dialectique - philosophie. 1 PRÉSENTATION dialectique, en philosophie, méthode de recherche de la vérité par la juxtaposition de thèses opposées. Placée au centre de nombreuses doctrines, la dialectique n'a ni le même sens ni la même fonction chez Platon, Hegel ou Marx. Du grec dialektikê, plus précisément de dia (« rapport « ou « échange « ), legein (« parler «) et tekhnê (« art « ou « technique «), le mot semble renvoyer à l'art ou à la technique qui permet d'échanger des idées à partir de positions différentes et de cerner une question, de la traverser de part en part en cherchant à dépasser les contradictions. 2 LES ORIGINES Introduisant comme principes explicatifs le conflit, la contrariété et la contradiction, d'une part, et le devenir, d'autre part, Héraclite ouvrit la voie au dépassement de ces oppositions qui pouvait dès lors déboucher sur un accord. Telle est l'interprétation proposée par Hegel de la pensée de ce philosophe présocratique, qu'il considérait dans les Leçons d'histoire de la philosophie (1820) comme le premier promoteur de l'idée de dialectique, même si le terme n'apparaît pas dans les écrits d'Héraclite. Pour sa part, Aristote désigna Zénon d'Élée comme l'inventeur de la dialectique, dans la mesure où l'auteur des célèbres paradoxes s'était confronté aux contradictions liées au mouvement et à la multiplicité. Initialement, la dialectique tenta de répondre à la question de savoir comment résoudre les contradictions et ébaucha la solution en affirmant qu'elles se déploient, et parfois se résolvent, dans le temps. Avec Socrate, la dialectique devint l'art du dialogue et de la discussion : le dialecticien était « celui qui savait interroger et répondre « (Platon, Cratyle). En conséquence, le dialogue socratique était dialectique, de même que l'activité de penser, dans la mesure où elle était définie comme une « conversation de l'âme avec elle-même «, cette dernière « s'adressant questions et réponses « (Platon, Théétète). Platon, qui prolongea la réflexion de son maître sur cette notion, conçut d'abord la dialectique comme l'art de diviser les choses en genres et en espèces pour mieux les étudier, en discuter et « ne point juger la même une nature qui est autre « (Sophiste). Cette division déboucha sur un second sens, à savoir le mouvement de l'esprit qui remontait de concept en concept, de proposition en proposition, jusqu'aux concepts et propositions ontologiques, qui portent sur l'être -- ce qui est -- et non plus sur la connaissance. La dialectique permettait alors de passer de l'apparence et du sensible aux Idées et de façon ultime à l'Idée du Bien, principe absolu et transcendant. Elle représentait donc la source de la vraie connaissance, par opposition à l'opinion et à la connaissance sensible, considérée comme illusoire. Supposée anhypothétique -- allant au-delà des hypothèses --, elle constituait la voie royale pour accéder à l'intelligible et, par là même, à la vocation de la philosophie. 3 LES CRITIQUES Ne partageant pas la théorie platonicienne des Idées, Aristote ne garda de la dialectique que la technique de raisonnement : à la différence de l'analytique, fondée sur des propositions certaines, elle était définie par Aristote comme l'art des raisonnements, opérant avec des principes seulement probables, et n'ayant donc pas pour objet la démonstration (Topiques). La dialectique ne représentait donc plus l'accès certain au vrai et perdait dès lors son rôle fondamental dans la philosophie. Des stoïciens aux philosophes du Moyen Âge, la dialectique resta confinée à un rôle non pas ontologique mais seulement logique. Pour Chrysippe, elle coïncidait avec la logique, c'est-à-dire avec la science du raisonnement et du langage. Pour la scolastique, elle consistait dans la pratique même de la logique formelle et se distinguait de la rhétorique ; elle était alors la « servante de la théologie «, et quand Abélard voulut la rendre autonome, il fut condamné par le concile de Soissons. C'est la dialectique enseignée par la scolastique que connut Descartes au cours de ses études et c'est elle qu'il critiqua radicalement comme l'art de parler sans « clarté et distinction « en donnant l'illusion que l'on