de natura rerum Lucrèce
Publié le 04/01/2014
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Explication du texte de Lucrèce tiré du De natura rerum, livre IV 1. Regarde un portique soutenu par des colonnes paral lèles et toutes de même hauteur; s'il est long et que d'une extrémité nous le regardions jusqu'à l'autre, il se resserre peu à peu et prend la forme d'un cône allongé; le toit rejoint le sol, le côté droit touche au gauche, jusqu'à ce que l'oeil confonde tout dans la pointe obscure du cône (...) 2. Bien d'autres faits de même gen re causent notre étonnement; ils semblent se liguer pour ruiner le crédit de nos sens; mais en vain, car la plupart de telles erreurs sont imputables aux jugements de notre esprit, qui nous don ne l'illusion de voir ce que nos sens n'ont pas vu. 3. Rien n'est plus difficile en effet que de faire le départ entre la vérité des choses et les conjectures que l'esprit y ajoute de son propre fonds. 4. Dès lors, ceux qui pensent que toute science est impossi ble ignorent également si elle est possible, puisqu'ils font profession de tout ignorer. 5. Je négligerai donc de discuter avec des gens qui veulent marcher la tête en bas. 6. Et pourtant, je veux bien leur accorder qu'ils ont sur ce point une certitude; mais je leur demanderai à mon tour comment n'ayant jamais rencontré la vérité ils savent ce qu'est savoir et ne pas savoir? d'où leur vient la notion du vrai et du faux? comment sont-ils parvenus à distinguer le certain de l'incertain? 7.Tu verras (alors) que la connaissance de la vérité nous vient primitivement des sens , que les sens ne peuvent être convaincus d'erreur, qu'ils méritent le plus haut degré de confiance parce que, par leur propre énergie, ils peuvent découvrir le faux, en lui opposant la vérité. 8.En effet, où trouver un guide plus sûr que les sens ? 9. Dira-t-on que la raison, fondée sur ces organes illusoires, pourra déposer contre eux, elle qui leur doit toute son existence, la raison qui n'est qu'erreur, s'ils se trompent ?(...) 10. Si la raison ne peut pas expliquer pourquoi les objets qui sont carrés de près paraissent ronds dans l'éloignement, il vaut mieux, à défaut d'une solution vraie, donner une fausse raison de cette double apparence que de laisser échapper l'évidence de ses mains, que de détruire toute certitude, que de démolir cette base sur laquelle sont fondées notre vie et notre conservation. 11. Car ne crois pas qu'il ne s'agisse ici que des intérêts de la raison ; la vie elle-même ne se soutient qu'en osant, sur le rapport des sens, ou éviter les précipices et les autres objets nuisibles, ou se procurer ce qui est utile. 12. Ainsi tous les raisonnements dont on s'arme contre les sens ne sont que de vaines déclamations. LUCRECE, De natura rerum, livre quatrième [Proposition de correction] [Introduction] (Pour amener le problème:) Nous devons à Brunelleschi la première démonstration de la perspective, lorsqu'il invita les Florentins à vérifier par eux-mêmes sur la place du Duomo l'exacte représentation du baptistère. Le petit panneau peint se superposait alors parfaitement au baptistère réel. Ainsi l'image fictive se substituait à la réalité. Aujourd'hui nous nommons ces images, qui donnent l'illusion d'être réelles, qui font donc oublier leur statut d'image, des images virtuelles. Mais, on l'aura bien compris, il s'agit ici de tromper le spectateur. L'illusion fut achevée lorsque, le premier, Masacchio peint la fresque représentant la Trinité dans l'église Santa Maria Novella selon les règles de cette technique picturale qu'est la perspective. Ses contemporains crurent réellement que le mur de l'église avait été percé d'une fenêtre. Mais tout n'était qu'illusion. Qu'appelle-t-on une illusion? L'illusion est un type particulier d'erreur. L'erreur est une confusion du vrai et du faux. L'illusion a, par rapport à l'erreur, cette caractéristique de ne pouvoir être corrigée. Lorsque le vrai s'est manifesté, le faux s'efface, non l'illusoire. Vous aurez beau savoir que le Soleil ne tourne pas autour de la Terre, vous ne pourrez faire que vous ne voyiez pas le Soleil se lever à l'Est et se coucher à l'Ouest, et donc se déplacer dans le ciel, la Terre restant immobile. (Enoncé du problème:) Dans ces conditions, puisqu'il est impossible de corriger une illusion, comment peut-on réellement affirmer qu'il s'agit bien d'une illusion. Galilée s'est vu cruellement confronté à cette difficulté. Il