De Quelles Ressources Spécifiques Dispose Le Théâtre Pour Représenter Les Conflits, Les Débats, Les Affrontements Qui Peuvent Exister Dans Les Rapports Humains ?
Publié le 18/09/2010
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Sujet :
I- Après avoir rapidement défini l’enjeu de l’affrontement dans chacune de ces scènes, vous direz laquelle vous paraît la plus intense. Vous justifierez votre choix.
II- De quelles ressources spécifiques dispose le théâtre pour représenter les conflits, les débats, les affrontements qui peuvent exister dans les rapports humains.
I- Question :
Le corpus nous donne un éventail de quatre extraits de théâtre étalés sur plus de deux siècles et demi. Le premier texte est un extrait de L’île aux esclaves, de Marivaux, datant de 1725. Dans ce texte, Iphicrate et son esclave Arlequin, rescapés d’un naufrage, se retrouvent sur une île peuplée par des esclaves grecs révoltés contre leur maître. Iphicrate est affolé à l’idée de perdre sa liberté et de devenir esclave à son tour. Arlequin, au contraire, est ravi de ce retournement de situation, pour enfin pouvoir se venger de son maître qui le maltraitait « à coups de gourdin «.
Le second texte est extrait d’Antigone, de Jean Anouilh, publié en 1944. Ce texte met en scène deux sœurs : Ismène l’aînée et Antigone sa cadette. Leurs frères se sont battus pour prendre le pouvoir et Etéocle a tué Polynice. Antigone est horrifiée par la décision de leur oncle Créon de ne pas enterrer Polynice qu’il considère comme un traître. Elle décide de braver son interdiction pour rendre à son frère les honneurs funèbres mais Ismène tente de l’en dissuader.
Le troisième texte est tiré de la pièce de Jean-Paul Sartre, Les mains sales, de 1947. Les deux personnages qui y sont mis en scène sont Hugo, un jeune homme communiste idéaliste, et Hoederer, pragmatique dirigeant du parti. Hugo est entré au service d’Hoederer comme secrétaire avec pour mission de le tuer, mais Hoederer s’en est aperçu et essaie, de manière détournée, de lui faire renoncer à sa mission. Il ne le croit pas capable de meurtre et affirme à Hugo qu’il lui fait confiance.
Enfin le dernier texte est un extrait de la pièce de Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert, de 1988. Les deux personnages principaux sont Mathilde et son frère Adrien. Mathilde, qui s’était enfuie en Algérie, revient en France avec ses enfants pour régler des comptes. Elle se dispute violemment avec son frère au sujet de l'héritage et tente de le chasser de la maison.
Ces différents affrontements sont plus ou moins intenses. Dans L'île aux esclaves, le ton léger et les moqueries d'Arlequin vis à vis de son ancien maître font sourire, notamment lorsqu'il dit « les marques de votre amitié tombent toujours sur mes épaules et cela est mal placé «. Cet affrontement est comique, contrastant avec les textes B et C présentant des personnages qui gardent beaucoup mieux leur calme. Dans le texte d'Anouilh, Antigone emploie un vocabulaire de petite fille avec des termes comme « entêtée «, « sale bête « ainsi que la répétition de « moi je « et « je ne veux pas «. Cela retire une partie de la gravité de la scène qui ressemble alors plutôt à une dispute ordinaire entre deux sœurs. Dans le texte de Sartre, Hoederer se maîtrise parfaitement. Même s'il risque d'être tué, il n'est pas inquiet puisqu'il ne semble pas croire Hugo capable de l'abattre quand il lui dit « de toute façon tu ne pourrais pas faire un tueur «. Le dernier texte, au contraire, oppose Adrien et Mathilde lors d'une « violente dispute «. La scène est à la fois physique, puisque Aziz et Edouard les retiennent « mais ils s'échappent et reviennent «, et verbale car Adrien rabaisse sa sœur en la traitant de « pauvre folle « et en méprisant son statut de femme lorsqu’il lui dit « tu n'es qu'une femme [...] une fille-mère «. Mathilde lui répond tout aussi violemment en lui disant « je te défie « et ne respecte pas la « mémoire de leur père « en affirmant qu’elle l’a « mise aux ordures «. C'est donc l’affrontement du dernier extrait qui semble le plus intense, à la fois par la violence physique des personnages et par la violence de leur langage. Cette violence se remarquerait sans doute encore plus lors de la mise en scène de la pièce où le ton employé, les gestes et les déplacements contrasteraient d'autant plus avec les trois autres extraits de pièces.