possède un savoir fondé (Discours de la méthode). La dialectique pouvait alors sembler définitivement condamnée. Dans la Critique de la raison pure (1781), Kant rejeta la dialectique, entendue comme raisonnement illusoire. Il mit donc en oeuvre, à côté de l'analytique transcendantale ou « logique de vérité «, la dialectique transcendantale ou « logique de l'apparence transcendantale «, c'est-à-dire la discipline qui étudie, de façon radicalement critique, l'illusion vaine qui pousse l'esprit des hommes à dépasser les limites de l'expérience et à vouloir atteindre l'absolu, en l'occurrence les Idées de Dieu, du monde et du moi. Le mot « dialectique « possède ainsi chez Kant un double sens : l'illusion qu'il faut critiquer et l'étude allant de pair avec la critique de cette illusion ; le philosophe qualifia cette seconde dialectique de « transcendantale «. 4 LE RETOUR À LA PENSÉE DIALECTIQUE Hegel remit la dialectique au centre de sa philosophie, lui donna un nouveau sens ; aussi mit-il en oeuvre une nouvelle manière de philosopher. Il considérait la dialectique comme la marche de la pensée selon sa propre logique -- ce mouvement de la pensée correspondant à celui de l'Être même. En effet, Hegel soutenait que « le réel est rationnel et le rationnel est réel «, car la dialectique est « la vraie nature propre des déterminations de l'entendement, des choses et d'une manière générale de l'infini « (Encyclopédie des sciences philosophiques, 1830). Ainsi, il imposa une nouvelle vision de l'ontologie, de la logique, de la pensée et de la philosophie en général. Renouant avec Héraclite, Hegel utilisa la dialectique pour résoudre les contradictions qui se manifestent dans l'Être, en les plaçant dans le temps et particulièrement dans l'Histoire, grâce à laquelle et dans laquelle elles se déploient. Il considérait que la dialectique permet de comprendre l'union des contradictions et de dévoiler que le principe de cette union réside en une unité supérieure. Le processus qui anime le réel et le rationnel -- l'être et la pensée -- obéit à un rythme ternaire : thèse ou affirmation, antithèse ou négation et synthèse ou négation de la négation, moment de l'Aufhebung (« dépassement-conservation «). Ce mouvement dialectique s'opère dans la totalité du réel, la dialectique du maître et de l'esclave en étant l'exemple le plus célèbre (Phénoménologie de l'Esprit, 1807). Dans la Postface à la deuxième édition du Capital, Marx affirma que sa méthode dialectique était le « contraire direct « de la dialectique hégélienne. En effet, voulant substituer à l'idéalisme le matérialisme, Marx dut « renverser « la dialectique de Hegel, c'est-à-dire mettre la matière à la place de l'idée. La structure du mouvement dialectique restait la même, mais elle n'était plus « la tête en bas « chez Marx, qui proclamait qu'il fallait la « renverser pour découvrir dans la gangue mystique le noyau rationnel «. Le marxisme développa par la suite, notamment à l'initiative d'Engels, un matérialisme dialectique, qui affirmait que la nature est habitée par ce processus dialectique de contradictions et de dépassement des contradictions et que c'est à partir de là que l'on peut comprendre la dialectique qui anime l'Histoire et la pensée. La dialectique dans son acception hégélienne et marxiste a marqué la philosophie du XXe siècle : les idées d'interaction, de progrès et de dépassement des contradictions se retrouvent dans de nombreux domaines habités par la philosophie. Ainsi, elles sont présentes dans l'épistémologie, comme en témoignent les oeuvres de Gaston Bachelard et du mathématicien suisse Ferdinand Gonseth (1890-1975), qui insistèrent sur la dialectique de la théorie et de l'expérience, des mathématiques et de la physique, du maître et du disciple, etc. Elles furent introduites également dans la théologie, notamment par Karl Barth et Jean Daniélou, qui affirmèrent que la connaissance de Dieu est dialectique, dans la mesure où elle est tissée de contradictions. Des membres de l'école de Francfort à Jean-Paul Sartre, de nombreux philosophes contemporains s'inscrivirent dans la même lignée de la pensée dialectique. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.