avait les faits contre lui. Mais qu'est-ce qu'un fait? Un fait est ici ce qui est observé par nos sens. Dès lors, puisque la question porte ici sur l'illusion, dénoncer telle observation comme illusoire n'est-ce pas du même coup rejeter comme faux toute connaissance sensible? Si les sens sont convaincus non seulement d'erreurs mais aussi d'illusions, peut-on encore réellement se fier à eux? (La thèse de l'auteur:) Dans De natura rerum Lucrèce s'empare de ce problème au livre IV. Contre les Sceptiques, ses adversaires, il soutient en effet que les sens sont le premier critère de la vérité. Non seulment il faut leur accorder toute notre confiance, mais il est impossible qu'il en soit autrement puisque la première fonction des sens est d'être des avertisseurs biologiques. Les Sceptiques ne pensent pas réellement ce qu'ils pensent. Ou plutôt leurs actes ne sont pas en accord avec leur pensée. En effet comment peuvent-ils seulement nier la véracité des sens jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'au bord du précipice qui se trouve à leurs pieds? (L'argumentation de Lucrèce selon le plan du texte:) Le problème est de taille, on le voit. Il n'est rien moins question de réaffirmer dogmatiquement contre tout Scepticisme radical la vérité du témoingnage des sens et ce malgré les erreurs et illusions dont ils sont les victimes. Cette thèse épicurienne suppose pour être établie, cependant, de rendre compte de l'illusion manifeste des sens dans de multiples situations. Dans un premier temps donc, Lucrèce s'empare de la difficulté, lieu commun du Scepticisme: nous sommes sujets à l'erreur et à l'illusion. Lucrèce se voit dans la nécessité de reconnaître ce fait d'expérience mais d'en disculper les sens. Il établit ce point dans les trois premières phrases du texte. Tout naturellement alors, la thèse sceptique est examinée pour être réfutée (phrases 4 à 6). La démonstration indirecte de sa thèse étant administrée, Lucrèce procède à une démonstration directe dans les six dernières phrases, non sans avoir explicitement énoncé dans une formule lapidaire que la connaissance de la vérité nous vient primitivement des sens (phrase 7). Le procédé utilisé par Lucrèce pour établir que les sens sont le premier critère de la vérité est la non-infirmation de la thèse. La réfutation de la thèse sceptique, indirectement, et la non-infirmation de la thèse épicurienne relève de cette méthode. Rien en effet ne s'oppose à admettre que les sens sont le premier critère de la vérité. Et même l'argument du salut et de la conservation de la vie rendent cette thèse nécessaire. Toute explication invérifiable par les sens, pour leur maintenir le crédit qu'il faut leur accorder, est légitime. (L'enjeu du problème:) La question de la crédibilité des sens n'est pas qu'un point de doctrine. Elle n'est pas seulement théorique, elle est aussi pratique. Théorique la question soulève le problème de l'origine de notre connaissance et ultimement du rôle de l'expérience dans sa constitution. Pratique, cette question de la crédibilité des sens engage, dans la réponse qu'on y apporte, la place de l'homme dans l'univers infini. Nous analyserons le texte en suivant l'ordre de l'argumentation de Lucrèce. Il conviendra alors d'examiner la démonstration indirecte de la thèse, puis la démonstration directe. [Le corps de l'explication de texte] L'expérience de l'erreur des sens et de l'illusion, erreur qui ne peut être corrigée, est universelle. Nombreux sont les cas où nos sens sont trompés. Et tous les sens sont concernés par cette expérience. La vue bien sûr, et Lucrèce dans la première phrase cite le cas de la perspective. Mais l'ouïe aussi est victime de méprises. L'écho, phénomène de réverbération du son, par exemple, oriente notre regard et notre attention vers l'endroit où nous croyons avoir entendu du bruit. Le toucher dans le cas du froid qui brûle, le goût où se confondent les saveurs, l'odorat, luimême bien que chez l'homme il soit un sens moins développé, n'en possède pas moins une importance capitale et cependant nous trompe quelque fois. Dans le livre IV du De natura rerum, Lucrèce examine de multiples cas d'illusion des sens. Ici il s'intéresse, comme nous l'avons dit, à la perspective. L'illusion est décrite dans la première phrase: Regarde un portique soutenu par des colonnes paral lèles et toutes de même hauteur; s'il est long et que d'une extrémité nous le regardions