II- Dissertation
Le théâtre est un genre littéraire ancien connu depuis l’antiquité. Il a progressivement évolué jusqu’à l’heure actuelle, s’affranchissant des unités de temps, de lieu et d’action, ainsi que des règles de bienséance. Mais pour amuser ou au contraire effrayer ses spectateurs, le théâtre a toujours mis en scène des conflits divers. Contrairement au roman, l’histoire qu’il raconte est écrite dans le but d’être ensuite mise en scène. Le texte écrit comporte donc plus ou moins d’indications scéniques relatives au jeu des acteurs, et on peut alors se demander de quelles ressources spécifiques possède le théâtre pour représenter les débats, conflits et affrontements entre les personnages dans le texte prononcé par les acteurs ainsi que dans la mise en scène.
Tout d’abord, dans le texte écrit, destiné à être dit par les acteurs, le dramaturge dispose de plusieurs ressources spécifiques au théâtre pour représenter les conflits.
Les paroles sont toutes au discours direct, ce qui est spécifique du théâtre. Les répliques des personnages lors d'un conflit renferment un vocabulaire parfois violent comme dans la scène 5 de l'acte IV de Horace, de Corneille, lorsque Horace et sa sœur Camille s'affrontent. Ce passage est connu pour la brutalité des paroles de Camille. Celle-ci est folle de tristesse car Horace vient de tuer Curiace, son amant, et qualifie son frère de « barbare « et de « tigre altéré de sang «.
D’autres conflits peuvent aussi être destinés à faire sourire le lecteur, grâce à des procédés comme l’ironie que l’ont retrouve dans Le mariage de Figaro, de Beaumarchais. Le procès de la scène 15 de l'acte III où Figaro s'oppose à Bartholo est tourné est dérision car le procès se déroule pour savoir si, dans le contrat entre Marceline et Figaro, il est écrit « et « ou bien « ou «.
De plus, le théâtre n'ayant pas pour but un réalisme absolu, le dramaturge peut aussi choisir de créer des personnages simplifiés, aux défauts accentués qui donneront plus facilement naissance à des affrontements comique. Par exemple, dans L'avare de Molière, Harpagon est un personnage rongé par l'avarice, qui donne suite à de nombreuses querelles. Il a caché une cassette remplie d'or mais craint que quelqu'un ne lui vole sa fortune. C'est ainsi que dans la scène 3 de l'acte I, il a tellement peur que l'on découvre son secret qu'il accuse La Flèche, valet de son fils Cléante, de lui avoir dérobé son or. Au contraire, les personnages plus complexes et au caractère versatile peuvent également donner naissance à des conflits plus tragiques. Dans Andromaque de Racine, le personnage d'Hermione ordonne à Oreste, un jeune homme épris d'elle, d'aller tuer Pyrrhus. Toutefois, dans la scène 3 de l'acte V, lorsque Oreste vient annoncer à Hermione qu'il a rempli sa mission, elle est désespérée et se met à l'insulter en lui reprochant cet assassinat qu'elle lui avait pourtant elle-même ordonné.
Les didascalies sont également propres au théâtre, et donnent des indications au metteur en scène sur le ton et les gestes des personnages, permettant ainsi une meilleure compréhension de la scène. On peut alors plus facilement se représenter le registre de la scène. Dans l’acte I des Justes de Camus, les didascalies qui illustrent l’affrontement entre Kaliayev et Stepan montrent une évolution des sentiments qu’éprouve Kaliayev, avec des didascalies successives comme « se dominant «, « avec un effort visible «, « éclatant « et enfin « violemment «. Au contraire, dans d’autres pièces comme L’île aux esclaves de Marivaux, le ton du conflit est beaucoup plus léger. Des didascalies telles que « siffle «, « riant « et « il chante « qui qualifient l’humeur de l’esclave Arlequin montrent l’ironie de la situation puisque Iphicrate, l’ancien maître d’Arlequin, va à son tour devenir esclave. De plus, dans Les fourberies de Scapin de Molière, les didascalies montrent souvent l'intonation de la voix et la gestuelle des personnages lors d'un conflit tourné de manière comique. Par exemple dans la scène 2 de l'acte III, Scapin dit à Géronte, le père de son maître Léandre, de se cacher dans un sac pour échapper aux hommes qui le recherchent. Les didascalies indiquent alors que Scapin parle « en contrefaisant sa voix « pour se faire passer pour quelqu'un d'autre et « il donne plusieurs coups de bâton sur le sac «. Les didascalies contribuent donc à aider le lecteur à comprendre la pièce, et indiquent ensuite au metteur en scène et aux acteurs comment réaliser la représentation théâtrale de ces conflits.
Ensuite, lors de la représentation théâtrale, d’autres moyens peuvent être utilisés pour mettre en scène les affrontements entre personnages.
