CORRIGÉ DE COMMENTAIRE DE TEXTE PHILOSOPHIQUE
Publié le 10/09/2012
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PHILOSOPHIE – CORRIGÉ DE COMMENTAIRE DE TEXTE PHILOSOPHIQUE (Kant – Extrait de l’oeuvre Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, Proposition 4) [INTRODUCTION] [Amorce:] La société est animée par deux tendances contraires : les individus ont besoin les uns des autres, mais leurs intérêts s’opposent. [Thème:] C’est sous l’angle du « conflit social » que Kant aborde l’évolution vers la civilisation et la culture de l’humanité. [Thèse:] L’auteur soutient que les hommes sont naturellement sociables (ils aiment la compagnie des autres) et insociables (égocentriques, agressifs..). Mais cette condition contradictoire s’avère un avantage puisqu’elle les pousse à inventer les règles (politiques, juridiques et peut-être morales) de la coexistence sociale. [Fonction:] La thèse kantienne s’oppose au principe anthropologique unilatéral des théoriciens du contrat, soit qu’ils soutiennent que « l’homme est un loup pour l’homme » (Hobbes), soit qu’ils défendent la bonté naturelle de celui-ci avant la socialisation (Locke et Rousseau). [Enjeu:] Cela permet à Kant de concevoir l’homme dans sa duplicité naturelle comme être capable de civilisation et, à terme, de moralisation. [Problème:] L’auteur aborde ici le problème du développement culturel de l’homme : comment un être, dont la nature n’est au degré zéro de l’histoire qu’un ensemble de capacités, de potentialités, peut-il développer toutes ses dispositions ? Faut-il souhaiter une société parfaitement harmonieuse ? Les hommes développent-ils leurs capacités intellectuelles, techniques, artistiques, morales, etc. en se donnant cet accomplissement comme but ? Considèrent-ils que cet effort correspond à leur devoir de sujets raisonnables et agissent-ils par bonne volonté ? Ou bien les efforts qu’ils sont capables de mettre en oeuvre pour développer leurs talents procèdent-ils d’une autre source ? Et alors, laquelle ? [Annonce de l’articulation logique:] Ce texte est articulé selon trois moments: le philosophe constate, en premier lieu, l’antagonisme des dispositions naturelles chez l’homme qu’il décrit de la l.1 à la l.14; son analyse se prolonge par l’explication passionnelle du lien social, source du dépassement personnel (l.14 à l.17). Enfin, l’auteur identifie la valeur sociale de l’homme, gage de sa civilisation, en prenant soin de distinguer civilisation et moralisation. (l.17 à la fin). [Annonce de la discussion critique: critique kantienne du mythe de l’âge d’or] N’est-ce pas trahir le sens moral de l’histoire que de prétendre qu’á l’état de nature les conflits n’existaient pas ? [ANALYSE DU TEXTE:] [Première partie (l.1 à l.14 «résister aux autres »): la thèse de la ruse de la nature, «l’insociable sociabilité »] Dans un premier temps, Kant rapporte l’antagonisme des hommes à un antagonisme inscrit dans la nature humaine. Celle-ci se caractérise par son « insociable sociabilité ». Que faut-il entendre par cet oxymore (association de termes contradictoires)? Que l’homme possède: D’une part un penchant naturel à rechercher la compagnie de ses semblables parce qu’il ne se sent exister humainement que dans et par la relation humaine. Il est, comme l’a affirmé Aristote, un animal politique. Ses besoins ne sont pas exclusivement biologiques, ils sont aussi moraux : communiquer, échanger, aimer, nouer avec ses semblables des rapports d’amitié et de justice. Par là, autrui est l’horizon naturel de son existence : sa fréquentation est source de plaisir. L’homme vit en société par désir de l’autre et pas seulement par intérêt : son humanité se confond avec sa sociabilité. D’autre part il a tendance à privilégier son moi et à en faire un pôle d’insubordination à la loi commune. Il vise son intérêt particulier auquel il n’hésite pas, parfois, à sacrifier l’intérêt général. Il veut vivre avec les autres mais il veut les soumettre