jusqu'à l'autre, il se resserre peu à peu et prend la forme d'un cône allongé; le toit rejoint le sol, le côté droit touche au gauche, jusqu'à ce que l'oeil confonde tout dans la pointe obscure du cône Lucrèce analyse avec précision ce que l'on perçoit, c'est-à-dire le contenu même de l'acte de percevoir. Or il appert que nous voyons en perspective. L'illusion repose sur des règles que les peintres de la Renaissance ont d'abord appliquées puis formalisées, précédant ainsi l'invention de la géométrie projective par Desargues et Descartes au XVIIème siècle. Si nous voulions préciser en quoi consiste la perspective il nous faudrait indiquer les deux règles fondamentales suivantes: 1) La taille d'un objet est fonction inverse de sa distance à l'observateur; 2) les plans se superposent suivant des axes qui se coupent en un point nommé point de fuite. Ces observations parfaitement justes de Lucrèce s'appuient implicitement sur la définition euclidienne des parallèles comme des droites qui se coupent à l'infini. Représenter dans un tableau des parallèles qui se rejoingnent en un point situé dans l'espace du tableau c'est figurer l'infini et créer l'illusion de la profondeur. C'est ainsi que l'historien des arts E. Panovski rend compte de la définition de la perspective: « Item perspectiva est mot latin signifiant vision traversante. » Dürer. « Nous parlerons donc de « vision perspective » de l'espace là et là seulement où l'artiste dépasse la simple représentation « en raccourci » d'objets singuliers, tels que meubles ou maisons, pour transformer son tableau en une sorte de « fenêtre » par laquelle, comme l'artiste veut nous le faire croire, notre regard plonge dans l'espace. » « Limitant l'emploi de cette définition aux seuls cas où cette illusion existe, nous parlerons donc de vision perspective quand, dans une oeuvre d'art, la surface (c'est-à-dire ce qui sert de support à l'art pictural ou à l'art plastique et sur quoi l'artiste, peintre ou sculpteur, rapporte les formes des objets et des figures) est niée dans sa matérialité et qu'elle se voit réduite à n'être plus qu'un simple « plan du tableau » sur lequel se projette un ensemble spatial perçu au travers de ce plan et intégrant tous les objets singuliers - la nature de cette projection, impression sensorielle immédiate de l'artiste ou construction géométrique plus ou moins « correcte » ne changeant d'ailleurs rien à l'affaire. » « Pour nous, la perspective, au sens prégnant du terme, est donc l'aptitude à représenter plusieurs objets avec la partie de l'espace dans laquelle ils se trouvent, de telle sorte que la notion de support matériel du tableau se trouve complètement chassée par la notion de plan transparent, qu'à ce que nous croyons, notre regard traverse pour plonger dans un espace extérieur imaginaire qui contiendrait tous ces objets en apparente enfilade et qui ne serait pas limité mais seulement découpé par les bords du tableau. » Panovski, La perspective comme forme symbolique C'est donc selon ces règles de la perspective que notre sens de la vue s'exerce. Or ces règles créent artificiellement, comme le montre leur application en peinture, le sentiment illusoire de la perspective. Donc nous devons en conclure que les sens nous font illusion tout comme les maîtres renaissants. Cette conclusion, Lucrèce est loin de la tirer. Tous les exemples du même genre, aussi nombreux soient-ils, ne sauraient ruiner le crédit de nos sens (phrase 2): (Cetera de genere hoc mirande multa videmus, quae violare fidem quasi sensibus omnia quaerunt,...) Le paradoxe est achevé. Contre l'opinion commune selon laquelle les illusions des sens plaident en faveur de la thèse sceptique, Lucrèce affirme qu'il n'en est rien en distinguant les sens et les jugements de notre esprit (propter opinatus animi, phrase 2). Mais en quoi une telle distinction permet-elle de dépasser le paradoxe? Car enfin je vois bien le portique se rétrécir jusqu'à se réduire, au loin, à la pointe obscure d'un cône. Pour justifier cette remarque subtile de Lucrèce, il nous faut revenir à la définition du jugement. Un jugement est en logique, classiquement, un proposition attributive par laquelle est attribué à un sujet une propriété. Le jugement s'énonce toujours sous la forme: S (sujet) est P (prédicat). Or, la copule "est" a deux fonctions: 1) elle lie le prédicat au sujet, 2) elle pose dans la réalité la liaison du sujet et du prédicat. En