Corpus BAC Jean de La BruyeÌ€re, Les CaracteÌ€res (1688), Voltaire, MicromeÌgas (1752), Jacques Sternberg, 188 Contes aÌ€ reÌgler (1988) AIDE POUR LE COMMENTAIRE : Problématique : Comment le moraliste compose-t-il/offre-t-il ici une image saisissante de la nature humaine ? Axes du commentaire : Il convient d’eÌtudier d’abord l’ideÌe selon laquelle l’homme n’est pas un animal raisonnable, ideÌe tourneÌe en deÌrision par La BruyeÌ€re. Puis nous verrons comment l’attitude belliqueuse ( =agressive, guerrière) des hommes est deÌnonceÌe. Enfin, ce texte est un appel aÌ€ une prise de conscience. AIDE POUR LA DISSERTATION : I. DiffeÌrentes modaliteÌs pour deÌnoncer la socieÌteÌ aÌ€ travers l’Autre ( = présentation) (Fictions/ fables/ contes/ etc.) + avec des EXEMPLES PRECIS D’ŒUVRES du corpus et du cours ! II. Le deÌtour par l’Autre est un bon moyen pour deÌnoncer les travers de sa socieÌteÌ (=points positifs) (un deÌtour commode pour permettre au lecteur de prendre de la distance avec sa propre socieÌteÌ/ Un regard neuf, le lecteur aborde les grands sujets sous un angle d’approche ineÌdit/ Par le biais de la fiction de l’Autre, l’argumentation devient plus efficace, car elle sollicite l’imagination, la reÌflexion, l’émotion du lecteur ?) III. Les dangers de la fiction de l’Autre (=les limites) 1. La fiction a un pouvoir de seÌduction : le lecteur est captiveÌ par les aventures de l’Autre et peut oublier la dimension argumentative du texte. Ex. : dans les contes philosophiques ? 2. Le message, en eÌtant brouilleÌ par une image, n’est pas toujours clair… Ex. : dans Les Fables de La Fontaine ? AIDE POUR L’ECRITURE D’INVENTION : congeÌneÌ€res : qui sont de la même espèce, semblables. exhorter : encourager, inciter par des paroles. • Le genre du discours doit eÌ‚tre adopteÌ. Il suppose la preÌsence de destinataires clairement identifieÌs, l’emploi de tournures convaincantes, et une organisation qui peut suivre le scheÌma des discours antiques : exorde (ou deÌbut ex abrupto), exposeÌ des arguments (contentio), eÌventuellement narration (le discours peut eÌ‚tre lieÌ aÌ€ un eÌveÌnement particulier), peÌroraison (reÌsumeÌ et appel aÌ€ de forts sentiments). • Le discours doit eÌ‚tre placeÌ dans un contexte qui doit eÌ‚tre transparent aÌ€ la lecture de l’eÌcrit d’invention : qui est ce penseur adreÌ€le (un homme politique, un simple citoyen, ...?), pourquoi s’adresse-t-il aÌ€ ses concitoyens (aÌ€ la suite d’un eÌpisode particulieÌ€rement sanglant ? parce qu’un peuple plus pacifique a eÌteÌ rencontreÌ?), dans quelles conditions se produit ce discours (aÌ€ la radio? dans une assembleÌe?) constituent des questions importantes qui ont une influence sur la composition du discours. • Si l’appel aÌ€ la raison est un argument fondamental et neÌcessaire (comment vivre si l’on pousse son jumeau adreÌ€le aÌ€ tuer ?), l’eÌcrit d’invention doit trouver d’autres mobiles. On peut envisager une comparaison entre le peuple adreÌ€le et un autre peuple pacifique ; la question du bonheur peut eÌ‚tre souleveÌe ou encore celle de l’utiliteÌ: ne vaudrait-il pas mieux envisager ces forces aÌ€ construire plutoÌ‚t qu’aÌ€ deÌtruire ? La question de la leÌgitimiteÌ morale peut aussi eÌ‚tre souleveÌe. • Le locuteur peut donner diffeÌrentes images de lui- meÌ‚me afin d’accreÌditer son discours : il peut se montrer suppliant, inquiet, attristeÌ. • Il doit agir sur