Critique du film The smell of us
Publié le 22/02/2016
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The Smell of us, Larry Clark (2015) Synopsis : « The smell of us » de Larry Clark Paris, Le Trocadéro. Math, Marie, Pacman, JP, Guillaume et Toff se retrouvent tous les jours au Dôme, derrière le Palais de Tokyo. C'est là où ils font du skate, s'amusent et se défoncent, à deux pas du monde confiné des arts qu'ils côtoient sans connaître. Deux d’entre eux sont inséparables, liés par leurs vies de famille compliquées. Ils vivent l'instant, c'est l'attrait de l'argent facile, la drague anonyme sur Internet, les soirées trash "youth, sex, drugs & rock'n'roll". Toff, filme tout et tout le temps… L'ennui, l'appât de l'argent facile et l'anonymat d'Internet contribuent à la destruction de leur monde. Critique : « The smell of us » de Larry Clark COUP DE COEUR Depuis combien de temps un film n’a t-il pas scellé aussi exactement une vérité de l’émotion ? The smell of us appartient à ces films rares qui reconfigurent tout lorsqu’on les voit : et c’est pour cela que l’on va au cinéma ; il est d’une beauté plastique exaltante. Il y a ceux qui aimeront et ceux qui n’aimeront pas et le fossé est infranchissable. Des années après « kids » et « Wassup rockers » qui ne m’avaient pas bouleversés, la thématique de la jeunesse est encore une fois au centre de son travail, comme un fantasme sous jacent qui revèle beaucoup du cinéaste. Larry Clark arrive avec un poison terrible, un grand accident, un film chaotique qui met à nu ses désirs, ses émotions et ses peurs. Rarement un cinéaste n’est allé aussi loin dans la mise à nu. Le film est extraordinaire sur le malheur de vieillir. Pour la première fois, Larry Clark retourne la caméra sur lui même. Insidieusement, l’objet n’est pas les jeunes, c’est lui. Clark est expulsé de ce tissu collectif rappelé par le titre « the smell of US », notre odeur, mais c’est plutôt leur odeur en l’occurrence. Il est un exilé inconsolable de ce paradis. Les jeunes ne sont que des figures abstraites, des variations sur un même corps, comme tous les vieux sont des variations sur le cinéaste. La subversive crasse n’est ici qu’une surface, un relai, tant chaque image transpire jusque dans ses plus profonds replis le plus absolu désespoir, le plus déchirant cri de mal-être. Aussi, le film est d’une force sans précédent sur les ravages de l’âge. Clark dresse le portrait déstabilisant d’une jeunesse née sous le signe du vide et du non-sens, qui ne trouve un exutoire à sa soif de révolte que dans l’abandon et la destruction des corps. C’est le naufrage existentiel d’une génération dévorée par le consumérisme et la perte de tout repère humain. La société, magma englobant et mortifère, finit toujours par récupérer, d’une manière ou d’une autre, ses marginaux : ici, en vampirisant les énergies de ces éphèbes aux silhouettes graciles. Il filme la déliquescence d’une jeunesse qu’il envie plus que tout. Clark idolâtre les jeunes, il en fait des dieux. Il ne peut s’empêcher de les comparer à des statues, multipliant les poses christiques. A la fin il filme en très gros plans leurs visages comme pour les immortaliser. Clark est un esthète et un mystique. Il a une mystique de l’adolescence et c’est la première fois qu’il l’assume à ce point. C’est toujours la beauté qu’il va montrer, rien d’autre. Il filme avec sentiment. Il est la pour enregistrer et protéger la beauté, pour la garder. The smell of us est surtout un film de corps, de corps qui consomment à mesure qu’ils sont consommés, de corps qui sans cesse se consument. Il faut à Clark un œil acéré pour tisser la finesse de ces rapports tout en organisant l’apparence du chaos. La précision de sa mise en scène cherche à saisir le mouvement le plus loin possible même à travers les interstices, jusqu’au maximum de la profondeur, comme une torsion du paysage lui même. The smell of us naît autant du travail sur le grain et les couleurs que de la présence répétitive d’objets d’art. Les mouvements, à l’instar des couleurs, circulent d’un corps à l’autre et sont menacés d’immobilité. Le film est construit autour de substitutions qui donnent le vertige, la mise en scène est en même temps claire et charpentée, gravitant autour de points d’ancrage fixes. C’est par des décrochages symboliques et affectifs que Clark relance ses scènes longues par des variations de musique, des trous d’air, des apparitions, des accroches de détails et de soudaines montées d’intensité. Il faut voir la séance de la « rêve party », d’une beauté à pleurer. La logique émotionnelle seule organise la scène entre les inserts sublimes de bustes nus et cette masse floue qui se rapproche. Elle donne le tournis et lorsque l’image de ces corps en sueur dansant au rythme de la musique devient trop incandescente, la bande son bascule sur du Bob Dylan, pour transfigurer d’un coup ces corps divins. Qui cherche une narration linéaire et vraisemblable sera forcément et inévitablement perdu tant le film méprise ces conventions et vole à milles coudées poétiques au dessus d’elles. Le tout donne alors un sentiment puissant de liberté. On ne comprend rien à Larry Clark si on ne voit pas à quel niveau il se place. Il est la haut dans les nuages avec les anges intouchables et en bas, avec les déchets. Clark est un étranger qui nous redonne paris, qui nous reconnecte à la lignée la plus brulante de la littérature française ; un hommage à Baudelaire, the smell of us prend les fleurs du mal à la lettre. Clark nous redonne cette lignée poétique subversive dont nous sommes coupés aujourd’hui. Il dit ce qu’il pense et montre ce qu’il voit. Il y a une profonde honnêteté dans ce regard, et la morale est de ce côté et non de celui qui veut plaire à tout prix et séduire commissions et public. Vrai cela veut dire aussi que la beauté de ces corps et de ces visages est observée, mise en valeur, admirée. Oui il aime ces corps, oui il les désire, mais il les érotise et les sublime. On espère mille fois que ce n’est pas son dernier film même si il a des allures testamentaires. On attend ardemment la suite car c’est comme si avec ce film il avait découvert, étonné, la vraie puissance de son cinéma. Ma note : 9/10
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