ce deuxième sens, on parle de jugement d'existence. Ainsi puis-je affirmer que le portique a, en apparence, la forme d'un cône, mais je ne peux cependant pas juger que le portique possède réellement cette forme. Ce serait confondre ce que je perçois avec la réalité. Or le réel n'a pas à être nécessairement tel que je le perçois. Ainsi Lucrèce peut-il affirmer: La plupart de telles erreurs sont imputables aux jugements de notre esprit, qui nous donne l'illusion de voir ce que nos sens n'ont pas vu (pro visis ut sint quae non sunt sensibus visa;...). [Transition] Ni conjecture ni hypothèse, le texte utilise le terme de doute pour qualifier ce que l'esprit ajoute aux données des sens: (nam nihil aegrius est quam res secernere apertas ab dubiis, animus quas ab se protinus addit.) C'est qu'en effet les Sceptiques sont principalement visés par notre auteur. En quel sens la levée du paradoxe établi par Lucrèce relève-t-elle de la critique du Scepticisme? [Deuxième étape] Par Scepticisme il faut entendre cette doctrine et attitude, dont Pyrrhon d'Elis est le fondateur, qui pose que la connaissance humaine est impossible. L'argument privilégié des Sceptiques radicaux est précisément l'illusion permanente de sens. Cela d'ailleurs constitue un trope sceptique, une figure canonique de la remise en cause de la capacité que l'homme a de connaître la vérité et de la nécessité de suspendre notre jugement (l'époché). Dès lors, l'intention première de Lucrèce étant de démontrer que les sens sont le premier critère de la sensation, il doit infirmer la thèse sceptique. Pour ce faire Lucrèce s'en prend à l'incohérence des Sceptiques. La réfutation à laquelle il procède repose sur la contradiction dans laquelle ils s'enferrent en affirmant qu'on ne peut rien affirmer. Notre auteur manifeste chez ses adversaires inconséquents un sophisme de raisonnement qui s'apparente à une pétition de principe. De tels adversaires aussi incohérents n'infirment pas, c'est le moins qu'on puisse dire, la thèse épicurienne. On pourrait même plagier Pascal et dire qu'il est louable d'avoir de tels adversaires! (Transition) Ainsi les Sceptiques sont ils réfutés. La première étape de la non-infirmation est administrée. Il reste maintenant à montrer, directement cette fois-ci, que rien ne s'oppose à admettre que les sens sont le premier critère de la vérité, et même qu'il y a grand avantage à adopter la thèse d'Epicure. [Troisième étape] Il est nécessaire de s'intéresser à la canonique épicurienne. Par canonique il faut entendre l'ensemble des règles d'une logique de la découverte scientifique. Or les Epicuriens, et Lucrèce au premier chef, admettent, en tant quempiristes et matérialistes, que le premier critère de la vérité sont les sens. Le texte que nous avons à expliquer en fait foi. Et cependant Lucrèce, comme nous l'avons constaté, ne peut nier que les sens nous trompent; ou plutôt, pour éviter toute supposition d'une quelconque intention de leur part de nous tromper, il y a des erreurs des sens. Si le cas de la perspective a été résolu par la distinction entre nos sens et les jugements de notre esprit, il n'en est pas de même lorsque le même sens se trouve en contradiction avec lui-même, lorsque il y a double apparence (phrase 10). Ainsi Lucrèce reprend-il à nouveau un trope sceptique, celui de la tour carrée qui de loin paraît ronde (phrrase 10). Au nom de la thèse que les Epicuriens soutiennent, il faut dans ce cas affirmer que la tour est carrée puisqu'on la voit telle, mais quelle est ronde puisqu'on ne la voit pas moins telle aussi. Pour un même objet donc le même sens apporte des informations contradictoires, c'est-à-dire qui ne peuvent être ni vraies ni fausses ensemble. Que je ne puis affirmer que le portique soit cônique cela est évident. Une simple infirmation suffit. Mais ici il faut dépasser la contradiction sans renoncer au principe même de la canonique épicurienne: les sens sont le premier critère de la vérité. Qu'appelle-t-on alors infirmation? Nous nous formons une opinion : 1) au sujet de ce qui n'est pas présentement perçu mais peut l'être, qui est « en attente » de perception (?? ????