les sentiments des auditeurs, en suscitant chez eux diffeÌrents sentiments (pathos) : l’indignation, la pitieÌ, l’effroi, la honte. LA QUESTION SUR LE CORPUS 1. Par quels proceÌdeÌs la guerre est-elle deÌnonceÌe dans ces textes ? Dans ces trois textes, les auteurs ont recours aÌ€ une fiction pour deÌnoncer la guerre : dans « Les Jumeaux », Sternberg met en sceÌ€ne des extraterrestres, les AdreÌ€les, dont les parties jumelles se deÌchirent ; Voltaire donne la parole aÌ€ des philosophes minuscules, interrogeÌs par un geÌant venu de Sirius; La BruyeÌ€re imagine une horde de chats qui s’entretuent (l. 15-20). Par le biais d’une image, ils montrent l’absurditeÌ des conflits: les hommes sont compareÌs aÌ€ des animaux dans le texte de La BruyeÌ€re, des « animaux raisonnables» (l. 25), tandis que la phrase finale du texte de Sternberg donne la clef de l’histoire: «les AdreÌ€les pouvaient passer pour les eÌ‚tres dont les mœurs eÌtaient le plus insidieusement semblables aÌ€ celle des Terriens ». La preÌsentation que le philosophe fait au Sirien des hommes qui se battent tend aÌ€ les assimiler aÌ€ des fourmis eÌtranges «couvert[e]s de chapeaux », « qui tuent cent mille autres animaux couverts d’un turban ». Les exageÌrations qui parcourent les textes allieÌes aux visions horribles qu’elles proposent participent de la deÌnonciation (la « puanteur » des chats morts chez La BruyeÌ€re ; les termes forts « sont massacreÌs », « s’eÌgorgent » dans MicromeÌgas et « tueries », « meurtres », « suicides » chez Sternberg). L’ironie parcourt eÌgalement cestextes : par exemple, dans Les CaracteÌ€res, La BruyeÌ€re emploie l’antiphrase « instruments commodes » pour eÌvoquer les armes. Voltaire, quant aÌ€ lui, deÌnonce les puissants qui ordonnent les massacres par la peÌriphrase ironique « barbares seÌdentaires ». COMMENTAIRE Vous ferez le commentaire du texte de La BruyeÌ€re (texte A) Les CaracteÌ€res de La BruyeÌ€re se proposent de deÌfinir l’Homme dans tous les aspects de sa vie. Dans le chapitre consacreÌ aux «Jugements», l’auteur s’inteÌresse plus particulieÌ€rement aÌ€ la façon dont il se deÌfinit. Cet extrait preÌsente l’homme comme preÌsomptueux et bien peu raisonnable. Comment le moraliste compose-t-il ici une image saisissante de la nature humaine ? Il convient d’eÌtudier d’abord l’ideÌe selon laquelle l’homme n’est pas un animal raisonnable, ideÌe tourneÌe en deÌrision par La BruyeÌ€re. Puis nous verrons comment l’attitude belliqueuse des hommes est deÌnonceÌe. Enfin, ce texte est un appel aÌ€ une prise de conscience. I. La reÌfutation de La BruyeÌ€re: l’homme n’est pas un animal raisonnable. Cette theÌ€se, deÌlivreÌe au deÌbut du paragraphe, est d’embleÌe contesteÌe par La BruyeÌ€re avec l’emploi du verbe «corner», clairement peÌjoratif. L’expres- sion apparaiÌ‚t aÌ€ plusieurs reprises, aÌ€ chaque fois de manieÌ€re ironique. 1. Un eÌchange des roÌ‚les. L’homme est, aÌ€ plusieurs reprises, assimileÌ aÌ€ un animal, mais de manieÌ€re iro- nique, par exemple lorsque le moraliste eÌvoque les animaux et les deÌsignent comme «vos confreÌ€res», en s’adressant aux hommes. Les exemples suc- cessifs preÌsenteÌs de façon paralleÌ€le (le tiercelet de faucon, le leÌvrier, l’homme «qui court le sanglier») accentuent la ressemblance entre l’homme et l’ani- mal. Mais les animaux aussi sont humaniseÌs, aÌ€ la manieÌ€re d’une fable (« si les uns ou les autres vous disaient qu’ils aiment la gloire», «les uns ou les autres» renvoyant aux chats ou aux loups). La BruyeÌ€re semble donc d’accord avec l’ideÌe que l’homme est un animal, mais il conteste l’adjectif « raisonnable ». 