Delvaux, la mer ... Les Regrets Du Bellay
Publié le 14/11/2012
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Du Bellay Les Regrets « Delvaux, la mer ... « Joachim du Bellay est un poète humaniste, né en Anjou en 1522 et mort à Paris en 1560. C'est lors de ses études au lycée Coqueret (à Paris) qu'il rencontre Ronsard. Ronsard fonde la Pléiade et Du Bellay en rédige le manifeste, Défense et illustration de la langue française. Du Bellay publie Les Regrets en 1558, après son retour de Rome où il a découvert une ville corrompue. Le sonnet 138 des Regrets fait l'éloge de Paris et comme l'indique le titre du recueil doit permettre au poète d'exprimer ses regrets loin de son pays natal. Pourtant, de façon curieuse, le sonnet s'achève sur une critique de la ville. Pourquoi le poète donne-t- il une image contrastée de Paris ? Il convient ainsi d'étudier d'abord l'éloge de la ville avant de s'intéresser à l'effet de surprise que réserve au lecteur la fin du sonnet. I L'éloge de Paris 1) Du Bellay met en valeur tout d'abord le gigantisme de la ville. C'est l'objet du premier quatrain, qui est fondé sur une comparaison : Paris est comparée à la mer : l'adjectif « semblable « placé juste après la coupe à l'hémistiche sert d'outil de comparaison. L'image est filée dans toute la strophe, avec le comparant antéposé qui crée un effet d'attente et fait apparaître la ville comme une immensité inépuisable. Les expressions « tous les fleuves « au v.1, « la grand mer « au v.2, « tout «, « toutes parts «v.4 ainsi que le verbe « abonde «placé à la fin du 1er quatrain développent l'idée que Paris regorge de tout comme la mer. Le comparé est mis en valeur dans le premier hémistiche du v.3 « Est ce Paris sans pair « où les allitérations en « r « et en « p « ainsi que le retour des mêmes lettres Paris/pair amplifient l'effet de grandeur et de permanence de la ville. Le présent accentue l'impression d'une immensité immuable, comme l'évoque déjà le second vers : « n'en augmente point «. Paris est un monstre qui recèle bien des richesses (ainsi que le suggère le verbe « abîmer «). C'est une grandeur reconnue, puisque le démonstratif « ce Paris « renvoie au registre épidictique et que le pronom « on « montre que chaque lecteur peut en témoigner (« où l'on voit «). 2) Le système de comparaisons et d'images ne s'arrête pas là et le second quatrain en joue habilement. Les quatre vers établissent successivement une analogie avec « la Grèce féconde « v.5, puis des rapprochements par l'intermédiaire de deux tournures comparatives placées en fin de vers « on peut nommer « v.6 et « on le peut estimer «v.7 (ce verbe contient aussi l'idée valorisante d'estime en plus de son sens « penser «) avec Rome, puis deux continents l'Asie et l'Afrique. Cette construction est en outre soutenue par un double chiasme. Les raisons de ces analogies sont précisées et font de Paris une cité brillante semblable à celles des grandes civilisations passées (la Grèce pour le « savoir « et Rome pour sa « grandeur «, les deux grands modèles de la Renaissance) et des continents alors nouveaux, l'Asie synonyme de « richesse « et l'Afrique de mystère, de « rares nouveautés « puisque des denrées exotiques recherchées y abondent. La rime riche en « conde «v5 et v7 vient renforcer cette image et le présent de vérité générale que l'on retrouve dans ce quatrain prolonge l'éloge du premier quatrain. Le poème fournit une image hyperbolique de Paris, désignée par des épithètes valorisantes comme « Paris sans pair «v.3 et « grande cité «au v. 9. C'est une véritable fascination qu'elle exerce comme le montrent les trois termes « s'émerveiller « v11, « ébahissement «v12 et « étonnement «v.13. Le poème ne tarit pas d'éloges en évoquant la capitale de la France, qui apparaît gigantesque, pleine