µ????), 2) au sujet de l'invisible, plus exactement de l'im-perceptible, de ce qui ne tombe pas sous les sens (?? ??????), soit par nature (le vide) , soit parce que les sens ne sont pas des analyseurs suffisants (les atomes), soit parce que notre condition d'habitants de la surface terrestre nous rend incapables de vérifier de visu ou de tactu nos hypothèses au sujet des causes des phénomènes d'en haut ( ?? µ??????) et de ce qui se passe sous la terre ( ?? ??? ???), à savoir de ce qui, dans la mythologie, correspond au séjour des dieux olympiens et au séjour des morts, notre ignorance au sujet de ces lieux supérieurs et inférieurs (« Enfers ») du monde ayant permis à la religion de les concevoir et de les peupler de manière à alimenter et à perpétuer en nous la crainte des dieux et de la mort, double crainte à laquelle Epicure mettra fin par la connaissance, en montrant que les dieux ne sont pas de ce monde et qu'il n'y a pas d'Enfers, et, cela étant, voulant bien, pour ces deux régions, supérieure et inférieure, du monde, accepter n'importe quelle hypothèse qui ne se heurte pas au démenti des phénomènes. Voyons chacun des cas : En ce qui concerne To prosmenon (?? ????µ????) deux procédés pour acquérir le savoir sont possibles. La confirmation. D'après certains indices, je forme l'opinion : « c'est Platon ». Il s'approche : c'est, à l'évidence, Platon. L'opiné est tel qu'il est dit être ; l'opinion a reçu confirmation : elle est vraie. Ou la non-confirmation. « C'est Platon », dit l'opinion ; et l'évidence : « ce n'est pas Platon ». « C'est Platon », « ce n'est pas Platon » : les deux propositions sont contradictoires, elles ne peuvent être vraies ensemble ni fausses ensemble, mais si l'une est fausse, l'autre est vraie. Puisque c'est sa contradictoire qui est confirmée, l'opinion : « c'est Platon », est fausse. En ce qui concerne To adelon (?? ??????). L'infirmation est le procédé suivant : Pour le Stoïcien, il n'y a pas de vide dans le monde. C'est là une supposition (ou présomption) sur l'invisible (le vide étant adélon par excellence). L'Epicurien établit - par le raisonnement - un lien de conséquence entre cet invisible supposé et le phénomène : si le vide n'est pas, le mouvement n'est pas. Or le mouvement est évident. Donc l'opinion stoïcienne : « le vide n'est pas », démentie par le phénomène, est fausse. La non-infirmation. Il faut examiner deux cas : - La « non-infirmation » par infirmation de l'hypothèse contradictoire et l'explication unique. Ce cas correspond à l'exemple : « quand Epicure dit que le vide, qui est invisible, existe, cela est confirmé par une chose évidente, à savoir le mouvement : car si le vide n'était pas, le mouvement, non plus, ne devrait pas être... ». La proposition « le vide existe » est établie grâce à l'infirmation, par le phénomène évident du mouvement, de l'opinion contradictoire. Dans le cas de la cause (ou de la condition de possibilité) du mouvement, l'opinion n'a pas plusieurs façons de s'accorder avec le phénomène, mais une seule. L'explication du mouvement à partir du vide est vraie, et elle est unique, c'est-à-dire la seule possible ; donc elle est nécessaire. - La « non-infirmation » sans infirmation de l'hypothèse contradictoire, et la méthode des explications multiples. Epicure prend l'exemple de l'éclipse. Il ne clôt jamais ses listes d'explications possibles des phénomènes célestes ou souterrains, mais il réserve la possibilité qu'ils se produisent « encore de beaucoup d'autres manières ». L'explication qui n'est pas infirmée par les phénomènes, mais dont la contradictoire non plus n'est pas infirmée, est seulement possible. Il s'agit seulement d'un savoir négatif. Qu'il s'agisse de phénomènes réguliers ou irréguliers, dès lors que plusieurs hypothèses sont en accord avec les phénomènes, il faut les garder toutes. En ce qui concerne les phénomènes réguliers, quelle hypothèse est vraie pour notre monde, bien que le savoir constituerait un progrès scientifique, cela ne présente cependant pas d'intérêt. Car la connaissance des phénomènes du ciel n'a d'autre fin que l'ataraxie. Or pour atteindre l'ataraxie, il n'est pas nécessaire de savoir, positivement, de quelle manière ces phénomènes se produisent : il suffit de savoir, négativement, de quelle manière ils ne se produisent pas. Or les explications multiples enveloppent toutes ce savoir négatif, condition de l'ataraxie, que les dieux n'interviennent pas dans le monde, car, d'une part, elles supposent le cadre de l'explication philosophique atomistique du monde, laquelle est exclusive de toute autre explication, unique et démontrée, et elles doivent être compatibles avec elle, et, d'autre part, elles sont conçues par analogie avec