Premièrement en ce qui concerne le jeu des acteurs, différents déplacements et gestes peuvent illustrer la colère des personnages. C’est le cas dans de nombreuses pièces de théâtre, comme dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand. En effet, dans la mise en scène de Marianne Serra et Philippe Canales, pendant la tirade où Cyrano parle de son nez, il empêche Le Vicomte de passer à plusieurs reprises et le retient par le bras. Les metteurs en scène peuvent également jouer sur des différences de voix et de physique des acteurs. On retrouve ces oppositions dans la mise en scène par Jacques Nichet de la pièce de Koltès : Le retour au désert. En effet, le metteur en scène a choisi, pour les deux personnages sur le conflit desquels repose la pièce, des acteurs au physique opposé. C’est pour cela que le rôle de Mathilde a été attribué à Myriam Boyer, petite femme plutôt rondelette alors que son frère Adrien est joué par François Chattot, un homme de grande taille. Les voix de ces deux acteurs s’opposent également dans cette même pièce, Myriam Boyer parlant avec une voix très aiguë, par rapport à François Chattot dont la voix est grave et forte. On peut aussi baser le contraste sur la différence du ton employé : l’un pouvant être ironique et l’autre véritablement en colère, ou encore un personnage affirmant quelque chose et l’autre ne le prenant pas au sérieux, comme dans les mains sales de Sartre, où Hugo tente de tuer son patron Hoederer, et celui-ci lui répliquant qu’il n’en est pas capable.
Les metteurs en scènes peuvent aussi jouer sur les décors et les costumes pour accentuer les divergences d’opinion entre les personnages. Par exemple dans la mise en scène de Louis Jouvet de La guerre de Troie n’aura pas lieu, en 1935 au théâtre de l’Athénée, le décor est constitué de la terrasse d’un rempart dominé par une autre terrasse et dominant d’autres remparts. On peut y voir ici le symbole du conflit qui oppose Troie et les Grecs représentés par Hector et Ulysse. Il est également possible, à partir d’un décor minimaliste, de mettre en relief les conflits de la même façon. Dans la mise en scène de la pièce On ne badine pas avec l’amour de Musset par Gérard Gelas, l’unique élément de décor est un escalier en forme de pont. Cet escalier permet d’accentuer les conflits qui existent tout au long de la pièce entre Camille et son cousin Perdican, l’un se trouvant sur l’escalier et l’autre se trouvant sur le sol de la scène.
Dans cette même pièce, comme on le retrouve souvent au théâtre, l’opposition entre les personnages est aussi marquée par des différences de couleur dans les costumes. Ainsi Perdican, amoureux de Camille, est en blanc, et Camille qui le rejette est en noir. Enfin, les accessoires des personnages peuvent aussi être un moyen de marquer les contrastes entre les personnages. On le remarque particulièrement dans la mise en scène par G. Gelas de la pièce Le retour au désert, car lorsque Mathilde arrive chez Adrien, une dispute éclate. Celle-ci pose son parapluie ouvert sur le sol, puis, tout en continuant leur dispute, Adrien referme le parapluie. Mathilde à ton tour l’ouvre à nouveau et Adrien le referme, sans cesser leur discussion. De cette façon, le metteur en scène accentue encore la rivalité entre les personnages qui s’exprime déjà par leurs paroles.
Enfin, le public peut aussi participer au conflit au théâtre. Il est le juge présent à la représentation théâtrale et peut manifester son approbation ou au contraire son mécontentement vis à vis de la pièce qu'il est venu voir. La pièce 1789 d'Ariane Mnouchkine, jouée par la troupe du théâtre du Soleil, traite de la Révolution de 1789. Elle met en scène les luttes entre les différents hommes politiques de l'époque, et en particulier Marat et Danton. Lors de leurs discours, les spectateurs qui représentent le peuple sont invités à participer à la pièce en même temps que les acteurs répartis parmi eux. Ils applaudissent ou sifflent à leur gré les deux orateurs, soulignant l’opposition radicale de leurs positions politiques.
Le théâtre dispose donc de nombreuses ressources spécifiques pour mettre en scène les conflits entre les personnages. Le texte écrit donne une partie des indications scéniques nécessaires aux acteurs et au metteur en scène pour rester fidèle à la pièce écrite. Cependant, c’est au metteur en scène d’imaginer les autres éléments qui pourraient accentuer le conflit grâce aux décors et aux costumes ainsi qu’au jeu qu’il demande à ses acteurs. Le théâtre est un spectacle vivant, auquel le spectateur assiste « en direct « et vis à vis duquel il exprime son approbation ou son mécontentement. De nos jours, le théâtre est, malgré tout, concurrencé par le cinéma, qui offre plus de possibilités techniques pour représenter les conflits. Toutefois, le théâtre a sur le cinéma l’avantage d’être un spectacle vivant.
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