2. L’homme est preÌsenteÌ comme un animal deÌna- tureÌ. La taupe et la tortue, compareÌes aÌ€ l’homme, placeÌ dans une position d’infeÌrioriteÌ («au-dessous de... ») posseÌ€dent « l’instinct de leur nature », contrairement aÌ€ l’homme, deÌvaloriseÌ ici pour ses « leÌgeÌ€reteÌs », « folies », et « caprices » (dans un rythme ternaire qui mime son eÌgarement). Son imagination et son intelligence technicienne sont mises au profit de la destruction («car avec vos seules mains que vous pouviez-vous vous faire les uns aux autres [...] ? ») et l’eÌnumeÌration des armes (« les lances, les piques, les dards, les sabres et les cimeterres») s’oppose aux « dents » et « ongles » des animaux. 3. La BruyeÌ€re s’attache aÌ€ montrer que la raison conseille de ne pas se battre contre son prochain. Il emploie l’exemple de deux chiens qu’il met en sceÌ€ne : ils « s’aboient, s’affrontent, se mordent et se deÌchirent». Face aÌ€ ce spectacle, le jugement des hommes est transcrit: «VoilaÌ€ de sots animaux». Cette phrase fait suite aux jugements preÌceÌdents, donneÌs au style direct : un animal qui suit sa nature et qui en tue un autre pour se nourrir est un « bon » animal ; celui qui s’attaque aÌ€ un autre de son espeÌ€ce ne fait pas preuve de raison. L’homme n’est donc pas un «animal raisonnable», et La BruyeÌ€re deÌve- loppe plus particulieÌ€rement l’exemple de la guerre. II. La deÌnonciation de l’attitude belliqueuse des hommes Dans un texte qui n’est pas deÌpourvu d’humour, le moraliste entreprend de deÌnoncer la guerre. 1. Pour cela, il repreÌsente une bataille des chats, dans une parodie d’eÌpopeÌe, dont les acteurs «ont joueÌ ensemble de la dent et de la griffe». L’exageÌ- ration des chiffres (« neuf aÌ€ dix mille chats »), le caracteÌ€re effrayant de la bataille («ils se sont jeteÌs avec fureur les uns sur les autres ») reprennent des caracteÌristiques de l’eÌpopeÌe, mais la preÌsence de ces chats humaniseÌs opeÌ€re un deÌtournement paro- dique. Le moraliste montre ainsi le caracteÌ€re absurde d’une telle entreprise. Les hommes qui se battent entre eux ne sont pas « raisonnables ». 2. Les images de violence s’attachent au theÌ€me de la guerre: le mot «boucherie» renvoie meÌ‚me aÌ€ cette entreprise. Dans une gradation, l’auteur eÌvoque les violences effectueÌes sans armes (« vous arracher les cheveux, vous eÌgratigner au visage», «vous arracher les yeux de la teÌ‚te»), avant de se complaire dans une description des souffrances endureÌes par le fait des armes (« vous faire reÌciproquement de larges plaies d’ouÌ€ peut couler votre sang jusqu’aÌ€ la dernieÌ€re goutte »). 3. Cette attitude belliqueuse des hommes ne semble due qu’aÌ€ un seul deÌfaut : l’amour-propre. Si celui-ci n’est pas nommeÌ, il est sous-entendu aÌ€ tra- vers des formules comme « vous donn[ez] aux ani- maux [...] ce qu’il y a de pire, pour prendre pour vous ce qu’il y a de meilleur ». ConformeÌment aÌ€ son projet de moraliste, La BruyeÌ€re eÌtudie l’homme et montre ses faiblesses, afin d’amener le lecteur aÌ€ une prise de conscience. III. Un appel aÌ€ une prise de conscience 1. L’ouvrage s’adresse explicitement aux hommes, comme le montre l’apostrophe «oÌ‚ hommes» qui traduit la condescendance de l’auteur. L’utilisation reÌcurrente de la deuxieÌ€me personne du pluriel et des questions rheÌtoriques («ne ririez-vous pas de tout votre cœur [...] ? ») incitent le lecteur aÌ€ reÌagir. Le passage se veut persuasif. 