à sa loi. C’est sa radicale insociabilité. L’impuissance humaine à se passer des autres n’a donc d’égal que l’impuissance à vivre en harmonie avec ses compagnons. Cette « insociable sociabilité » rend intelligibles deux faits apparemment contradictoires : D’une part, les hommes ne vivent pas dans un état de dispersion, ce qui en toute rigueur serait un état de nature (Rousseau). D’autre part, l’état social n’est pas un État de droit ; le conflit, les guerres, la rivalité sociale sont la loi d’une relation où les égoïsmes ne se renoncent pas. Cette observation fonde une nouvelle interrogation : faut-il déplorer un tel fait et prendre en horreur, à la manière de Rousseau, la vie en société et le développement de la civilisation ? C’est la dialectique du conflit et de la solidarité des égoïsmes qui, par une sorte de ruse de la nature, contribue au perfectionnement de l’homme et le conduit à sa destination morale. Kant se sert d’une métaphore empruntée à la physique de Newton : l’univers se meut dans un équilibre entre force d’attraction et de répulsion. Les hommes d’un côté sont attirés les uns pas les autres, et ils portent en eux une sociabilité, un « penchant à entrer en société parce que dans un tel état il se sent plus qu’homme par le développement de ses dispositions naturelles ». C’est au milieu des autres hommes que son humanité se forme et s’épanouit. La sociabilité n’est pas seulement un penchant à l’altruisme, mais une exigence du développement de la culture. La contrepartie de cette proximité est « la propension à s’isoler » : autrui me résiste (s’oppose à mon vouloir) et je lui résiste. [Deuxième partie (l.14 à l.17 «ne peut se passer »): la mécanique des passions] Paradoxalement cette « résistance » est féconde pour l’individu, devenu, par le biais des tensions, être social. Ce qui est condamnable moralement, n’est pas vain car à bien observer les choses humaines, on s’aperçoit que les passions et les conflits qu’elles produisent sont facteurs de progrès. On leur doit le passage de « la grossièreté » à « la culture », autrement dit le processus de la civilisation. Kant nomme les passions qui tissent le lien social, il souligne par là que celui-ci n’est pas un lien moral. En termes kantiens, c’est un lien pathologique (il a sa source dans la sensibilité, dans le pathos, du grec « ce qu’on éprouve », le passif, et non dans la raison, celle-ci impliquant liberté, effort de se rendre indépendant des inclinations sensibles). L’auteur pointe trois passions : L’appétit des honneurs : « ambition », goût d’exister à son avantage dans le regard des autres, « amour-propre » au sens rousseauiste d’égoïsme (attachement exclusif à sa propre personne, à sa conservation et à son développement ; à distinguer du sens moderne, fierté). L’appétit de pouvoir : «instinct de domination ». L’appétit des richesses : « cupidité ». On ne peut pas dire que ces trois appétits (concupiscences : désirs vifs des biens terrestres) constituent des principes de conduite, éthiquement honorables, et pourtant il ne semble pas y avoir de ressorts plus puissants pour amener les hommes à se dépasser. Que ne ferait-on pas pour être honoré, pour dominer ou pour posséder ! En mettant en concurrence les hommes, les passions les stimulent, les sortent d’une paresse fatale à leur nature dans la mesure où celle-ci (la nature humaine) n’est pas une donnée mais une conquête. Contraints par la force de leurs besoins et de leurs appétits à cultiver leurs aptitudes, à discipliner leurs penchants, les hommes contribuent à leur insu au développement de la civilisation. Celle-ci leur est « pathologiquement extorquée », elle n’est pas visée moralement : ce qui est extorqué est, en effet, obtenu de quelqu’un à l’insu de sa volonté, sans son libre consentement. Songeons, par exemple, à la discipline, à l’acharnement au travail, aux qualités intellectuelles et morales requis pour jouir du prestige et des avantages des élites. [Troisième