la façon dont se produisent « chez nous », sur la terre, des phénomènes dont le mode de production est observable. Revenons à notre texte. Les deux derniers paragraphes établissent la thèse par non-infirmation par infirmation de la position contraire d'abord, lorsqu'il s'agit du lien de dépendance de la raison à l'égard des sens, puis sans infirmation, lorsqu'il s'agit d'expliquer la double apparence. La première étape de l'analyse procédait, par contre, par non-confirmation en même temps que par noninfirmation par infirmation de l'hypothèse contradictoire (la thèse sceptique). Lucrèce montre clairement en effet que rien ne s'oppose à sa thèse en deux moments distincts: D'abord (phrases 7 à 9) si les deux sources de la connaissance sont les sens et la raison, la constatation des faits de visu par les sens doit suffire à la preuve. Et lorsque cela n'est pas possible, il convient de se rappeler que la raison qui voudrait plaider contre les sens est dépendante d'eux. La force (par leur propre énergie phrase 7) de la preuve par les sens réside en effet dans le fait que, conformément à toute doctrine empiriste conséquente, toute connaissance dérive intégralement des sens qui reçoivent passivement le donné sensible et ne peuvent le recevoir que tel qu'ils le reçoivent. La raison est ainsi déchue de toute capacité de tirer de son propre fonds le moindre argument. En un deuxième temps (phrase10) si la raison ne peut pas expliquer pourquoi les objets qui sont carrés de près paraissent ronds dans l'éloignement, il vaut mieux, à défaut d'une solution vraie, donner une fausse raison de cette double apparence que de laisser échapper l'évidence de ses mains, que de détruire toute certitude, que de démolir cette base sur laquelle sont fondées notre vie et notre conservation. Par là Lucrèce, fidèle à son maître Epicure, dévoile le caractère euristique de sa canonique. Les atomes sont des réalités (non des hypothèses) mais imperceptibles. Ils échappent ainsi au critère de la vérité: être objet pour les sens. Cependant leur réalité doit être inférée de la constatation de cette double apparence constatée dans cette phrase 10. Puisque les sens ne peuvent nous tromper, et que la raison est dépendante des sens, alors il revient à la raison de produire une explication, fausse du point de vue du principe, mais absolument nécessaire pour soutenir ce même principe. La question est alors: qu'est-ce qui peut justifier, contre l'évidence de l'erreur des sens, de maintenir aux sens leur crédit au prix d'une telle entorse au principe que le texte est censé établir? La conservation de notre vie. Ici la démonstration est directe malgré une allusion à un trope sceptique, celui du précipice (phrase 11). Si le doute devait en effet s'exercer sur toute la connaissance sensible, mais c'est l'évidence elle-même à laquelle il faudrait renoncer. Par évidence il faut entendre ici cette détermination de ce qui s'impose comme vrai à un esprit attentif. Les sens étant les seuls organes capables, de leurs propre fonds, de dévoiler le faux en lui opposant le vrai, l'évidence ne peut être que sensible. La raison ne pourra donc être validée dans ses opérations qu'une fois confrontée aux faits. Or il faut affirmer ici que si les sens sont le premier critère de la vérité, c'est qu'ils sont les organes du plaisir et de la douleur. La nature est bonne et véridique. De ce point de vue, les sens, comme avertisseurs biologiques, sont d'excellents guides. Ils nous apprennent ce qui nous est utile ou nuisible par les sensations de plaisir et de douleur. En eux repose le fonds primordial ( primitivement phrase 7) de l'évidence. Sans ce crédit, comment pourrions-nous accorder notre pensée à nos actes? Aussi la dernière étape de l'explication du texte de Lucrèce doit préciser la fausse explication qu'il est nécessaire, vitale, d'admettre pour conserver aux sens tout leur crédit en justifiant la double apparence de la tour. Epicure admet que tout corps émet des simulacres en permanence. Les simulacres sont des émanations composées d'atomes très subtiles (c'està-dire imperceptibles) qui parcourrent l'espace non sans s'user au contact d'autres atomes voltigeants. Les simulacres s'usent ainsi. Aussi n'est-il pas étonnant qu'une forme carrée, aux angles bien nets, en viennent à s'émousser et finir par être reçue par l'oeil dans une forme opposée. [Conclusion]
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