2. Mais dans cet extrait, le moraliste convie son lecteur aÌ€ participer aux diffeÌrentes visions qu’il lui propose, dans des tournures paralleÌ€les. La vision du « tiercelet de faucon » qui « fait une belle des- cente sur la perdrix» appelle des paroles au style direct « VoilaÌ€ un bon oiseau », et trois autres sceÌ€nes sont alors proposeÌes au lecteur, dont l’auteur ima- gine les paroles. De meÌ‚me, trois fictions, intro- duites par l’hypotheÌtique « si » s’acheÌ€vent par les reÌactions supposeÌes de celui-ci. Le lecteur est inviteÌ aÌ€ construire le raisonnement, dans une argu- mentation imageÌe et qui se veut efficace. DISSERTATION Selon vous, le deÌtour par l’Autre est-il un bon moyen pour deÌnoncer les travers de sa propre socieÌteÌ ? I. DiffeÌrentes modaliteÌs pour deÌnoncer la socieÌteÌ aÌ€ travers l’Autre 1. L’Autre peut eÌ‚tre mis en sceÌ€ne dans un apologue et sa parole, ses actions, mettent en eÌvidence les deÌfauts de la socieÌteÌ. Ex. : L’IngeÌnu, personnage de Voltaire, porte un juge- ment sur la socieÌteÌ française. 2. La rencontre avec l’Autre permet de revenir sur soi: la socieÌteÌ française est compareÌe aÌ€ une autre socieÌteÌ qu’on observe. Ex.: Les utopies preÌsentent un monde autre que le noÌ‚tre. Les diffeÌrences entre les habitants sont per- ceptibles. II. Le deÌtour par l’Autre est un bon moyen pour deÌnoncer les travers de sa socieÌteÌ 1. C’est un deÌtour commode pour permettre au lecteur de prendre de la distance avec sa propre socieÌteÌ. Trop engageÌ dans le monde, le lecteur ne peut pas toujours distinguer les injustices, les travers. Ex. : Dans MicromeÌgas, le territoire convoiteÌ est deÌsi- gneÌ comme un «tas de boue». En le diminuant de taille, le philosophe montre la futiliteÌ des causes de la guerre. 2. En adoptant un regard neuf, le lecteur aborde les grands sujets sous un angle d’approche ineÌdit. Les incoheÌrences et les absurditeÌs n’en sont que plus fla- grantes. Ex.: Les inconseÌquences des Parisiens, dans les Lettres persanes, deviennent manifestes sous la plume d’un eÌtranger. 3. Par le biais de la fiction de l’Autre, l’argumentation devient plus efficace, car elle sollicite l’imagination du lecteur en meÌ‚me temps que la reÌflexion. Elle suscite chez lui des eÌmotions, comme le rire ou la fascina- tion. Ex.: Les AdreÌ€les dans «Les Jumeaux» fascinent et inquieÌ€tent, mais nous font reÌfleÌchir aÌ€ notre propre monde. III. Les dangers de la fiction de l’Autre 1. La fiction a un pouvoir de seÌduction : le lecteur est captiveÌ par les aventures de l’Autre et peut oublier la dimension argumentative du texte. Ex. : Les contes philosophiques de Voltaire comme L’IngeÌnu peuvent passer pour des reÌcits, des romans. 2. Le message, en eÌtant brouilleÌ par une image, n’est pas toujours clair. La penseÌe de l’auteur se deÌguise derrieÌ€re celle d’un autre personnage. Ex. : Les Fables de La Fontaine, par leur reÌcit qui peut preÌsenter des animaux, constituent des eÌnigmes. DeÌpourvues parfois de moraliteÌ, elles dissimulent leur sens veÌritable, comme «Le Rat qui s’est retireÌ du monde », qui se finit sur une note ironique.