partie (l.17 à la fin: l’évolution culturelle] En promouvant l’exercice des talents, les passions assurent l’épanouissement de la culture. Les connaissances, les techniques, les arts se développent et en retour civilisent l’homme : Les beaux-arts le raffinent et éduquent son goût ; Les techniques le libèrent progressivement des tâches aliénantes et l’orientent vers des activités demandant plus d’habileté, d’initiative intellectuelle, de savoir-faire ; La conquête des savoirs change sa mentalité en faisant reculer les superstitions. Dans tous les cas, il s’agit bien d’une véritable transformation qui, en faisant sortir l’homme de sa grossièreté originaire, le prépare à devenir ce qu’il est : non pas seulement un être sensible à qui la nature parvient malgré lui à extorquer des qualités humaines mais un être raisonnable, capable de poursuivre par l’initiative de la liberté de sa volonté les fins de sa nature. Kant signifie par là que la civilisation de l’homme n’est pas synonyme de sa moralisation : à l’inverse de la civilisation, il est impossible de concevoir la moralité comme une vertu pathologiquement extorquée. L’éthique kantienne établit clairement que seule l’intention détermine le vouloir moral : nul ne peut passivement agir par respect pour le devoir. Dans le processus de civilisation, la moralisation en tant que finalité ultime n’est pas « naturellement » garantie, c’est pourtant elle qui donne un « sens » à l’histoire. [DISCUSSION CRITIQUE : critique kantienne du mythe de l’âge d’or] Les poètes et quelques philosophes (Rousseau) chantent le mythe d’un âge d’or où la vie s’écoulait dans l’innocence de l’ignorance et dans le bonheur paisible de l’homme non encore advenu à lui-même. Dans les périodes convulsives de l’histoire, il arrive que la conscience commune rejoigne le poète et rêve d’un impossible retour à cet état de nature idyllique .L’intérêt de cette quatrième proposition de l’IHUC consiste à montrer que cette nostalgie est illégitime. Elle revient à regretter une existence où la dignité humaine fait défaut puisque cette existence serait dépourvue de moralité : il n’y a de moralité que par la liberté et la raison. La nostalgie de cet âge d’or dénaturerait la création en la privant de l’être par lequel elle s’accomplit sous sa forme la plus noble. En l’homme, la nature s’accomplit comme nature raisonnable. Kant fait de l’humanité et de sa destination éthique le sens de la création. Sans cette espérance de moralisation, l’une et l’autre seraient sans valeur. [CONCLUSION] [Bilan de l’analyse du texte et de la discussion critique:] Ce texte ne laisse aucune illusion sur ce qui motive les hommes : si leur volonté se déterminait par la représentation de leur devoir, leur histoire ne serait pas ce paysage de bruit et de fureur qu’elle exhibe en permanence dans les journaux et les livres d’histoire. En bon analyste du réel, Kant constate que le ressort de l’histoire humaine n’est pas l’exigence de la raison mais les prétentions de l’égoïsme. La lutte, le conflit, la concurrence des individus est au principe de l’aventure historique et culturelle. Il faut pourtant espérer que l’humanité tirera de sa « valeur sociale » les conditions pour réaliser sa « valeur morale ». [Élargissement:] Il est alors permis d’espérer que la civilisation prépare le moment de la conversion morale des hommes. Ce thème est explicité dans la Septième Proposition de l’IHUC : « Nous sommes hautement cultivés par l’art et par la science ; nous sommes civilisés, au point d’en être accablés pour ce qui est de la politesse et des bienséances sociales de tous ordres ; mais de là à nous tenir pour moralisés, il s’en faut encore de beaucoup. Si en effet l’idée de la moralité appartient bien à la culture, en revanche l’usage de cette idée, qui aboutit seulement à une apparence de moralité dans la bienséance extérieure, constitue seulement la civilisation.»
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