de richesses matérielles et intellectuelles, curieuse d'exotisme et capable de rivaliser avec les plus grandes cités de l'Antiquité. Dans les tercets, l'éloge va prendre une autre coloration. Le poète s'implique plus directement, lui donnant ainsi une couleur lyrique. Mais il nous réserve aussi un effet de surprise que provoque la réflexion finale concernant l'objet de son admiration. II L'effet de surprise 1) Les temps changent dans les tercets, puisque le présent de vérité générale laisse place au passé simple dans le dernier tercet (+un imparfait passif « était exercitée « v.10 dans le premier tercet, qui renvoie au passé du poète) et rend compte de l'expérience personnelle de Du Bellay, qui nous fait part de son étonnement v112 et 13 et de son admiration v.11 devant cette cité qu'il a retrouvée après 4 ans d'absence. Le merveilleux Paris des v1 à 11 trouve un dernier écho dans l'enjambement des vers 11 et 12 qui met en valeur à la fois le verbe « prit «, suggérant un choc et le terme « ébahissement «(mot très long de 5 syllabes) placé en rejet. La présence du poète se fait sentir également par l'apparition de la première personne avec le déterminant possessif « mon ?il « v10 et le pronom « me « au v12 qui rappellent que Du Bellay qui chante Paris s'inscrit dans une tradition lyrique, celle des poètes de la Renaissance qui font de chaque poème l'expression d'un sentiment fort. La seconde adresse à « Delvaux « v9 qui reprend celle du v1 prend aussi une dimension plus intime et invite cet ami poète à partager l'expérience de cet « ébahissement «. Les tercets sont dominés par ce nouveau regard sur la ville que souligne l'antithèse des vers 10 et 11 (entre le passé « paravent « et le subit retour à la réalité, celle qu'il découvre après les quatre années d'absence). 2) On assiste en fait à un revirement du poète. On a l'habitude de voir dans un sonnet un effet de surprise ménagé dans le dernier vers. Or du Bellay multiplie les notations antithétiques par rapport aux autres strophes dans l'ensemble du dernier tercet et donne un tout autre ton à la fin du sonnet qui accumule les désagréments d'une ville sale et embouteillée. Le tableau dégradant de cette ville « moderne « s'achève sur une pointe puisqu'on tombe dans le comble de la saleté avec le dernier mot « les fanges « qui laisse le lecteur, resté longtemps ébloui par les beautés de la capitale, sur une image forte qui marque sa mémoire : celle d'une peinture peu reluisante des réalités quotidiennes d'une cité. Le poète retrouve donc la cité dont il a rêvé pendant quatre ans et qu'il a idéalisée, mais c'est une ville imparfaite, d'où ses regrets. L'effet de surprise annoncée dans le début du vers 11est soulignée par l'asyndète (absence de mot de liaison pour marquer l'opposition, qui s'en trouve renforcée) : le sonnet propose ainsi un tableau contrasté et ambivalent, mais résolument moderne de Paris. C'est un poème sous le signe de la nostalgie (comme l'indique le titre du recueil), celle des choses qu'on a aimées et qui ne sont pas aussi idéales qu'on l'a rêvé, choses qui tombent sous le regard du « badaud populaire « du v.13. Ainsi, si ce sonnet par un emploi surprenant du registre épidictique célèbre la capitale française comme une métropole capable de rivaliser avec le modèle culturel gréco-romain de l'Antiquité, il se ferme sur une pointe dégradante de l'image de Paris. Le choix de l'ambivalence correspond au programme poétique de du Bellay qui se plaint dans Les Regrets de son éloignement de la France. Il idéalise certes la ville mais doit bien se rendre à l'évidence : celle de la réalité des désagréments de Paris, déplorés par le poète et que Boileau dénonce dans ses Satires (avec les « embarras de Paris «).
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