo, la réponse de l'autre ne permettrait pas au personnage qui l'attend d'exister. Effectivement le fait que Didi réponde aux questions de son ami (et vice-
versa), lui permet d'être reconnu par l'autre et donc de montrer « signe de vie ». Afin d'illustrer cette première idée, voici quelques répliques révélatrices : ESTRAGON : « Elles murmurent. » VLADIMIR : « Que disent-elles ? » […] Long silence. VLADIMIR : « Dis quelque chose ! » […] Long silence. VLADIMIR (angoissé) : « Dis n'importe quoi !» (p.81-82) Dans ce cours extrait, Vladimir attend une réponse de la part de son ami. À force, il en devient même angoissé, preuve que les personnages sont en déséquilibre. Alors que le discours est recherché par deux personnages dans le besoin d'entendre la voix de l'autre, la parole n'est-elle pas un simple moyen pour faire passer le temps ? Certainement que oui ! Pour Didi et Gogo, les mots sont une façon de meubler le temps d'attente auquel ils sont confrontés. En effet, pour des créatures beckettiennes tels que sont Didi et Gogo, parler sans fin et sans but précis, permet de manifester la dernière dignité qu'ils leur restent : la parole. Durant l'attente de la venue de Godot, Vladimir et Estragon n'ont que ça à faire : parler. Voilà ce que « répond » Vladimir lorsque Estragon ne semble pas prêt à écouter les discours gratuits qu'on lui propose : Vladimir : « Ça passera le temps. » (p.14). Tous ces mots, prononcés dans l'optique de faire avancer l'histoire, posent un « fond », un « décor », sur lequel viennent s'ajouter les aventures que Didi, Gogo et Pozzo expérimentent lors de leurs rencontres. De ce fait dire que les mots jouent définitivement le rôle de décor dans la pièce de Beckett n'est selon moi une idée encore trop facile à concevoir ! Au contraire, j'ai l'impression, en lisant certains passages de la pièce, que la parole est un spectacle à elle-même. Plus qu'un simple élément du spectacle, la parole est mise en scène. Les discours entre Didi, Gogo et Pozzo représentent, pour les spectateurs, une véritable mise en scène de la parole. Illustrons cette idée par ce passage, où Pozzo, je cite, attend que « tout le monde le regarde » (p.38) pour débuter son discours. Didi et Gogo assistent au spectacle. VLADIMIR : « Viens ici. » ESTRAGON : « Qu'est-ce qu'il y a ? » VLADIMIR : « Il va parler », en pensant à Pozzo Immobiles, l'un contre l'autre, ils attendent. Qu'attendent-ils ? L'arrivée d'un messager ? Pas du tout, Pozzo est sur le point de parler ! Cette dramatisation de la parole n'est pas un « décor ». Comme je le disais plus haut, l'acte de parler, semble être un spectacle à lui même. Dès lors, existe-t-il réellement un décor scénique qui donnerai du sens à cette pièce ? Les mots forment donc ce fond, où repose les personnages et leurs actions. Mais à quoi sert donc cet arbre, ce pliant et cette chaussure ? Alors que certains prétendront que les objets qui entourent Pozzo lui donne une consistance, je pense que cette route et cet arbre, ne sont quant à eux que de mauvais repères pour Didi et Gogo. Peut-on imaginer le monde extérieur à travers un arbre et une route ? Certainement pas. Ce décor scénique minimaliste ne fait que renfermer les deux personnages dans un monde vide de sens. Dans l'optique d'illustrer mon idée
voici ce que Vladimir prononce au sujet de cet arbre : VLADIMIR : « Décidément cet arbre ne nous aura servi à rien. » (p.97). Du fait que les personnages de la pièce remettent en question le décor qui les entoure, ne serait-il pas plus judicieux de dire que cette oeuvre théâtrale ne nécessite aucun décor scénique ? Même si les mots ne représentent, pour moi, pas un véritable décor dans En Attendant Godot, je pense qu'ils jouent cette fonction du décor qui permet de se repérer par rapport à ce qui entoure les personnages. Les mots, et spécialement les réponses aux questions de l'autre, permettent aux hommes d'être reconnu. Les mots sont des repères qui permettent à l'individu, dans le cas précis à Didi et Gogo, de rester en vie. D'autre part, j'ai l'impression que la parole est plutôt un spectacle, qu'un élément scénique du spectacle.
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